A l'orée du Bois ~ PV Loreley (Terminé)

Plus le temps passait, plus je me disais que ce n’était guère trop dur – tout du moins pour moi – de s’acclimater à la vie portalienne. Les gens dans les parages étaient plutôt amicaux, et tolérants. Les bruits de la guerre contre les dragons d’Hetacta paraissaient loin. Pourtant, ne paraissaient-ils pas également loin pour les gens de ma cité, avant d’avoir été éradiqués ? Ne paraissaient-ils pas également loin pour les portaliens, lorsque le Chaos avait frappé la cité ? J’avais beau ne pas trop savoir que penser de cette histoire d’entités cosmiques, je voyais les dégâts comme étant bien réels. Étais-je réellement en sécurité ici, dans ce monde en guerre ? La paix, n’était-elle qu’un rêve naïf et illusoire, peu importe le monde duquel on venait ? Probablement. Il fallait être réaliste, le mal sévirait toujours. Et quand bien même il ne serait pas présent, il y aurait toujours des différents entre les gens, qui finiraient par s’entretuer. Je ne devais pas me réfugier dans ma coquille ou me replier sur moi-même, non. J’appréciais qu’on me laissât le choix, mais il fallait que j’arrivasse à me défendre, à me débrouiller seule en ce monde.

J’avais fait des rencontres intéressantes. Des gens comme Ryuusei, comme Elim, qui semblaient croire en moi et me voir comme une grande guerrière. J’avais l’impression que certains se fiaient trop aux apparences par ici ; toujours était-il que je n’avais guère démenti tout ceci. J’étais consciente de ma lâcheté, de démarrer comme une impostrice. Comment dire aux gens que j’avais fui le combat, ne pensant qu’à ma vie, et que je n’étais qu’une soldate – d’origine modeste – parmi tant d’autres à Hetacta ? Quelque part, laisser croire aux gens quelque chose qui n’était pas vrai m’arrangeait beaucoup. Il était agréable d’être traitée avec respect, d’être vue avec du potentiel malgré mon rang bronze. Pourtant, je savais également que c’était à double tranchant. Si un jour les gens s’appercevaient que je n’étais qu’une guerrière couarde, cela me retomberait sans doute dessus. Toutefois, je tenais une chance de tout recommencer ici, de refaire ma réputation et de ne pas retomber dans mes vieux travers.

En conséquence, il fallait que je m’entraînasse. Il fallait que je fusse prête pour le jour où l’on m’enverrait en mission. Pour le moment, rien ne pressait certes, mais je retardais encore et toujours ce jour fatidique. Le combat contre le dragon – également l’une de mes premières expériences sur le terrain – avait remballé le peu d’héroïsme que j’avais encore en moi. La guerre n’avait rien de beau, la guerre n’avait rien de glorieux. Je ne voyais pas en quoi cela serait différent ici. Avais-je seulement envie d’y prendre part ? Non. Je me contrefichais de ces histoires d’Ordre, de Chaos. Tout ce que je voulais, c’était qu’on me laissât tranquille et être payée à la fin du mois. Les Nine Head étaient donc la Familia me convenant le mieux de ce point de vue. J’étais une mercenaire, et pour gagner ma vie, je devais me battre, me défendre, aller au-delà des murs de la cité-forteresse. C’était un mal nécessaire.

De bon matin, je m’étais ainsi rendue devant le Bosquet de Solgid, avisant l’orée de la forêt. Je tentais de calmer les palpitations de mon coeur. J’étais nerveuse. Pourtant, le bosquet était un endroit plus sûr encore que le centre d’entraînement d’après les dires. J’avais ciblé cet endroit exprès, me disant que ce ne serait pas trop dur. Et pourtant, je n’arrivais guère à faire le premier pas. J’avais sursauté en entendant une voix m’interpeller. Je vis alors un homme aux allures chevalresques. Lui, c’était un guerrier, un vrai. Cela se sentait à son aura.

« Oh ! Bonjour. » commençai-je, « Je suis arrivée ici il y a peu, et je ne suis pas encore partie en mission. On m’a conseillé de m’entraîner ici avant toute chose, il paraît que cet endroit est idéal pour les débutants. » fis-je dans un sourire forcé.

Je n’allais pas tout déballer, n’est-ce pas ?

Je me sentais transpirer sous mon armure, alors que l’homme poursuivait. Le pire était que je me rendais compte qu’il avait raison sur toute la ligne. Je me sentais tout d’un coup prise de toute, le courage vacillant grandement. Oui, le Bosquet était moins dangereux que le terrain d’entraînement mais… Et s’il m’arrivait des bricoles là-bas, avec les monstres ? Regardant l’orée des bois non sans appréhension, je me tournais à nouveau vers le guerrier. En réalité, je savais déjà tout ceci, et j’avais mes raisons de venir seule en ces lieux. Il est vrai que j’aurais pu demander à un autre aventurier, ou un Nine Head de m’accompagner. Néanmoins, tout le monde semblait me prendre pour une grande guerrière, ce que je n’avais pas totalement démenti. Les gens jugeaient bien trop sur les apparences ici que cela pourrait leur jouer des tours. En réalité, c’était ça que je craignais. J’avais tout de même une certaine fierté, et quand bien même j’avais peur de mettre le pied hors de Portalia, je craignais d’autant plus que les gens voient que je n’étais qu’une imposture. Cela ruinerait la petite réputation que j’avais en ce monde à tous les coups.

« Je voulais voir si j’en étais encore capable... »

J’étais fière de ma diversion, sous le coup de trac, ce n’était pas facile. J’espérais que cela suffirait à ne pas éveiller ses soupçons. Je ne savais pas à qui j’avais à faire, peut-être était-ce un haut placé après tout, il valait donc mieux conserver bonne figure. Et puis, ce que j’avais dit n’était pas faux quelque part. L’inconnu connaissait – comme tout le monde – la perte de puissance qui accompagnait toujours les invoqués. Je n’étais que rang bronze – quoique bien avancé –, et je n’avais pas encore quitté la cité-forteresse. Quoi de mieux pour un débutant que de se lancer un challenge ? J’essayais de me convaincre que c’était ma motivation réelle, mais j’étais quelque part gênée par ce demi-mensonge. J’espérais que cela ne me retomberait guère dessus par la suite. Regardant à nouveau l’homme toujours en selle, je laissais mon regard dévier sur son armure rutilante. Lui, ce n’était pas n’importe-qui, c’était sans doute au moins un chef de bataillon en son monde ou en celui-ci. Mon regard s’arrêta sur le symbole qui m’indiqua qu’il venait de l’Église – comme Marguerite. Une idée me traversa alors la tête.

« Vous êtes ici depuis longtemps ? Peut-être pourriez-vous m’accompagner ? En espérant que cela ne vous dérange pas. »

J’espérais qu’il ne verrait pas mon empressement à changer de sujet, ni à quel point j’étais soulagée de le voir débarquer ; dans le cas contraire, je me ferais passer pour une bleue. J’étais consciente de ma malhonnêteté, mais je ne voulais pas perdre la face si facilement. Et puis, comme le monde était cruel et injuste, il ne fallait pas trop se fier aux vertues. Quand bien même je n’adhérais guère aux valeurs de l’Église, je reconnaissais leur travail comme étant utile – sinon nécessaire – à ce monde. Et leurs combattants n’étaient généralement pas malveillants, je ne voyais pas pourquoi ce serait différent avec ce guerrier. Dommage que je ne pusse sentir sa puissance d’essence. En tout cas, il avait l’air fort, suffisamment fort pour ne pas craindre les créatures des environs.

« Au fait, je m’appelle Loreley, Loreley Steiner. »

Bien sûr, les politesse. S’il acceptait de m’accompagner, il fallait que je me présente, quand bien même mon nom ne lui dirait sans doute rien.

Quelle flegme, quelle confiance. Dommage que je ne pusse encore sentir sa puissance d’essence. Ainsi donc, il n’était ici que depuis quelques semaines. Depuis un peu plus longtemps que moi peut-être ? Je ne voyais plus le temps passer. Si ce n’était pas un haut représentant de l’Église, il devait au moins être à la tête de quelque chose dans son monde d’origine. Allait-il avaler ce que je venais de lui dire ? Ou arriverait-il à percer ma couverture ? J’espérais que non, j’avais quand même ma fierté, et je ne souhaitais guère me ridiculiser d’une quelconque manière. J’étais quelque part rassurée de ne pas être tombée sur quelqu’un de plus important au sein de Portalia, mais je souhaitais tout de même conserver une bonne figure, peut-être même faire bonne impression auprès de cet homme. J’essayais de me dire et de me répéter mentalement que cette expérience ne pouvait pas être aussi terrible, que rien d’aussi dangereux que les dragons ne risquaient de venir jusqu’ici. Parfois, j’avais conscience de ma propre peur, et je me demandais si j’étais réellement faite pour être une guerrière.

« C’est exact, pour tout vous dire, je suis une mercenaire des Nine Head. »

J’espérais qu’il n’aurait pas d’apriori négatif sur ma Familia, ou mon statut de mercenaire. J’avais cru comprendre que dans certains mondes, les mercenaires pouvaient être des gens sans foi ni loi. De mon côté, je plaçais tout de même ma survie avant le reste. Confirmais-je ce cliché comme quoi nous n’étions guère de nobles guerriers ? Peut-être. Mais au moins, Timoléon avait accepté de m’accompagner – alors même qu’il ne possédait aucun bouclier sur lui. C’était incroyable de constater une telle différence entre nous deux. D’où puisait-il donc sa confiance alors qu’il venait d’arriver et avait sans doute perdu en puissance, tout comme moi ? Comment faisait-il pour ne pas avoir peur, ou alors ne pas la laisser transparaître ? Il devait être expérimenté, assurément. Il me demandait si je connaissais les monstres de la zone, et je me sentais presque comme interrogée à un devoir d’école.

« Je vous remercie de m’accompagner.  » commençai-je, « De ce que j’ai compris, il y a ici beaucoup de monstres en rapport avec la forêt. Les verte-pattes, les champignombres… Mais la plupart sont passifs.  »

J’espérais encore une fois qu’il ne verrait pas mon trac. Oui, c’était la raison pour laquelle j’avais choisi le bosquet pour m’entraîner. Les monstres ne m’attaqueraient pas si je ne lançais pas les hostilités, je pouvais également facilement me mettre à l’abri ou me retirer si les choses tournaient mal. Pour la fuite, c’était facile, les monstres du coin ne pouvaient pénétrer l’enceinte de la cité-forteresse. En y réfléchissant, j’avais même plus pensé aux cas où ça tournerait mal qu’au combat en lui-même. Jetant un coup d’oeil à mon partenaire, je me dis qu’il devait être une essence rouge, lui aussi. Mais nos pouvoirs et styles de combat n’étaient sans doute pas les mêmes.

« Oh ! J’oubliais de préciser, je suis une essence rouge, et j’avais des pouvoirs de paladin dans mon monde, quelle stratégie serait la meilleure ? »

M’enfonçant dans le bosquet, j’avais entendu des buissons frémir. Me cachant derrière les broussailles, je regardais de quel monstre il s’agissait. La surprise était la bonne arme du guerrier, n’est-ce pas ?

Ainsi donc, ce guerrier venait d’un monde où la magie n’existait pas ? C’était curieux. Peut-être gagnerait-il finalement en puissance en arrivant à Portalia par rapport à son monde d’origine ? Et moi donc ? Encore fallait-il que j’arrivasse à reprendre proprement les armes si je souhaitais au moins retrouver ma puissance d’antan. Ignorant encore tout du monde de mon interlocuteur, je ne pouvais m’empêcher de me demander s’ils avaient des créatures aussi dangereuses que les dragons chez eux. Si oui, étaient-ils aussi puissants que ceux d’Hetacta ? Dans tous les cas, ils devaient être vraiment braves, à affronter le danger en ne pouvant compter que sur leurs armes et leurs performances physiques. Aurais-je été capable de le faire ? Dans ma grande naïveté, alors que je rêvais encore de gloire, peut-être. Maintenant, j’avais retenu la leçon. Tout ce qui comptait en ces mondes, c’était de survivre. Et pour ça, il fallait se montrer égoïste. Je n’étais guère intéressée par cette quête, ni par cette lutte entre l’Ordre et le Chaos. Je voulais simplement gagner correctement ma vie et – si possible – sans prendre trop de risques. Il était vrai que rien ne m’obligeais à reprendre les armes, mais que pouvais-je faire d’autre, moi qui avais été éduquée à l’Armée ? Aurais-je été contente de vivre sans la moindre action ? Sans doute pas, et c’était la raison qui me poussait à aller de l’avant malgré mes peurs.

« Cela signifie simplement que je possède une magie capable d’aider et de protéger mes alliés… J’ai néanmoins perdu une grande partie de mes pouvoirs en arrivant ici. J’essaierai tout de même de me battre au mieux. »

Il était rang argent. J’ignorais à quel point il était avancé au sein de ce rang, mais cela voulait dire qu’il avait une certaine avance sur moi. Devais-je m’en vexer ? Certainement pas, c’était même rassurant en plus de vouloir dire que je ne risquais définitivement pas grand-chose avec lui dans ce bosquet. J’acquiesçais à ses propos. Oui, inutile de provoquer les créatures passives. De plus, rester du côté de la lisière nous permettrait de facilement nous replier en cas de besoin, bien que je me doutasse que cela n’arriverait pas. Les monstres de la zone n’étaient guère très puissants. Peut-être faudrait-il aller un peu plus en profondeur pour voir des créatures plus agressives. Après tout, le but restait quand même de se battre. Je m’étais toutefois figée à sa dernière remarque. Il avait ressenti ma peur ? Ce n’était pas surprenant, surtout s’il était suffisamment gradé pour avoir entraîné des hommes au combat. Je ne savais pas trop quoi dire, soucieuse de quand même faire bonne impression. Si je lui disais la vérité, allait-il me prendre pour une lâche ? Une faible ? J’avais tout de même ma fierté.

« Je… » commençai-je.

Je n’eus pas le temps de terminer ma phrase que les Pambans que j’avais repérés nous avaient ciblés. Je me mordis la lèvre. Aurais-je pu profiter de l’effet de surprise, étant donné que j’avais vu ces monstres la première ? Je ne le saurais jamais, et je retenais que ma gêne avait été plus forte que tout. Avais-je été sauvée par le gong ? Sans doute pas, je devinais que Timoléon reviendrait à la charge. Pour l’heure, il fallait se concentrer sur le combat.

« Je vais faire en sorte à ce qu’ils focalisent leur attention sur moi, comme ça vous pourrez les attaquer sans difficultés ! »

Je sentais les palpitations de mon coeur s’accélérer, et l’adrénaline monter. Avançant prudemment vers les monstres, j’utilisais mon aura pour qu’ils focalisent tous leurs attaques sur moi. Usant de mon bouclier pour bloquer leurs attaques, j’attendis que l’opportunité se présentât pour transpercer l’un des Pambans avec ma lance. Plus que deux.

Le combat prit fin presque aussi vite qu’il avait commencé. Je vis Timoléon profiter de ma distraction pour achever les ennemis avec son arme. Dire qu’il n’avait même pas tout son équipement... En mon for intérieur, je ne pouvais m’empêcher de me dire que ce n’était pas si terrible. Qu’en recommençant de zéro, je n’aurais pas à subir les mêmes épreuves que dans mon monde. Pourtant, les souvenirs refaisaient surface, tournant en boucle dans mon esprit comme un cauchemar éternel. Néanmoins, au moment du combat, l’adrénaline avait pris le dessus, je n’avais pas été paralysée par la peur. En même temps, ces petites créatures étaient bien moins impressionnantes, bien moins dangereuses qu’un dragon. Je n’étais encore que rang bronze, et je n’allais certainement pas m’aventurer dans les zones de plus haut rang avant un bon moment. Qu’en sera-t-il lorsque l’on voudra me confier des missions réellement périlleuses ? Serai-je à la hauteur ? Car je n’allais évidemment pas rester une simple mercenaire de rang bronze durant tout mon séjour à Portalia. Certains m’auraient sans doute affirmer que cela viendrait en temps voulu, que j’aurai le temps de m’y préparer. Je ne pouvais m’empêcher de ressentir à nouveau de la peur à ces simples pensées. C’était de toute évidence un cercle sans fin.


Sans surprise, le guerrier me questionna à nouveau. Le bon côté, c’était qu’il estimait que je savais me défendre. Je le sentais également s’impatienter. Quelque part, je le comprenais, je n’avais pas été vraiment honnête avec lui, et puis il avait l’air d’avoir l’habitude des nouvelles recrues. Il devait sans doute se demander d’où venait un tel effroi alors que j’étais entraînée. Devais-je tenter de le duper à nouveau ? Non, cela ne ménerait à rien. Et puis, je ne savais pas quoi inventer cette fois. Soupirant légèrement, je me dis que je n’avais d’autre choix que de jouer franc jeu.

« Pour tout vous dire, cela remonte à mon ancien monde… J’étais une soldate dans l’Armée d’Hetacta, et nous possédions des ennemis mortels : les dragons. J’étais encore naïve et en quête de gloire lorsque, dans mon zèle, je me suis portée volontaire pour participer à un assaut contre l’un d’entre eux. »

Oui, je n’avais pas toujours manqué de confiance en moi. Lors des entraînements, ou des petites escarmouches avec les autres cités, cela se passait bien. J’avais été correctement formée, notamment par Benedikt. Pourtant, que valaient tous ces entraînements, toutes ces préparations face à des dragons ? Affronter des humains était une autre histoire, mais ces viles créatures étaient hors compétition. Je l’avais appris, à mes dépends. Le roi d’Hetacta en avait-il conscience, avant de nous envoyer au casse-pipe ? Peut-être pas, galvanisé que nous étions tous après la prétendue victoire d’Helen face à Ducaïs. Ce que nous ignorions tous, c’était la ruse de Ducaïs qui s’était fait passer pour mort afin de nous prendre au dépourvu. Helen n’avait été rien d’autre qu’une imposture, et je lui en avais tout d’abord voulu. Et puis, la colère était retombée. La jeune femme n’avait été que la victime d’un destin qu’elle n’avait guère désiré. Alors que de mon côté, j’avais choisi tout ça. J’avais choisi de faire face à d’autres dragons, de prendre des risques. L’aurais-je fait si j’avais su ce qui m’attendait ? Quelque part, ça avait été mon salut. Hetacta avait été ravagée par Ducaïs, seule la mort m’aurait attendue là-bas.

« Malgré toute notre préparation, nous n’avions été rien d’autre que de la chair à canon. Le dragon a décimé toute mon escouade et j’en suis la seule survivante. Non parce que j’ai été plus brave ou plus forte que les autres, mais parce que j’ai fui lorsque le portail s’est présenté à moi, après que le dragon ait terrassé tous les autres. »

Il n’y avait rien de brave, rien d’héroïque dans ma couardise. Les idées de gloire s’étaient bien vite évaporées en situation de combat où je n’avais pensé qu’à ma propre survie avant tout le reste. J’avais fui le combat. Beaucoup auraient trouvé cela déshonorable. Je voulais rendre ma famille fière, moi qui étais issue d’un milieu modeste. C’était pour ma mère que je m’étais engagée dans l’Armée. Que penserait-elle maintenant, si elle me voyait trembler comme une feuille face au moindre danger ? Je n’étais guère la valeureuse guerrière qu’elle aurait rêvé que je sois, j’en étais certaine.

« Depuis ce jour, j’ai peur de retourner au combat. Vous savez tout. »

Le coeur battant, j’attendais son verdict. Allait-il me juger ? Au moins, j’avais cette fois été honnête.

Il ne me jugeait pas. Il me comprenait. Avais-je imaginé cette ombre que j’avais vu passer sur son visage ? Sans doute était-il plus âgé, plus expérimenté que moi. Après tout, selon ses dires, il avait entraîné des troupes. Peut-être venait-il d’un monde où les gens étaient plus conciliants envers la peur ? Ou peut-être me souciais-je trop des apparences. Oui, c’était une possibilité. Je me demandais si Timoléon avait déjà vécu une situation similaire dans sa vie. Il me semblait invraisemblable – sinon impossible – qu’un homme tel que lui eût un jour été tétanisé à l’idée de se battre. Cela dit, j’étais un peu comme ça avant que mon chemin ne croisât celui du dragon. Et si j’arrivais à voir tout ceci comme une expérience pour me rendre plus forte ? Étais-je seulement prête à aller de l’avant ? Peut-être Timoléon voyait-il le fait que je fusse venue ici affronter ma peur comme un acte de courage malgré tout. Néanmoins, je devais reconnaître qu’il avait raison sur ce fait ; il était imprudent de venir seule, et sans prévenir personne de ma petite excursion. De quoi avais-je le plus peur en fin de compte ? De reprendre les armes ou du regard des autres ? Il était vrai que tous semblaient me voir comme une grande guerrière à en juger par ma simple apparence. La réalité était toute autre, et je n’avais eu que très peu de choix et de jugeote dans ma vie, j’en étais bien consciente.

Je me demandais en outre d’où venait la cicatrice sur le visage de Timoléon. J’avais eu la chance de m’en sortir sans marques physiques, mais quelle était l’histoire de cet affrontement ? Je ne manquerai guère de lui demander, un autre jour. Dire qu’il se battait en son monde sans magie, et dirigeait sans doute même des troupes… Là était la vraie bravoure. Il avait vraisemblablement affronté des situations bien pires que les miennes, mais se tenait toujours devant moi avec cette éternelle prestance. J’avais presque honte de ma propre couardise, du fait de m’être effondrée à la première difficulté. Nos dirigeants étaient-ils conscients que ma troupe avait été envoyée au casse-pipe ? Nos vies avaient-elles seulement de la valeur pour eux ? Il était sans doute bien aisé d’ignorer les problèmes du monde extérieur lorsque l’on restait assis sur un trône, bien protégé par ses gardes. Je m’en voulus presque aussitôt de ces pensées. Non, ce n’était pas la faute du roi, du commandement, ou même d’Helen. Et personne n’aurait pu prévoir ce qui allait se produire, j’avais fait mon propre choix en partant affronter ce dragon, en quête de gloire que j’étais alors.

La proposition de Timoléon me surprit d’autant plus. Si je comprenais le sous-entendu, il voulait se charger de m’entraîner, de me sortir de cette ombre qui me hantait ? Je n’arrivais pas à y croire, mais je ne pouvais – ni voulais – fuir face à cette situation. En réalité, je savais que je ne pouvais pas prendre éternellement mes jambes à mon coup. Réfléchissant un instant, je poussai un léger soupir, avant de le regarder droit dans les yeux. J’ignorais si j’étais digne de la tutelle de ce guerrier, mais tout enseignement était bon à prendre. Alors, je m’étais avancée d’un pas vers lui, tendant le bras pour lui serrer la main d’un air solennel.

« J’accepte. »