Le spectacle débuta, l'assemblée fit silence alors que le peu de lumière disponible était dirigé vers la scène. Dans les coulisses le petit loup était mort de stress, observant la première scène se dérouler. Et les dieux lui pardonne son manque de confiance envers les enfants... Mais il ne pouvait s'empêcher de fixer les deux chef de familia au premier rang, ses deux grands yeux jaunes barrés par la mince fente qu'étais son iris.
Et s'ils n'aimaient pas le spectacle ? S'ils le prenaient pour responsable ?
Au fur et à mesure que ses yeux se décalaient, il réalisa que ses amis étaient tout aussi susceptible de ne pas aimer ce qu'il avait fait. Son mentor lui pardonnerait peut-être sa bourde tant il était gentil... Mais Harmonie ? Et pire encore... Yvana ?
La simple idée de voir de la déception sur son visage lui fit rater un battement de cœur, sans qu'il ne s'en explique la raison. Car si décevoir des gens avait toujours été son quotidien, cette fois ci, il craignait de gâcher le travail de quelqu'un, quelqu'un à qui il tenait bien étrangement.
Et il y avait les enfants... S'ils s'apercevaient que les maîtres des familias étaient déçus...
Le simple fait d'y penser transforma Elim en boule de nerf prêt à imploser.
Les premiers acteurs grimpèrent sur la scène, commençant la longue scène qui allait introduire tous les héros.
Cachés des spectateurs des enfants jouèrent avec les lanternes, donnant aux aventuriers une statue encore plus grande, alors qu'un narrateur les présentait un par un.
Bien entendu, tous dans la salle les connaissaient, mais c'était aussi un moyen pour les acteurs de rentrer dans le personnage.
La pénombre aidait grandement à masquer la misère, les armes en bois paraissant bien plus impressionnantes quand nul lumière ne venait en révéler le côté dérisoire. Et les costumes moins rapiécés.
Portalia avait sans doute connu de meilleurs acteurs, mais jamais d'aussi motivés. Et alors qu'ils déclamaient leurs textes avec confiance, Elim suivit chaque phrase avec attention, la moindre phrase sortant autant de la bouche des jeunes que de celle du médecin dont la queue était rabattue contre le sol en signe d'inquiétude.
Au bout de ce qui lui sembla une éternité, l'acte deux commença, faisant passer l'inquiétude de l'hybride à un nouveau stade.
Là encore, il n'y eut pas de cafouillage majeur, même les terres de feu furent plutôt difficile à représenter... Comment représenter un désert de lave et cendre dans un modeste orphelinat ? Encore pire, comment faire pour que les boules de feu qu'avaient affrontées les héros paraissent réelles ?
Pendant un moment, le loup avait hésité à tirer de véritables projectiles enflammés, renonçant rapidement devant le danger que cela pouvait représenter.
Même si tirées dans une direction non-dangereuse, il y avait toujours le risque que quelque chose tourne mal. La magie était déjà suffisamment dangereuse en elle-même. Mieux valait éviter d'en plus jouer avec le feu.
Ainsi, le loup avait opté pour de petites balles peintes en rouge qui s'abattaient en cascades sur les enfants qui progressaient malgré cette pluie de projectiles sans risques. Moins impressionnant, mais sans danger pour les acteurs qui avaient déjà fort à faire. Coupée à quelques jeux d'ombres, l'illusion était presque parfaite !
Et comme annoncé dans la légende, les six traversèrent les landes de feu, pourfendant les monstres qui se dressaient sur leurs chemins.
Les scènes de combat étaient cela dit bien peu chorégraphiées, et laissés à l'appréciation des enfants qui s'en donnaient à cœur joie. Parfois un peu trop, au point de créer de véritables blessures qui à chaque fois faisaient bondir l'hybride.
Malgré ça, le ballet des acteurs s'enchaîna. À intervalles réguliers, une intense lumière bleue venait inonder la scène, dont l'intensité venait amplifier l'impact des paroles.
Elim faisait à chaque fois au mieux pour synchroniser ses soins avec des passages épiques, soignant par la même les monstres hors théâtre avant de les renvoyer au casse-pipe avec un sourire.
Au moins, tout cela donnait de la vie !
Et ainsi, ils parvinrent jusqu'à la scène finale, ou le Nergigante fut joué avec brio par deux grands enfants dans un costume en carton. La bataille fut épique, et la bête blessée s'enfuit des planches avec un cri plaintif, laissant au passage une de ses cornes, sous la forme d'un morceau de bois taillé que les six soulevèrent avec de grands cris de victoire...
Avant que la lumière ne s'éteigne.
Un long silence s'installa, l'hybride commençant à craindre que sa pièce ne fût un fiasco avant qu'un bruit sec ne retentisse dans la salle. Un bruit de métal frappé contre le métal, d'abord lent puis de plus en plus rapide.
Elim porta ses yeux sur l'audience pour voir Messire Valmont applaudir, bientôt accompagné par sa collègue, puis de tout le reste du public qui s'exprima de plus en plus fort.
Cela fut comme un poids brutalement retiré des épaules du loup qui manqua presque de défaillir en constatant que la pièce avait été appréciée par tous.
Bien que faites sans moyens, la pièce avait su garder l'essentiel de la fable, et tous les acteurs se placèrent sur la scène pour un salut à l'assemblée, tous les acteurs qui finirent par tirer vers eux le petit loup qui se retrouva bien embarrassé sur les feux de la rampe.
Le regard des chefs de familia pesèrent lourd, mais il ne chercha pas à s'y soustraire, s'inclinant comme ses acteurs et ce jusqu'à ce que la salle ne se désemplisse petit à petit.
Là, il put dire au revoir à tous ses amis, les remerciant chaleureusement, avant de faire de même avec les invités les plus illustres, qui ne manquèrent pas de le féliciter pour la pièce avant de s'en aller.
Et lorsqu'il fut laissé seul, Elim s'écroula dans son lit, épuisé par tant de pression et n'attendant qu'une chose.
Le verdict...