Repères ? [Benedikt]

Le choc de la transition passé, je commençais à m’acclimater à Portalia. Je commençais à me faire mes repères, quand bien même je n’étais encore guère sortie de la cité. Ce monde extérieur me fascinait tout autant qu’il m’effrayait. En réalité, je commençais à ressentir de la curiosité face aux aventures hors de Portalia. Il serait mentir que d’affirmer que je n’éprouvais pas la moindre peur suite à l’affrontement contre le dragon qui a tourné en fiasco. Pourtant, je savais pertinemment que je ne pourrais éternellement me morfondre sur mes expériences passées. Je me devais d’être forte et d’aller de l’avant si je souhaitais avoir la moindre chance de survivre dans ce monde nouveau. Dans cette optique, je m’étais renseignée au sujet des Familias. J’avais fini par rejoindre les Nine Head pour devenir mercenaire. Si la force armée de Portalia était répartie entre la Guilde et l’Eglise, je préférais faire bande à part ; trop méfiante que j’étais face à des grandes institutions que je connaissais guère. En restant aventurière, je croyais avoir l’opportunité d’avancé à mon rythme, sans trop d’obligations et en recevant l’appui des Nine Head pour les opérations. Je voulais avoir ma liberté, mais je me doutais qu’il serait pour le moment compliqué de faire entièrement cavalier seul.

Je m’étais en outre renseignée sur l’attaque de Portalia, les blessés et les morts qu’il y avait eus suite à l’invasion des créatures du chaos. J’avais également cru comprendre que le quartier Nord de la cité était dans des conditions particulières ; la Guilde et l’Eglise n’y allaient que rarement. Je n’avais pourtant pas encore d’avis sur la question. Je n’étais là que depuis trop peu de temps. Toutefois, les mots d’Hypanatoi me revenaient. Il affirmait que la cité-forteresse était à l’aube d’un grand changement. Était-ce vrai ? Si oui, de quel changement parlait-il ? De mon côté, bien que je ne fusse pas à plaindre, je me doutais que la politique de Portalia engendrait des mécontents. Je pouvais me tromper, mais je ne voyais pas la même solidarité au sein de cette cité qu’il pouvait y avoir au sein de la mienne. Peut-être était-ce parce qu’ils n’avaient jamais rien vécu de bien difficile hormis l’attaque du Chaos. Avec un peu de chance, cela motiverait certains à se serrer les coudes.

De mon côté, plus le temps passait, plus j’essayais de voir mon invocation comme une chance. Une chance de tout recommencer à zéro. Ils me voyaient tous comme la grande guerrière que je n’étais pas, autant maintenir le mythe pour le moment, en espérant ne pas les faire déchanter dès mes premières expéditions. Tant que j’avais un toit au-dessus de la tête et que j’avais assez d’argent pour vivre convenablement, les choses me convenaient. Il était même étrange d’être jugée avec autant d’estime alors que j’étais en réalité d’origine modeste. Mais sans doute n’avaient-ils guère besoin de le savoir. Il viendrait pourtant un temps où j’allais révéler ma véritable personnalité aux yeux de tous. Nul doute que j’engendrerai des mécontents autour de moi, également, avec le simple fait de ne pas suivre la quête. En réalité, je ne m’en souciais aucunement. Mes seuls regrets étaient de ne pas savoir comment se portait ma famille, de ne pas avoir pu leur dire au-revoir. Peut-être était-ce mieux ainsi, vu que j’avais pris mes jambes à mon coup lors du combat. Je n’aurais apporté que la honte sur mon sang, au lieu de l’honneur que j’aurais dû amener.

Faisant un tour vers les remparts de la cité, je me remémorais ce que Ryuusei m’avait dit. Sur les dragons, le fait de ne pas juger sur l’apparence. Pourtant, sont-elles si souvent trompeuses ? Un loup pouvait-il se faire réellement passer pour un agneau ? J’en doutais. Je fis aussitôt halte lorsque mon regard croisa celui d’un homme qui m’était bien familier. Je n’étais guère surprise de le retrouver ici ; Ryuusei m’avait également dit qu’il avait atterri ici. Un léger sourire en coin, je fus la première à prendre la parole.

« Benedikt. »

Comment ne pas reconnaître ces cheveux bruns, ces yeux rouges ? Pour l’avoir bien fréquenté, je n’avais aucun doute quant au fait que Benedikt était bel et bien en face de moi. Il semblait surpris de me voir. J’étais peut-être la première personne d’Hetacta qu’il avait dû croiser depuis son arrivée à Portalia. Depuis combien de temps avait-il atterri ici d’ailleurs ? Je supposais qu’il devait être là depuis plus longtemps que moi, l’expédition dans laquelle j’avais été envoyée ayant duré de longs mois. Je n’avais guère compris cette obsession de nos supérieurs à vouloir chercher à verser le sang alors que Ducaïs – notre plus grande menace – avait été vaincue. Pourtant, en tant que simple soldate, je n’étais personne pour contester les ordres – quand bien même je n’étais pas d’accord avec ces derniers. Le pire dans tout ça, c’est que j’avais dans mon zèle exprimé mon soutien de cette décision, et m’étais même portée volontaire pour partir avec quelques hommes. Nous avions été moqués de tout ceci ; j’étais moi-même persuadée de revenir couverte de gloire, de faire honneur à ma famille et à mon sang. J’étais alors bien ignare.

Au moins, les choses ne semblaient pas être les mêmes ici. Je n’aimais guère ce respect trop rigide de la hiérarchie qu’il pouvait y avoir à Hetacta, surtout lorsque les hautes sphères n’étaient pas dignes ou commettaient des erreurs. Leur erreur avait été de nous envoyer face à ce dragon qui avait été repéré au loin. Tentative de rassurer la population ? De couvrir encore plus la cité de gloire suite à la mort de Ducaïs ? Toujours était-il que nous avions échoué et que tous avaient perdu la vie lors de ce combat. Tous sauf moi.

« Ne me flatte pas. » répondis-je, sentant mon sourire s’élargir face à sa dernière remarque.

Je me demandais à quel point Benedikt avait changé ou non depuis qu’il était arrivé à Portalia. De mon côté, l’épisode de la cité-forteresse était encore trop frais pour une quelconque métamorphose. C’était surtout mon dernier affrontement qui m’avait modelée, m’avait fait voir les horreurs de la guerre au point que je ne fusse guère pressée d’y retourner en ce monde. Benedikt, lui, m’avait entraînée. C’était un guerrier méritant en plus d’être le fils du dirigeant de la cité. Nous avions bien eu une aventure ensemble, mais qui n’était pas allée plus loin que le simple jeu. Je devais malgré tout reconnaître que j’étais bien contente revoir un visage familier, surtout le sien. Je ne me sentais pourtant pas prête à lui raconter mes doutes et mes traumatismes. Nous n’étions pas assez proches, et puis le connaissant, je craignais qu’il ne me prisse pour une lâche.

« Un certain Ryuusei m’a dit que tu avais également été invoqué en ce monde.  »

Je fis un pas de plus vers lui. S’il était toujours aussi plaisant à regarder, je ne me laissais guère distraire. Des questions me brûlaient les lèvres. Plus le tempsp passait, plus je me disais qu’il y avait aiguille sous roche. J’avais vu la puissance des dragons. Alors que mon escouade avait été décimée, je ne pouvais m’empêcher de me dire que c’était impossible qu’Helen eût terrassé Ducaïs, notre plus redoutable adversaire, à elle toute seule. Si ce que je pensais était vrai, Hetacta courrait peut-être encore un grand danger.

« J’imagine que tout allait bien à Hetacta après la victoire d’Helen face à Ducaïs ? De notre côté, l’expédition s’est soldée en échec.  » je marquai une pause, fermant un instant les yeux, « Je suis la seule survivante.  »

Je sentais mon regard se perdre dans le vague. La réalité est que je me sentais coupable. Coupable d’avoir survécu alors que les autres avaient péri. Pourquoi moi ?

Loraley m’apprends rapidement qu’elle a fait la connaissance de Ryuusei et qu’ils avaient tous les deux parlé de ma présence ici. Je lève les yeux au ciel pour moi-même. Il faut vraiment que j’aille le voir et lui proposer un entrainement ou une mission. Je suis un piètre ami, surtout avec les derniers événements. En tous cas, ce n’est pas le moment de me flageller.

Et oui c’est un mec bien, pour un dragon.

Après tous, on était tous les deux de base des chasseurs de dragon chez nous. Mais vu comment Loreley avait abordé le sujet, elle ne semble pas en avoir tenue rigueur à Ryuusei ou alors elle n’était pas au courant… Après tous, je ne m’en suis pas rendu compte tous de suite non plus avant qu’il ne me le dise lui-même.

Par contre, la suite de la conversation effaça mon traditionnel sourire enjôleur, pour laisser place à un regard rempli de culpabilité et de tristesse. Je baisse les yeux et caresse ma nuque avant de pousser un profond soupir.

Pourquoi c’est moi qui annonce les mauvaises nouvelles…

Tu devrais t’assoir…je crois qu’il faut qu’on parle.

Je joins la parole au geste en m’installant sur le bord de la fontaine. De base, je n’étais pas du genre à faire dans la dentelle. La preuve en est, quand j’avais revu Helen il y a plus d’un an maintenant, j’avais été brutal avec elle pour qu’elle arrête de rêver. Aujourd’hui, je n’étais plus le même, pourtant je n’aimais pas tourner autour du pot. Cela ne servait à rien. Autant, dis ce qu’il c’était passé tous de suite. Je cherche le regard de ma compatriote, car c’est une question d’honneur pour moi, de ne pas me cacher devant elle, surtout pour lui dire le devenir de notre chez nous.

Pour être honnête, le jour de la célébration de la mort de Ducais, nous avons été pris en traitre par Ducais lui-même. Il s’avère que cette chose n’avait pas un mais deux cœurs et il a fait semblait d’être mort. Il a attaqué la cité et il n’y a eu aucun survivant…sauf Helen et moi…parce que nous avons passé le portail.

Je marque une pause pour lui laisser le temps de digérer l’information et de faire le tri dans ses potentielles questions. Je pose ma main sur la sienne, une main réconfortante. Un simple geste anodin, mais qui ne ressemble pas au moi qu’elle a pu connaitre chez nous. Les gens changent.

Je suis desolé.

La conversation prenait une autre tournure, je le sentais. Fini le sourire de Benedikt, remplacé par un air presque mélancolique. Je m’attendais au pire dans ce qu’il s’apprêtait à m’annoncer. Je m’étais raidie alors qu’il m’expliquait ce qui s’était passé pendant ma mission. Ainsi donc Ducais n’avait pas été tué et s’était vengé sur Hetacta ? Je fermai un instant les yeux, essayant tant bien que mal de me concentrer sur la signification des propos de mon interlocuteur. Mon esprit était comme devenu flou, ne voulant affronter la réalité en face. Morts, ceux que nous avions connus étaient morts. Et quand bien même il y aurait des survivants, ils seraient attendus par une vie de misère. Je sentais mon coeur se serrer. Si une part de moi s’en voulait de ne pas avoir été là, l’autre part me soufflait que ça aurait été inutile, que je n’aurais été qu’une autre victime de ce massacre. Benedikt, Helen et moi avions simplement eu de la chance de nous retrouver, vivants et dans un autre monde. Benedikt posa sa main sur la mienne, geste qui eut pour effet de m’étonner mais dont je ne fis aucune remarque. Lui, compatissant ? Était-il possible qu’il eût changé depuis tout ce temps passé à Portalia ?

« Helen n’était donc qu’une imposture. » lâchai-je, « Personne ne peut vaincre un dragon aussi facilement, je l’ai bien vu à mes dépends. »

Bien sûr, mon premier réflexe était d’en vouloir à la principale concernée. Et quand bien même j’avais servi de pont amical entre Helen et Benedikt, dont la relation était compliquée, je ne pouvais m’empêcher de la juger durement. Elle nous avait donné de faux espoirs, s’était attribué tout le mérite d’avoir vaincu l’ennemi mortel d’Hetacta. Et tout ça pour quoi ? Notre cité avait payé son arrogance. Bien qu’il eût franchi le portail avec Helen, je me doutais que les sentiments de Benedikt à son égard n’étaient guère tendres non plus. Après tout, son propre père avait commencé à le délaisser au profit de cette héroïne de pacotille. La colère passée, je m’en voulais pourtant presque de penser ainsi. Je ne voulais pas de mal à Helen. Et puis, en un sens, n’était-elle pas une autre victime ? Elle n’avait rien demandé et était sans doute tombée dans la manipulation de Ducais. Moi qui avais failli périr face à un dragon et qui les craignaient plus que tout, n’étais-je pas la mieux placée pour la comprendre ? Connaissant Helen, elle devait déjà se sentir suffisamment mal sans que j’eusse besoin d’en rajouter.

« Enfin… J’imagine que nous ne pouvons plus rien faire de plus. Ce n’est pas comme si nous pouvions réécrire le passé ou faire revenir les morts. » soupirai-je.

Oui, le mieux à faire était d’aller de l’avant – du moins le pensais-je. Nous ne pourrions peut-être jamais retrouver notre Hetacta d’avant, nos proches, mais au moins pouvions-nous nous assurer que ce monde ne subît guère le même sort. Portal n’était pas sans dangers, mais au moins la cité-forteresse avait-elle eu le mérite d’avoir tenu longtemps. Malgré les mauvaises nouvelles, j’étais contente d’avoir retrouvé Benedikt pour qu’il eût pu me raconter ce qui c’était passé. C’était toujours mieux que de rester dans l’ignorance la plus complète. Je devais tirer leçon de mes erreurs. Et quand bien même j’essayais mentalement de ne pas faire porter le poids de la culpabilité à Helen, une part de moi ne pouvait s’empêcher de la blâmer. N’était-il pas tentant de pouvoir pointer un coupable du doigt ?

« Il n’y a plus qu’à espérer que la même chose ne se produise jamais ici... Mais cette histoire d’attaque n’inaugure rien de bon. »