Au bord de mer [Kamélia]

Ce n’est peut-être qu’une impression, mais tu penses que les relations se sont crispées entre la Guilde et l’Eglise. Même si ce n’est pas ton objectif premier, tu sais que tu y as malgré toi contribué. Ta promesse envers Hypanatoi est bien sûr plus importante que tout ceci. Tu as pris un intérêt personnel à mettre à jour l’organisation derrière les supplices de Kemat. Lorsque tu as commencé tes recherches, tu étais en outre bien loin de t’imaginer qu’un haut représentant de l’Eglise serait une tête derrière tout ceci. Aster devait être puni et c’était chose faite ; Aster est mort. Pourtant, il n’est pas mort de la main du paragoï, mais de celle de l’un de ses prétendus alliés qui a choisi de lui tirer une flèche en plein cœur pour le faire taire. Il est évident que tu t’attendais à ce que l’enchaînement de ces évènements sème une certaine pagaille. Il serait mentir de dire que cela t’affecte. Tu n’as pour le moment tout simplement pas suffisamment de recul pour savoir si ce chaos va t’être utile ou non. Tu as mêlé la Guilde à tout ceci et as apporté des preuves pour appuyer tes propos là où l’Eglise voulait régler l’affaire en interne. Telle est la raison d’une tension potentielle entre ces factions qui ont pourtant l’habitude d’œuvrer ensemble. Tu penses que ce n’est que bénin, du moins pour le moment.

S’il y a bien une chose que tu as apprise depuis ton arrivée à Portalia, c’est bien l’art de la subtilité. Tu sais que tu ne gagneras guère en te montrant ouvertement hostile et belliqueuse. Peut-être est-ce la raison pour laquelle tu as accepté la mission du jour ? Le bataillon d’exploration, en accord avec le bataillon diplomatique ont annoncé qu’un représentant de la Guilde accompagnerait un représentant de l’Eglise pour récolter des informations sur la baie de Toucanga. Des portails avaient effectivement été construits pour conduire à cette zone. Tout ceci étant encore récent, il est de votre devoir de récolter toutes les informations nécessaires pour aider les futurs aventuriers qui oseraient s’aventurer dans la zone. Cette dernière étant rang argent, il faut être suffisamment fort pour venir à bout des monstres sans grande difficulté. Et tu corresponds à ce critère. Tu n’es pas dupe, tu sais pertinemment que cette opération a pour but de renforcer les relations entre la Guilde et l’Eglise afin d’éviter les querelles. En te proposant, tu sais ainsi qu’on ne t’accusera guère de vouloir semer la discorde entre les factions. Ce n’est pas tant ton zèle qui dicte tes gestes que ton esprit stratégique.

On t’a bien vite décliné l’identité de celle qui t’accompagnerait, une certaine Kamélia. Cette dernière se serait démarquée en augmentant de rang à une vitesse spectaculaire. Tu ignores pour le moment qu’elle a croisé le chemin d’Hypanatoi à de multiples reprises – ce qui aurait renforcé ton intérêt – mais tu imagines une recrue avec du potentiel. Malgré tes désaccords personnels avec l’Eglise, tu décides de ne porter aucun préjugé envers Kamélia, pas avant de l’avoir rencontrée. L’Eglise n’est pas exempte de défauts, mais la Guilde non plus si tu dois être honnête avec toi-même. Tous ne se raccordent pas à ce déclin commun et certains – comme toi – souhaitent se battre pour rendre à leur organisation leur gloire d’antan. Peut-être Kamélia est-elle une personne des plus respectables, peut-être pas. Il ne sert pour le moment à rien de spéculer ; peut-être auriez-vous le loisir de discuter et de faire connaissance lors de cette expédition.

Te rendant sur la place des portails, tu aperçois une femme aux cheveux blancs correspondant à la description que l’on t’a faite de Kamélia. Bien qu’elle demeure plus faible que toi, tu sens une certaine puissance émaner d’elle, et sans doute ne tardera-t-elle guère à passer rang or si sa progression est aussi fulgurante qu’on te l’a décrite. Tu tends la main pour la lui serrer et lui offres un léger sourire, tentative pour paraître agréable. Estimant que les raisons de cette exploration sont avant tout diplomatiques, tu ne comptes pas rater ton coup.

« Bonjour, je serai votre partenaire pour cette expédition. Je suis Freya Bloodjörn, mais vous devez probablement déjà connaître mon nom. » tu marques une pause, « Je me bats essentiellement au corps-à-corps, étant une essence rouge. J’ai également le pouvoir de cracher du feu. »

Comme toujours lorsque tu pars en mission avec quelqu’un que tu ne connais guère, tu déclines ton identité et tes pouvoirs. Tu penses que Kamélia fera de même, elle n’est sans doute pas arrivée à ce niveau pour rien.

« Nous ne savons encore peu de choses sur la baie de Toucanga. D’après nos éclaireurs, il s’agirait d’une zone argent. Nous menons cette expédition dans le but de récolter le maximum d’informations qui pourraient être utiles aux futurs aventuriers. »

Tu penses qu’un résumé de la situation est toujours utile, en plus de montrer ton sérieux. Chaque expédition en-dehors de Portalia doit être bien préparée afin d’éviter les mauvaises surprises. Ta rencontre avec le manticore lors de ton excursion solitaire à l’oasis des réfugiés te l’a bien fait savoir.

« Si vous êtes prête, je pense que nous pouvons franchir ce portail. »

La jeune femme est polie. Tu es surprise de n’avoir qu’aussi peu d’informations sur son style de combat, sans pour autant lui en tenir rigueur. Tu sais que tous les portaliens ne possèdent pas tes  réflexes guerriers. En vérité, très peu les ont. Il y a également une possibilité que tu envisages ; Kamélia se méfie peut-être de toi en raison de ton implication dans l’affaire de l’Eglise avec Hypanatoi. C’est sans doute la raison pour laquelle tu n’insistes pas sur la question. On pourrait croire que la diplomatie n’est pas votre fort à vous, alphas Drakenmayers. Pourtant, vous n’êtes pas que des bêtes avides de domination. Tu sais la jouer fine, quand tu le veux et quand tu le juges nécessaire. Tu as tout de même su t’améliorer sur ce point depuis ton arrivée à Portalia. Tu as fini par comprendre que tu ne peux calquer entièrement ta logique de Drakenmarg ici, à ton grand désarroi. Ce n’est pas le même monde, les mêmes règles ni les mêmes individus. Pourtant, il existe des similarités. Et ton esprit critique de la société portalienne t’intime que cette dernière pourrait s’inspirer de Drakenmarg sur certains aspects. Là n’est pourtant pas le sujet, pour le moment. Cette exploration jouera à la fois sur tes capacités sociales et martiales, et tu comptes bien faire attention à tes mots.

Ainsi, lorsque la femme aux cheveux blancs te propose de déposer une marque sur ta peau, tu dois te faire violence pour ne pas refuser, méfiante vis-à-vis d’une magie et d’une personne que tu ne connais guère. Pourtant, tu prends sur toi et te laisses faire. Cette mission exige d’ores-et-déjà des compromis de ton côté, que tu acceptes presque sans broncher. Est-ce là le jeu que tu joues pour soigner les apparences ? Endormir la méfiance ? Toujours est-il que si les dires de Kamélia sont vrais, cette marque vous sera d’un grand secours en cas de péripéties. Peut-être est-ce l’une des raisons qui allège ton mécontentement à ce sujet. Alors que la jeune femme t’adresse un sourire, tu essaies de faire de même avant de franchir le portail.

Alors que le décor change rapidement sous tes yeux, tu plisses les yeux face au soleil levant. Regardant autour de toi, tu vois une grande étendue d’eau. Tes pas laissent des empreintes dans le sable tandis que l’air sent une légère odeur de sel. Comme l’oasis des réfugiés, cet endroit est empreint d’une certaine familiarité. Quand bien même les jungles sont très rares à Drakenmarg, tu te souviens t’être déjà tenue près de la mer, sur une plage comme en cet instant présent. Vous êtes les seules personnes aux alentours. Il est difficile de croire que cet endroit d’apparence si paisible a pu être abandonné aux mains du chaos.

« Un autre théâtre de la bataille entre l’ordre et le chaos… » murmures-tu.

Cela t’a échappé, as-tu presque oublié la présence de Kamélia à tes côtés, qui a certainement dû entendre la remarque. Qu’en penserait-elle, en tant que membre de l’Eglise ? Tu es toujours un peu amère de ton côté, d’avoir été invoquée contre ton gré pour une bataille qui n’est pas tienne alors que tu dois déjà en mener chez toi. La perte de puissance a été très dure à supporter, ainsi que le dédain de certains portaliens. Quand bien même tu n’es pas du genre à te lamenter sur ton sort, tu ne peux qu’être révoltée d’une pareille injustice. Surtout lorsque la quête n’a pas bougé en tant de millénaires. Tout ceci est pour toi du gâchis et montre une certaine ingérence. Ce sont pourtant des valeurs que l’Eglise défend, et tu es suffisamment maligne pour ne pas aborder le sujet devant Kamélia. Au lieu de quoi, tu commences à élaborer une stratégie, fidèle à toi-même.

« Nous pourrions nous approcher de l’eau, mais ce ne serait pas très avantageux. » penses-tu tout haut, « Ni vous ni moi ne sommes des créatures aquatiques, et même si nous devrions en théorie écraser tous les monstres de la zone, nous serions désavantagées. » tu marques une pause, « Et si nous nous enfoncions plutôt dans la jungle ? Elle doit grouiller de créatures. D’après nos éclaireurs, il y aurait également un port plus loin, nous pourrions peut-être essayer de nous y diriger, histoire de voir si les habitants de la région sont pacifiques ou hostiles. »

Tu as beau être la plus haut rang des deux, tu essaies cette fois de ne pas trop te mettre en avant. Il est rare que tu te montres aussi consensuelle dans ta manière de mener, et c’est vraisemblablement à titre purement diplomatique que tu agis de la sorte. Attendant la réponse de la femme aux cheveux  blancs, tu ne peux toutefois t’empêcher de lui poser une autre question la concernant.

« Par curiosité, quel genre d’entraînement militaire avez-vous reçu ? Vous battiez-vous souvent dans votre monde ? »

Tu penses que cette curiosité ne sera pas malvenue. Peut-être même sera-t-elle prise pour une politesse car tu souhaites en savoir plus sur ta partenaire du jour.

Une certaine aura se dégage de Kamélia. Tu crois déceler en elle une consœur ; une guerrière. Tu devines une certaine expérience sous son air calme. Peut-être n’est-elle pas aussi oisive que les gens de ce monde ; sans doute n’est-elle point le portrait même que tu te fais d’une femme de l’Eglise. Ton intuition te souffle qu’elle est différente, qu’il s’agit d’une personne parlant potentiellement le même langage que le tien. Peut-être que tout ceci n’est qu’une vague impression et que cette dernière s’avère incorrecte ; pourtant, Kamélia t’inspire le même respect qu’Hypanatoi. Elle a suivi un entraînement militaire, tu le sais. Elle te le confirme par ailleurs. Lorsque ta partenaire t’affirme être une stratège, tu comprends que cette dernière ne pouvait être une simple soldate, ou un pion aisément remplaçable. Nul doute qu’il s’agit d’une meneuse, tout comme toi. Ses propos t’intéressent et t’intriguent. Il est effectivement rare que tu portes une attention aussi particulière à un invoqué. Les mondes sont peut-être bien différents, les aventuriers viennent peut-être d’horizons des plus divers, tu te retrouves souvent avec une inlassable impression de déjà-vu quand tu les sondes. Kaméla, elle, n’est pas une femme quelconque.

« Un meneur sans stratégie n’irait pas bien loin. » affirmes-tu, « Vous avez peut-être perdu en puissance en arrivant ici, mais ces qualités vous porteront loin. » tu marques une pause, « J’étais alpha dans mon monde, et destinée à la succession de Khorn. Ces termes ne vous diront sans doute rien, mais cela signifie que je menais des troupes au combat. Tout comme vous, j’ai été initiée très jeune à l’art de la guerre. »

Par ses paroles, ta partenaire du jour gagne ton respect. Tu aimes te faire ton propre avis sur les gens, ne suffit-il pas de fréquenter de grandes personnes pour devenir aussi noble. Pourtant, la simple mention d’Hypanatoi en ces termes te fait avoir un a priori positif sur la femme aux cheveux blancs. Non seulement vient-elle de son monde, mais en plus avez-vous une connaissance commune. Est-elle proche du paragoï ? Il te semble bien étrange que ce dernier se soit penché sur un membre de l’Eglise ; tu réalises néanmoins qu’il t’a fait confiance malgré ton appartenance à la Guilde. Peut-être Kamélia s’est-elle jointe à son combat pour s’attirer le respect du guerrier. Tu penses que ce n’est pas une personne douce et tendre que tu as face à toi, mais bien une combattante aguerrie.

« Hypanatoi est un grand guerrier, s’il s’est entraîné avec vous c’est qu’il vous a jugé digne. » réponds-tu, « Je le connais, car je l’aide actuellement à rendre justice vis-à-vis du sort d’une femme de votre peuple. »

Guettant la réaction de ton interlocutrice, tu as été légèrement hésitante en mentionnant Kemat. Kamélia a peut-être la confiance du paragoï, mais elle est de l’Eglise. A-t-elle entendu parler de cette affaire ? De l’implication de l’un des siens dans tout ceci ? Il est tout à fait possible qu’elle ne connaisse pas l’implication de l’Eglise dans toute cette histoire. Après tout, tu te rends compte que tous les membres de la Guilde et de l’Eglise ne sont pas corrompus. Il existe encore de l’espoir en ces organisations ; tout du moins, c’est ce que tu aimes croire. Une pensée te traverse alors : peut-être le paragoï a-t-il vu en Kamélia un espoir certain pour l’Eglise. Quand bien même tu possèdes de nombreux désaccords avec les méthodes actuelles de cette organisation, même toi n’es pas capable de mettre tout le monde dans le même sac. Toutefois, ce ne sont que des suppositions ; tu attends d'en savoir plus avant de porter le moindre jugement sur ton interlocutrice.

Alors que vous quittez la plage, tu sens la texture du sol changer. Le sable sous tes pieds devient plus dur, jusqu’à ce que tu marches sur de la terre. Tu sens une certaine humidité dans l’air, et tu entends de nombreux bruits d’animaux. Pour le moment, tu n’aperçois aucune créature du chaos. Tu n’aimes guère cette zone ; trop avare d’endroits où les bêtes peuvent se cacher. Tous les sens en alerte, tu guettes tout ce qui se passe autour de toi. C’est alors que tu entends un bruit plus important que les autres et que tu vois les broussailles frémir. Faisant un signe discret à ta partenaire, tu l’invites à te suivre derrière une épaisse végétation.

« Quoi que ce soit, il ne nous a pas repérées. » murmures-tu.

Tu observes Kamélia en penchant légèrement la tête. Tu as beau être rang or, tu es prête à lui laisser la première initiative cette fois. Elle t’a affirmé être une stratège, et si tu dois être honnête avec toi-même, tu es bien curieuse de la voir à l’œuvre en établissant un plan.

Les paroles de Kamélia attirent ton respect. Tu constates que tu ne t’es pas trompée sur ton compte ; il s’agit bel et bien d’une guerrière. Elle ne juge pas ton monde, pas plus qu’elle ne le critique. Elle n’est pas de ceux qui ne comprennent pas l’art de la guerre ; elle est de ceux qui aiment l’action. Et pour cause, elle a vraisemblablement connu la même chose dans son monde. Il est toujours rafraichissant de rencontrer des personnes qui parlent ton langage ; loin du portalien et de l’invoqué moyen, qui sont bien trop timorés pour s’entendre avec toi. Malgré toutes les médisances, tu portes fièrement les croyances de ton monde sur les épaules, en digne alpha Drakenmayer. Certains ont tenté de te faire dévier ou de te radoucir. Tu as brièvement essayé de remettre certains principes en cause, de faire un effort pour t’adapter. Pourtant, le coup de la trahison de Ryuusei a prouvé à tes yeux que tu as raison depuis le début. Kamélia parle calmement, et ses mots n’en demeurent pas moins puissants. Encore une fois loin de te juger, elle semble approuver que tu viennes en aide à Hypanatoi. Nul doute qu’il s’agit d’une personne qui a su attirer le respect du paragoï. Bien qu’elle ne possède pas tous ces souvenirs et qu’elle ne soit pas issue de la même époque, elle se sent naturellement concernée par le sort d’une femme de son monde, en sentiment de camaraderie auquel tu peux t’identifier. En quelques échanges, ta méfiance envers Kamélia a su se transformer en estime ; et tu ne doutes point qu’un glorieux avenir l’attendra par la suite.

Prenant le risque de te lever et de t’approcher de l’origine du bruit ; faute de voir directement la créature, tu vois une sorte de grand serpent de mer dans l’eau. Sa longueur a beau être impressionnante, et ses yeux vitreux, il reste pourtant en surface. Tu trouves cette constatation étonnante, tant tu aurais juré au vu de l’apparence de la créature qu’elle habiterait les profondeurs des océans. Tu l’observes un moment, mais tu ne la vois pas plonger. Le serpent de mer ne semble pourtant pas chasser à la surface. Une idée te traverse ; s’agirait-il d’une bête incapable de respirer sous l’eau ? L’idée te semble peu vraisemblable au vu de l’apparence de cette dernière, mais elle n’est pas à négliger. Tu l’avais pourtant dit plus tôt à Kamélia ; ni elle ni toi n’étant capable de vous battre efficacement dans l’eau, il vaut mieux déplacer la scène sur la terre ferme. De là où tu es, tu sens que la puissance d’essence de cette créature est nettement inférieure à la vôtre ou même à la tienne. Pourtant, tu sais que le risque zéro n’existe pas dans un combat. La créature a beau être plus faible, tu sais qu’elle risque de se débattre comme n’importe-qui pour sa vie. Peut-être auriez-vous pu tout simplement esquiver le serpent de mer, mais tu n’oublies pas que vous êtes là avant tout pour recueillir des informations sur cet endroit, la faune y compris.

« J’ai l’impression qu’il s’agit d’un prédateur. » commences-tu, « Nous devrions peut-être voir s’il est hostile et capable de sortir de l’eau. Si tel est le cas, il devrait nous attaquer à vue. » tu marques une pause, « Puisque je suis une essence rouge, je vais l’appâter. »

Tu peux te tromper, mais avisant la puissante mâchoire de la créature, il te semblerait étrange qu’elle ne vous attaque pas à vue. S’il est effectivement incapable de se déplacer sur la terre ferme, il ne bougera pas, et c’est une information qu’il faut recueillir. Après tout, tu as déjà vu des serpents se déplacer sans jambes, il ne serait pas si surprenant que le serpent de mer puisse le faire. Dans tous les cas, vous prenez des risques, car attaquant une créature que vous ne connaissez encore guère. Ta partenaire a eu une bonne analyse, aussi es-tu prête à prendre les premiers risques pour voir si la créature est capable de sortir de l’eau. Sortant des broussailles, une pierre à la main, tu la jettes dans l’eau pour attirer l’attention de la créature. C’est un succès, car cette dernière s’approche de toi – et par conséquent du rivage. La bête est lente dans ses mouvements et tu as le temps d’anticiper son attaque alors qu’elle déploie son long corps et dévoile sa gueule pleine de dents, prête à t’avaler. En outre, tu as pu être assez rapide pour esquiver l’attaque d’une roulade. La tête du serpent désormais sur la rive, tu plaques le flanc de ta lame sur la tête du monstre, utilisant ta force pour le retenir sur le rivage.

« Kamélia, à vous ! »

Sans doute es-tu assez puissante pour l’achever d’un coup, mais c’est un travail d’équipe, et tu veux voir ta partenaire à l’œuvre.

Le monstre se débat pour sa survie. Peut-être a-t-il peur, peut-être sent-il sa dernière heure venir. Ces pensées ne te traversent même pas. Tu n’as jamais eu la moindre pitié pour l’ennemi, encore moins une bête que tu estimes dénuée d’intelligence. En bonne alpha, tu écrases tes adversaires ; peu importe leur forme, leurs origines. De son côté, Kamélia est là au bon endroit et au bon moment ; tu ne t’attends à pas moins de ta partenaire. Ta stratégie est relativement risquée dans la mesure où même si le monstre est bien pataud, il a une chance de te blesser si tu ne l’achèves pas vite ; ce que tu aurais très bien pu faire toute seule. Tu places pourtant ta confiance en ta partenaire du jour pour te couvrir correctement, et elle ne te déçoit guère. Cela te donne en outre une occasion de constater ses capacités. Tu as beau être concentrée sur la créature en la maintenant immobile, tu observes du coin de l’œil le jeu d’armes de Kamélia. Le monstre cesse rapidement de se débattre, alors que tu aperçois le voile de la mort dans son regard – peut-être aveugle. Ta partenaire a tranché l’artère vitale du monstre.

T’approchant de la créature, tu notes toutes les informations que tu peux obtenir en l’observant de près. Le serpent de mer ressemble aux contes que l’on a pu te faire des créatures des profondeurs. Pourtant, il était ici présent à la surface. A-t-il été chassé des abysses ou vit-il effectivement en surface ? C’est une question à laquelle tu ne peux avoir de réponse. Toujours est-il que tu devines qu’un aventurier s’approchant des eaux pourrait avoir un peu de fil à retordre à donner à des aventuriers novices s’ils croisent une créature similaire. Vous ne l’avez affronté qu’à la surface, sans doute est-il bien plus habile sous l’eau. Malheureusement, vous ne pourrez l’emmener à la Guilde pour le faire examiner. Reportant ton attention sur Kamélia, tu acquiesces à ses propos. Sa déduction est correcte ; les cris d’agonie du monstre attireront les autres prédateurs de la région, peut-être même des charognards. Vous feriez mieux de ne pas traîner ici. Reprenant ta route, tu ne peux t’empêcher d’interroger la guerrière.

« Vous savez manier l’épée. » affirmes-tu, « Pouvez-vous m’en dire plus sur votre monde, à l’époque où vous y viviez ? Hypanatoi est un grand guerrier et je me suis battue à ses côtés, mais il est vrai que nous n’avons pas encore eu l’occasion de discuter de cela. »

Tu es curieuse, et c’est bien la preuve que Kamélia a su s’attirer ton respect pour que tu t’intéresses à elle. Ses affirmations et son affiliation à Hypanatoi laissent déjà supposer que tu n’as pas à faire à n’importe-qui, mais la voir à l’œuvre confirme ton préavis sur elle. Bien sûr, tu ne laisses pas la conversation qui s’engage entre vous deux te distraire, et tu restes à l’affut du moindre monstre trop effronté qui viendrait vous voir. Oui, tu aimerais profiter de l’occasion pour avoir quelques récits sur le monde d’Hypanatoi, Kamélia et Kemat. Tu trouves en outre étrange que la guerrière n’ait pas tous les souvenirs de son ancien monde. Cela serait-il un effet secondaire rare des invocations ? Comment serais-tu aujourd’hui si tu avais oublié Drakenmarg ? La simple idée te donne un frisson tant tu éprouves de la fidélité envers ton peuple. Tu devines pourtant que Kamélia n’est pas du genre à s’en plaindre, ni même du genre à se plaindre. Tu as sans doute avec toi une femme aussi fière que toi. Tu ne poses donc aucune question indiscrète à ce sujet, ayant suffisamment de diplomatie pour la laisser parler seulement si elle le souhaite.

« J’imagine que la transition a dû être difficile pour vous aussi. » reprends-tu, « La société portalienne est sans doute bien différente que ce que vous avez pu connaître. »

Différente est un bien faible mot tant cette société te répugne. Tu restes néanmoins prudente et mesurée dans tes propos. Kamélia a peut-être su s’attirer ton estime, mais prudence reste mère de sûreté lorsque tu te rappelles qu’il s’agit en réalité d’une mission partiellement diplomatique entre la Guilde et l’Eglise. Tu ignores encore ce que ta partenaire pense de tout ceci, et si elle rapportera tes propos à ses supérieurs. Tu ne penses pas la femme aux cheveux clairs malveillante à ton égard ; tu ignores pourtant si elle partage tes idées. Si elle fréquente Hypanatoi, sans doute ce dernier lui a-t-il déjà fait part de son mécontentement pour tout ce cirque. De toute manière, tu ne perds rien à lui demander son avis sur la question. Le tient est particulièrement critique, et peut-être lui feras-tu part de ce que tu penses s’il s’avère que vous êtes sur la même longueur d’onde.

« Que pensez-vous de l’Eglise – et plus généralement –, de Portalia ? »

Tu ouvres grand les yeux, surprise du discours de Kamélia. Tu étais loin de te douter qu’un si grand nombre d’années la séparent du paragoï. Ainsi donc il y avait des divinités autrefois, dans leur monde ? Tu en viens à te demander ce que ces dernières sont devenues ; si elles étaient bénéfiques, ou au contraire maléfiques. Nul dieu n’existe à Drakenmarg, aurais-tu – auriez-vous – supporté de vous mettre au service d’une autorité suprême ? Tu connais d’ores-et-déjà la réponse. Les grands alphas Drakenmayers auraient combattu ces dieux, les auraient éliminés dans une guerre impitoyable. Ignorant quel rapport aux dieux Kamélia et Hypanatoi possèdent – et ayant un grand respect pour ces derniers –, tu ne partages pas ces réflexions à ton interlocutrice de peur d’émettre un quelconque mauvais pas susceptible de la froisser. La femme aux cheveux blonds te paraît des plus sympathiques, et tu ne doutes plus de la grande guerrière qui se cache derrière ces sourires. Quelque chose chez Kamélia te fascine plus que chez tous ceux que tu as rencontrés. Tu devines une qualité en elle qui te semble presque inconnue ; une grande bonté envers autrui. Peut-être as-tu tort et peut-être cette impression est-elle fausse, mais la guerrière est aussi rayonnante que le soleil. Toi qui pensais qu’il était impossible de garder tant de pureté en connaissant sang et guerre, tu constates que ce monde peut-être rempli de surprises.

Ce moment d’égarement passé, la conversation dévie. Si tu acquiesces lorsqu’elle affirme qu’Hypanatoï fait honneur à son monde, tu écoutes attentivement ses propos sur l’Église et la situation actuelle de la cité-forteresse. Tu t’interromps un instant dans ta marche – de surprise –, puis esquisse un sourire. Tu es bien contente de cette rencontre, de cette partenaire que l’Église a su te confier. Peut-être aurais-tu dû t’y attendre de la part d’une femme aussi proche de ton allié, mais tu restes stupéfaite par ce parfait reflet de tes idées. Portalia a du potentiel, et Portalia va mal. Nul mépris, nulle moquerie dans la voix de la jeune femme alors qu’elle parle, est-elle même curieuse d’entendre ton propre avis à ce sujet. Tu restes un instant silencieuse, le regard perdu dans le vague, avant de relever doucement la tête. Tu te tournes vers elle, la regardant droit dans les yeux.

« Je comprends très bien ce que vous affirmez ; en réalité, je suis même entièrement d’accord avec vous. »

Tu reprends ta marche, pensive. Tu ignores à quel point tu peux poursuivre dans tes réflexions. Dois-tu révéler toute l’ampleur de tes ambitions ? Tu juges cela trop précoce, quand bien même ton intuition te souffle que Kamélia est une femme des plus dignes de confiance. Toujours est-il qu’elle connaît le sort de Kémat et est sans doute outrée d’avoir appris les supplices de cette femme venant de son monde. Aster, un haut-placé de l’Église, a été impliqué. L’a-t-elle appris de la bouche d’Hypanatoi ? Si tel est le cas, tu comprends cette sorte de réserve que tu crois déceler à l’égard de sa propre faction. Là encore tu peux te tromper, mais tu penses qu’elle ne restera pas. Car l’Église ne la mérite pas, car l’Église n’a rien à lui apporter. Qu’en est-il de toi ? Pourquoi t’accroches-tu tant à la Guilde ? Ce n’est pas tant la soif de vengeance et de justice qui guident tes pas qu’un sentiment de satisfaction personnelle. Tu n’as guère perdu l’égo de l’alpha que tu avais à Drakenmarg, et peut-être est-ce le point principal qui te différencie de personnes comme Hypanatoi et Kamélia. Tu n’en as peut-être pas conscience, mais tu n’es pas aussi noble que ces guerriers.

« J’ai vu le vice se répandre. J’ai vu la corruption ronger les grandes institutions – y compris la mienne. Lorsque je suis arrivée, j’ai été moquée pour ôser affirmer un avis contraire. Beaucoup parlent et peu agissent. Je suis quant à moi de ceux qui ne se contenteront pas de rester les bras croisés alors que des gens souffrent. »

Car Kémat aurait tout aussi bien pu être un alpha de ton monde, car des personnes invoquées contre leur gré ne méritent pas d’être de simples proies sous les yeux aveugles des autorités. Ainsi, as-tu choisi de révéler une partie de tes motivations à la femme aux cheveux blonds. Est-elle animée par la même volonté que toi, celle de faire changer les choses ? Tu crois que oui, mais tu aimerais l’entendre dire cela de vive voix.

« Tout comme vous, je continue de croire au potentiel de Portalia. Mais je ne suis pas dupe, la cité-forteresse devra un jour emprunter un autre chemin si elle ne souhaite pas frôler l’extinction. » conclus-tu d’un air sombre.

Es-tu trop pessimiste ? Tu crois sincèrement en ce que tu viens de dire. Tôt ou tard, Portalia devra payer le prix de sa corruption. Que le marteau de la justice soit celui d’Hypanatoi ou des créatures du chaos, tu sais que les choses ne peuvent continuer sur cette pente glissante. Dans tous les cas, la cité-forteresse aura le sort qu’elle choisira de mériter.