L'argent fait le bonheur [Philippe] (Terminé)

Tu l’as coincé, tu as réussi à coincer Aster. Ce haut placé de l’Église avait ordonné la traque de Kemat. Tu ignores ses motivations, et ce dernier a rendu son dernier souffle, abattu par la flèche de l’un des siens, avant de pouvoir s’exprimer et avouer sa culpabilité. Sans doute Hypanatoi et toi auriez pu lui faire cracher le morceau. Vous avez manqué de temps, et l’ennemi était organisé, vous ayant vraisemblablement vu arriver. Tout cela te fait presque penser à un jeu d’échecs, où les pions avancent stratégiquement. Si tu n’es guère étonnée que de la corruption existe également à l’Église, tu ignores encore son ampleur. Sans doute est-elle bien moins que celle de la Guilde ; cela n’en reste pas moins inquiétant, et reflète la énième preuve que les grandes factions ne sont plus que les ombres d’elles-mêmes. La décadence n’ira en outre qu’en s’accélérant si personne ne fait rien pour redresser la situation. Si tu espères ne pas fragiliser les relations entre la Guilde et l’Église avec cette sombre affaire, il est hors de question pour toi de reculer et de laisser faire. Surtout quand Morrigan vous a aidé à percer un trafic bien plus grand en interrogeant Gilda, la seconde d’Aster. Tout ce que tu attends désormais, c’est le signal d’Hypanatoi quant à la prochaine étape de sa vengeance.

Ton réseau, tu as su l’étendre afin de parvenir à tes fins. Si tu as reçu des lettres de menaces en t’approchant de ta cible, c’est parce que tu t’es mise en avant et faite repérée suite aux informations que l’on t’a données. Pas parce que l’on t’a dénoncée ; as-tu d’ailleurs dérobé un document important à l’Église en guide de preuve, cela a fait grincer les dents. As-tu le moindre remord ? Non, car c’est pour la bonne cause. Connaissant la corruption grandissante de la Guilde, il t’a donc fallu faire attention. Tu ne pouvais te confier à n’importe-qui. Il te fallait quelqu’un dont la position lui permettrait d’être une mine d’or d’informations, et qui n’aurait aucun intérêt à te trahir. En somme, quelqu’un qui n’irait pas loucher chez les plus fanatiques des Dark Souls, ou même la Secte du Chaos. Tu es consciente que tu es en train de te faire des ennemis, au sein de ta propre faction et en-dehors, en combattant les plus grands crimes de la cité-forteresse. Tu n’as guère des agneaux face à toi, tu as donc dû t’allier à une personne qui ne te compliquera pas la tâche. Et Philippe est la personne toute indiquée.

C’est d’ailleurs cet homme que tu viens voir aujourd’hui. En charge de la distribution des missions, et travaillant au sein de la Guilde depuis près de six ans, c’est la mine d’or d’informations dont tu as besoin. Si lui-même a dû faire quelques recherches pour te donner tout ce dont tu as besoin, tu as bien vite remarqué qu’il est efficace. Peut-être aurais-tu réussi par toi-même à regrouper toutes ces informations seule, mais cela aurait été plus risqué en plus de te prendre beaucoup plus de temps. Philippe est au courant de beaucoup de choses et semble laisser traîner ses oreilles partout. De ton côté, tu peux le voir facilement à son bureau, et ce sans attirer les soupçons. Philippe n’aurait vraisemblablement pas accepté de t’aider – même contre l’argent que tu t’apprêtes à lui donner – si cela devait lui faire courir un grave danger. Marchant tranquillement en direction de son bureau, tu frappes à la porte et le salues d’un signe de tête.

« Vous ne vous êtes pas moqué de moi pour Aster. » affirmes-tu, lui tendant une bourse de gills, « Vous avez bien mérité votre récompense. »

Tout travail mérite récompense, et un alpha tient toujours ses promesses. Tu le regardes prendre la bourse, songeuse, te posant beaucoup de questions sur l’homme né à l’Oasis des Réfugiés. Il a sans doute dû entendre parler des affaires dans lesquelles tu as été impliquée ; est-il réellement intéressé par tout ce qui se passe ici ? Quand bien même vous avez établi un accord, tu ne sais pas grand-chose sur cet homme, ne sais même pas si tu peux le considérer comme un allié. Tu le soupçonnes en réalité de n’être motivé que par l’argent. Peut-être a-t-il laissé tombé, peut-être a-t-il laissé couler derrière ces airs blasés. Sans doute ne croit-il tout simplement pas – ou plus – à la Guilde. Si de ton côté, tu n’as guère fini de te battre, tu as envie de l’entendre parler sans le moindre tabou.

« Dites-moi, cela fait un moment que vous êtes ici n’est-ce pas ? Que pensez-vous réellement de la Guilde ? »

Grande question.

Des sourires, un regard perçant. De ton côté, ton visage ne laisse trace d’aucune expression ; nulle parole ne vient perturber ce silence disciplinaire alors que tu le regardes ouvrir la bourse et compter la somme que tu lui as promise. Dois-tu t’en offusquer, toi qui ne cesses d’affirmer haut et fort qu’un alpha tient toujours ses promesses ? Dans d’autres circonstances, peut-être. Mais tu n’oublies pas que tu n’es pas à Drakenmarg, et que ce monde abrite tout un tas de fourberies. Ce qui est arrivé à Kemat – et à d’autres – est inadmissible, et témoigne une fois de plus de la mauvaise gestion des autorités, qui ne parviennent même pas à contenter le flux de nouveaux arrivants. Alors que tu écoutes les propos de ton interlocuteur, la réponse ne te surprend guère. Philippe ne fait que confirmer ton courant de pensée, et reprend presque au mot celle de Morrigan. Le mécontentement se fait de plus en plus sentir, au sein de la Guilde et ailleurs. Si ta faction ne sait reconnaître les esprits aiguisés et les guerriers émérites au fort potentiel, comment pourrait-elle atteindre ses objectifs ? C’est pour toi mission impossible. La Guilde ne jure que par l’essence, et éventuellement l’ancienneté. En attendant, les grands dirigeants de rang légende ne se mêlent aucunement au commun des mortels ; impossible pour eux d’être en phase avec la situation actuelle.

« Ne m’en parlez pas. » réponds-tu avec une pointe d’ironie dans la voix.

Oui, tu es bien consciente de tout ceci. Et encore, tu n’épilogues pas sur le principe d’invocations non consenties, des plus criticables. Alors que certains de tes camarades restent dans l’inaction, à l’image d’Elizabeth. Toi, tu es différente. Tu as agi, tu as fait. À ton échelle, certes, mais tu as su t’entourer par ce que tu estimes être de bons alliés. Philippe le sera-t-il un jour ? Tu l’ignores. Les échanges que tu as eu avec lui n’ont été que brefs, et majoritairement intéressés. Il est tout à fait possible que tu aies face à toi un homme sans foi ni loi, et motivé que par l’argent, malgré ses belles paroles. Peut-être ne se soucie-t-il guère des âmes des invoqués en proie à de telles atrocités. Toujours est-il qu’il a pu t’aider à retrouver ta cible, la cible de la vengeance d’Hypanatoi. N’a-t-il été potentiellement motivé que par l’argent, c’est pour le moment tout ce qui compte pour toi, qui lui as également promis la sécurité dans toutes ces affaires. Après tout, on t’a tout de même intimidée, menacée lorsque tu t’es approchée du but. Non que cela t’affecte, mais tu te rappelles les paroles du paragoï : l’ennemi tremble. Et tel un animal blessé, tu sais de ton côté qu’il demeure dangereux.

« Si la Guilde était correctement organisée et dirigée, elle parviendrait à atteindre ses objectifs. Je pourrais en dire tout autant de l’Église… Mais notre faction est rongée par la corruption. » tu marques une pause, « Hypanatoi et Derek ont sauvé des femmes d’un ignoble trafic d’humains. Si je mets la main sur le garde qui a laissé ainsi passer ces crimes odieux sous ses yeux, soyez sûr que je veillerai personnellement à ce qu’il ait la sanction qu’il mérite. »

Tu joues à un jeu dangereux. Beaucoup possèdent encore une grande admiration vis-à-vis de Gun Sho ou Tyson Rex. Et voilà que tu les critiques ouvertement. De toute manière, il n’y a personne d’autre que Philippe et toi dans cette pièce. Vous êtes à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes. S’il a suffisamment de cran pour révéler ses opinions véritables, tu en fais donc de même. Dans la foulée, tu en profites pour initier le prochain sujet où tu risques d’avoir besoin d’aide. Mentionner le nom de Derek – criminel toujours aussi recherché – n’est également pas sans risques, mais tu tiens également à laver sa réputation. Tu lui as promis, à lui, comme à Morrigan. Il est grand temps pour vous de rétablir la vérité, et de percer la carapace de vos ennemis.

« Voyez-vous, les mois passent, bientôt les années. Pourtant, je reste de ceux assez fous pour ambitionner le changement. » affirmes-tu, « Qu’en est-il de vous, Philippe ? Êtes-vous de ceux qui ont abandonné, rongés par la lassitude ? Ou bien voulez-vous… Devenir plus qu’un gratte-papier ? »

En fin de compte, du ne sais pas grand-chose de Philippe. À quoi aspire-t-il ? Tu as l’étonnante impression qu’il porte pour le moment un masque. Peut-être parce qu’il ne s’est pas encore décidé de sa place dans ce jeu d’échecs géant, ou peut-être parce qu’il ne veut pas dévoiler ses intentions véritables. Toujours est-il que tu aurais bien du mal à croire que tout ceci le laissera parfaitement indifférent sur le long terme.

La réponse ne tarde pas à sonner. Tu fronces légèrement les sourcils, sans répondre tout de suite. Est-ce là un signe de désapprobation ? Tu as face à toi un individualiste, un fléau pour les chefs de guerre comme toi. Tu as déjà des préjugés sur les mercenaires, tu en as peut-être encore plus sur ce genre d’individus. De l’autre côté, peux-tu vraiment le blâmer de ne pas s’adonner corps et âme à la quête, lui qui est vraisemblablement né ici ? Il n’a sans doute aucun chez lui où rentrer si ce n’est l’Oasis des Réfugiés. Philippe ne s’est jamais soucié de la cité-forteresse car il ne l’affectionne aucunement. Pourtant, cela ne vous rapproche-t-il pas, d’une certaine manière ? Tu n’as également aucune attache envers Portalia. La seule différence est que tu ne supportes pas de vivre au jour le jour, de te contenter d’aller où va l’argent. Non, tu as toujours été animée par des désirs de grandeur. Et depuis que tu es arrivée à Portalia, tu n’as eu qu’une ambition : reprendre la place que tu estimes te revenir de droit : à la tête des choses. Tu pourrais épiloguer bien longtemps sur la gestion désastreuse et sur les méthodes archaïques de ce monde. En réalité, ce n’est pas tant la cité-forteresse que tu n’aimes guère, mais bien ce monde. Ta frustration et ton aigreur n’ont en outre jamais disparu depuis ton invocation. Qu’en aurait-il été si tu étais née ici ? Nul doute que tu aurais tout de même combattu pour la quête car telle est dans ta nature : tu ne peux vivre sans le moindre combat, sans le moindre objectif à atteindre sur le court ou long terme.

« Croyez bien que je ne suis pas cette quête par pure envie. Seulement, j’ai été invoquée ici, contre mon consentement. Que je le veuille ou non, l’accomplir est le seul moyen de rentrer chez moi. Je ne suis pas particulièrement attachée à cette entité que l’on appelle l’Ordre, ni même à Portalia. Autant dire que si tout ceci n’est qu’un espoir illusoire... » tu marques une pause, « Vous pouvez être sûr que ce monde entendra mon courroux. »

Les natifs semblent souvent être en proie à une vision différente, une vision que tu n’approuves aucunement. Tu l’as vu avec Elim. En fin de compte, ce monde ne fait que rendre les gens timorés à tes yeux. Après tout, Philippe l’affirme lui-même : il n’a jamais eu la moindre ambition, la moindre envie de changer quoique ce soit ici pour le rendre meilleur. Tu vois malheureusement beaucoup de points commun entre lui et ton ami, et ce malgré toute l’affection que tu éprouves pour lui. Tu te doutes bien qu’il serait inutile de tenter de faire changer Philippe d’avis. Il n’est pas non plus dans ton intérêt de le contrarier. Car, quand bien même il n’est pas animé par les mêmes intentions que les tiennes, le gratte-papier reste utile. Cela explique peut-être la soudaine tolérance que tu as à son égard, ainsi que le fait que tu ne te lances point dans le moindre discours grandiloquent. Quant à Philippe, vous n’avez peut-être encore que peu échangé, mais il doit se douter de ton caractère, surtout avec ce que tu viens de lui dire.

« Pouvez-vous m’en dire plus sur cet endroit d’où vous venez, l’Oasis des Réfugiés ? J’ai cru comprendre que nombre d’entre vous pensez que l’Ordre vous a abandonné. » tu marques une pause, « Au moins vous conduisez-vous convenablement là-bas, hors de la barbarie de la cité-forteresse. Ce n’est guère le cas du quartier Nord. »

Tu as étudié le cas de l’Oasis des Réfugiés, tu as entendu parler de la souricière qui aurait combattu le monstre de rang légende. Tu sais donc que les habitants de cette zone – tout comme les habitants de la Plaine du Loup – ne possèdent aucune foi envers l’Ordre. Toujours est-il que Philippe semble mieux traité et considéré que ton ami Elim, vivant au quartier Nord avec tout ce que cela est susceptible d’impliquer. Alors que le quartier Nord semble également avoir été abandonné par l’Ordre, alors que grand nombre de ses habitants perdent également foi, tu ne saurais expliquer une telle différence d’atmosphère. Peut-être la proximité de la cité-forteresse avec l’Ordre attire-t-elle paradoxalement le Chaos dans les quartiers les plus démunis ? Ou peut-être les autorités sont-elles tout simplement trop corrompues – bien plus que les habitants de l’Oasis des Réfugiés – pour apporter ne serait-ce qu’une once de sérénité.

« Ma deuxième question vous semblera plus indiscrète, mais j’aimerais savoir si une chose vous anime en ce monde ? Possédez-vous des proches, ou quelque chose que vous souhaiteriez protéger, à Portalia ou à l’Oasis des Réfugiés ? »

Est-il risqué de lui poser ce genre de questions ? Peut-être pas, après tout ce que tu viens de lui dire, à l’abri des oreilles indiscrètes. Philippe n’est peut-être pas le membre de la Guilde le plus digne de confiance, mais tu as envie d’en savoir plus sur celui qui t’aide tant.

Il se méfie, évidemment. De ton côté, tu ne pourrais affirmer d’aplomb que tu lui fais confiance, non plus. Philippe et toi avez beau être en collaboration, vous ne vous connaissez que très peu, et ta tactique aurait très bien pu être celle d’un ennemi souhaitant déceler les faiblesses potentielles de son adversaires. Le gratte-papier sait pour tes ambitions, tes idées, mais cela ne va pas plus loin. Tu sais très bien que tu aurais tort de trop lui en dire. La confiance n’est guère une chose aisée à acquérir chez toi, et Philippe n’a pour le moment rien fait pour la gagner. Tout comme il n’a rien fait pour la perdre. Tu es dans un étrange état de neutralité pour cet homme, qui ne semble d’apparence aspirer à rien malgré le fait qu’il te soit utile. Comptera-t-il rester dans cet état de léthargie jusqu’au restant de ses jours ? Au fond, cela ne te regarde pas, bien que cela ait le don de t’agacer. Tu as pourtant l’habitude des relations qui ne sont animées que par un intérêt réciproque, mais celle-ci est différente en raison de la passivité de ton camarade de Guilde. Tu as toujours été une personne d’action, une personne qui aime prendre les devants. Faut-il s’attendre à ce que tu vois de belles qualités en Philippe alors que tu combats la corruption au sein même de ta faction ? Tu ne sais toujours rien de ce qui l’anime en raison du masque de prudence qu’il arbore. Peut-être tombera-t-il un jour, peut-être pas. Mais tu veilleras à ce que l’idée de te trahir ne lui survienne pas sans lourdes conséquences, c’est chose certaine.

L’Oasis des Réfugiés, le lieu où tu as accompli ta première mission, cette zone aride qui te rappelle ton Drakenmarg. Pourtant, la ressemblance s’arrête au paysage. Tu ne peux prétendre que le peuple qui y vit est similaire aux Drakenmayers. Il ne s’agit que d’une communauté abandonnée par l’Ordre – elle aussi – et ne souhaitant rien d’autre que de vivre égoïstement dans son coin, en tant que spectateur plus qu’acteur de ce monde. Tu juges évidemment cette forme d’oisiveté, mais tu arrives tout de même surprenament à remettre les informations dans leur contexte. Pour un habitant de l’Oasis, il est sans doute logique d’être comme Philippe et de se moquer de cette guerre millénaire alors qu’il n’a guère d’attache vis-à-vis de l’Ordre et de la cité-forteresse. Votre dédain pour cette entité et pour Portalia – bien que n’étant point alimenté par les mêmes raisons – vous rassemble, d’un certain point de vue. Mais il s’agit vraisemblablement de la seule chose que vous avez en commun, du moins le crois-tu. Car toi, tu agis alors que le gratte-papier reste dans sa passivité, laquelle peut beaucoup coûter tu le crains.

« Ce n’est que récent, mais nous avons découvert que des fanatiques prétendent servir le Chaos. On les surnomme la Secte. » commences-tu.

Tu mets le doigt sur ce qui t’a fait prendre part à cette guerre. Tu n’es pas une adoratrice de l’Ordre, mais tu vois la menace que présentent le Chaos et ceux qui prétendent le représenter. Tu ne serais pas surprise qu’ils commencent à gagner en influence au sein du quartier Nord – tout comme les Dark Souls –, surtout après l’attaque. Tu es animée par la volonté de rentrer chez toi ; laisserais-tu ce monde pourir si tu n’avais aucune raison de te battre. Philippe, de son côté, est un natif ne venant pas de Portalia. Tu ne peux t’empêcher de t’interroger. N’a-t-il pas peur que le Chaos et ses représentants prennent suffisamment d’ampleur pour que les matriarches de l’Oasis ne puissent plus rien faire pour les retenir ? La vision qu’offre le Chaos n’est rien d’autre qu’une dévastation. Si tu estimes peu probable que des natifs se soient laissés séduire, il peut en être autrement pour des invoqués en soif de vengeance après leur venue en ce monde. Et si ce foutoir du quartier Nord s’avère être l’avenir de la cité-forteresse et des communautés alentours ? Si chacun sombre dans l’oisiveté, c’est ainsi que les choses se dérouleront. Et la cité-forteresse est le premier bastion pour empêcher tout ceci, si tant est qu’elle est capable de donner la pulsion nécessaire pour lutter.

« Que pensez-vous de ces individus qui viennent perturber la quiétude des alentours ? Pourraient-ils un jour venir s’en prendre à votre Oasis ? »

Répondra-t-il par le déni, en affirmant qu’après tout, l’Oasis n’a jamais été attaquée par le Chaos ? C’est possible, mais tu sauras contre-argumenter à ces idées naïves d’immunité totale. Tu sembles avoir une idée derière la tête ; où veux-tu pourtant en venir avec tout ceci ?

Est-ce du déni, ou n’a-t-il tout simplement pas envisagé la possibilité que tu as intérieurement raisonné ? Tu arques un sourcil alors que tu le vois soupirer. Peut-être est-il empli de lassitude, alors que d’autres personnes ont vraisemblablement déjà tenté de lui faire entendre raison. Pourtant, tu reconnais là la même marque que celle du portalien moyen ; ils n’envisagent pas les problèmes jusqu’à ce qu’ils tombent sous leur nez. Tu es présomptueuse, mais pas au point de prétendre pouvoir changer d’avis un parfait inconnu sur un monde qu’il connaît mieux que toi. Vos parcours sont différents ; tu es invoquée alors qu’il est natif. Vos caractères mêmes sont opposés ; tu as un tempérament de feu alors qu’il est aussi froid que la glace. Tu aurais pu te contenter d’achever la conversation bien plus tôt, après lui avoir donné ce qui l’intéressait. Pourtant, tu sembles curieuse à son sujet alors que tu ne tiens guère à coeur les individualistes dans son genre. Vois-tu en lui un potentiel caché, ou examines-tu simplement ses réactions, tel un chat jouant avec sa proie ? Le fait est que tu trouves Philippe bien optimiste, voire naïf concernant le Chaos et ses agents ; peut-être parce qu’il n’a guère réellement trempé dans les mêmes affaires que toi. A-t-il réellement conscience de tout ceci, ou fait-il la sourde oreille par ignorance ? C’est ce que tu souhaites savoir.

« Les agents du Chaos ne sont animés que par une soif de domination et de destruction. » affirmes-tu, « Je doute qu’ils respectent un quelconque pacte de neutralité dans cette guerre. En d’autres termes, je pense qu’ils chercheront un jour ou l’autre à asservir les peuples indépendants de la cité-forteresse, bien que ce ne soit pour le moment pas leur priorité. Je suis loin de douter de la compétence et de la puissance des matriarches, mais que feront-elles si un jour une armée se pointe à leur porte ? »

Si le Chaos fonctionne tant soit peu comme les Drakenmayers, tu sais très bien qu’il pulvérisera ceux qui refuseront de se soumettre jusqu’aux derniers. Nul ennemi de ce genre n’acceptera qu’un peuple vive en paix sans se mêler au monde. Pour toi, la conclusion est claire ; si certains ne veulent pas se mêler à cette guerre, c’est cette guerre qui décidera de leur donner une bonne leçon. Tu l’as vu avec la dernière attaque, et l’état amorphe des autorités et grandes institutions qui ne cessent de se dégrader. Le principe même de l’invocation est un principe qui te semble des plus révoltants et la raison même pour laquelle tu n’aimes guère l’Ordre. En revanche, l’ignoble trafic qui se profile dans la corruption l’est encore plus à tes yeux. En outre, tu ne peux que comprendre le courroux qui vient du plus profond des entrailles d’Hypanatoi. Si cela avait été un alpha Drakenmayer qui avait subi le même sort, tu aurais aussi tout brûlé dans le but de le venger.

« Portalia est un bastion, et quand bien même je ne suis pas plus attachée à cette cité que vous, je suis forcée de le reconnaître. Le peuple ne pensait pas que les agents du Chaos attaqueraient la ville ou infiltreraient nos rangs, cela s’est pourtant produit. Qui sait de quoi ils seraient capables ensuite ? Il ne faut pas les sous-estimer, eux non plus. »

Le message que tu souhaites faire passer ? C’est qu’il n’est pas dans son intérêt de voir la cité-forteresse tomber. Tout comme il n’est pas du tien d’abandonner ainsi alors que tu as été mêlée à cette guerre malgré toi, et que tu gardes malgré tout espoir de revoir ton Drakenmarg un jour. Ce que tu ne comprends pas, c’est pourquoi Philippe n’a pas vu tout ceci avant que tu ne lui en parles. À moins que son optimisme et son égoïsme envers sa terre natale soient si profonds qu’il ait fait la sourde-oreille ? Tout ce raisonnement te semble pourtant relever de l’évidence même. Les matriarches ne feront pas le poids face à la menace qui pèse. Car ces agents du Chaos sont pour toi un vrai fléau qu’il faut combattre.

« Si Portalia tombe, je crains que cela ne soit trop tard pour l’Oasis. » achèves-tu, la mine sombre.

Ton discours pourrait raisonner comme étant alarmiste aux yeux de certains, réaliste pour d’autres. Étonnamment, tu n’ajoutes rien de plus. Va-t-il réfléchir à tout ce que tu viens de lui dire, ou s’enfoncer dans un déni bien plus profond ? Après tout, il est au courant de l’attaque de la cité-forteresse, il y était. Tu es en outre presque fascinée de voir que certains ne voient pas le danger grandissant malgré tout. Pour toi, il est clair que la stupidité des portaliens ne possède pas de bornes.

Alors que Philippe garde cet étrange sourire, le masque qui le recouvre, tu es presque étonnée qu’il ne riposte pas face à tes affirmations. Au moins ne se cherche-t-il pas ouvertement des excuses, au moins ne semble-t-il pas nier ce que tu viens de dire dans un aveuglément quasi total. Il se méfie de l’Ordre, peux-tu vraiment l’en blâmer quand tu vois tout le mal propagé par cette entité ? C’est bien l’Ordre qui t’a invoquée, l’Ordre qui arrache des innocents à leur monde sans même veiller sur eux. Il ne vous considère que comme des pions à sacrifier dans une guerre qui ne vous appartient même pas. Cela n’est pas sans te rappeler Elim, qui vit reclu dans le quartier Nord, pratiquement sans la moindre reconnaissance à cause de son affiliation avec les crocs de glace. Tu sais qu’eux aussi se méfient de l’Ordre. En fin de compte, si tu exclues les gens de l’Église, ses adorateurs ne sont pas légion. De l’autre côté, cela reste le Chaos qui a attaqué la cité-forteresse en toute malveillance, le Chaos qui reste l’ennemi à abattre. Peut-être est-ce ce raisonnement qui fait que tu n’as jamais été tentée par la voix des Déicides. Tu te méfies de l’Ordre, tout autant que Philippe, mais tu comprends que tu n’as pour l’instant aucun intérêt à te retourner contre lui, surtout quand tu vois les horreurs propagées par le Chaos, surtout quand tu gardes l’espoir infime de rentrer chez toi.

« Vous voyez pourtant que je ne suis pas une adoratrice de l’Ordre, cela ne m’empêche pas de traquer une menace bien plus grande encore. »

La réponse tombe pour toi comme une évidence. Évidemment que tu ne vénères pas l’Ordre, mais tu as été traînée de force à cette guerre. Et que restera-t-il de Portalia, de l’Oasis, ou même de tes chances de revenir chez toi si le Chaos vient à l’emporter ? Tu connais la réponse ; tout serait anéhanti. C’est pour cela que la Secte est aussi dangereuse – les Dark Souls n’étant certes pas en reste. Tu sais qu’il est de ton devoir de traquer ces fanatiques, et de leur infliger la punition qu’ils méritent. Qu’il s’agisse des Dark Souls ou de la Secte du Chaos, ces gens ne t’inspirent rien de plus qu’un profond dégoût. Tu aurais pu soupçonner Philippe d’en être un ; ou tout du moins, quelqu’un d’autre aurait pu le soupçonner. Se méfier de l’Ordre n’est pas une preuve suffisante selon toi quand tu t’en méfies toi-même ; tu connais, de plus, la mentalité de l’Oasis des Réfugiés. Le gratte-papier t’a tout de même aidé, bien que cela ne soit pas désintéressé. Philippe pose toutefois la question de vive voix ; pourquoi t’intéresses-tu à lui ? Pourquoi as-tu une telle conversation avec lui ? Là aussi, la réponse te semble évidente.

« Vous m’avez bien aidée, et je pense que vous pourriez être bien plus qu’un simple gratte-papier, si vous vous en donniez les moyens. » affirmes-tu, « Vous pourriez être de ceux qui se battent – à leur manière – contre les tares du monde qui l’a vu grandir, surtout si vous avez quelque chose à protéger. »

Pour toi, les natifs ont peut-être encore plus de raisons de se battre contre le Chaos, ainsi que la corruption qui ravage la cité-forteresse. Tu ne sais pas grand-chose de Philippe, mais tu as fort à parier que – derrière les apparences – il tient à ce monde et à son Oasis. Tout comme tu tiens à ton Drakenmarg de ton côté. Vous ne vous entendrez peut-être jamais au point de former une amitié – Philippe resteant après tout un individualiste –, mais tu penses que vous avez des intérêts communs. Le gratte-papier a-t-il des proches à l’Oasis des Réfugiés ? Sans aucun doute, bien qu’il ne te l’ait pas dit. Comment réagirait-il si le Chaos prend le contrôle de l’Oasis, puis du monde ? La fuite ne pout être éternelle. Il arrive un moment où il faut rentrer dans l’arène, la tête haute de préférence. S’il n’est pas bête, Philippe finira bien par le voir.

« Je ne vous importunerai pas plus longtemps. »

Tu prends ainsi congé en le saluant d’un léger signe de tête. Qu’il réflechisse à tout ce que tu as dit, tu ne peux et ne veux faire plus. Pour ce qui est du reste, tout dépend de lui.