Il y a une tension dans l’air. Après un entrainement, bien trop matinal à mon gout, à la guilde, mes pas prennent la direction du quartier est vers l’Impasse des enclumes. Je bâille sans ménagement, même si l’air frais du matin me fouette un peu le visage. Depuis l’attaque du cimetière, par mesure de prudence et surement pour éviter de perdre la tête, j’ai décidé de garder mes sensations physiques actives. Tout du moins dans le contexte d’une marche au cœur de Portalia, je ne devais pas craindre grand-chose. Mes yeux se perdent au gré des visages qui me croisent. La plupart ont l'air sombre ou apeurer. C’est facilement compréhensible. Deux mille ans que les forces du chaos n’ont pas pénétrées ses murs et là, deux attaques en si peu de temps. La majeure partie de la population est sans rang, donc la mort est quelque chose de très définitif.

Un peu comme quand un membre de l’Ordre en tue un autre, comme pour…

Une pensée intrusive fait tomber une boule au creux de mon ventre. Lourde, gênante, immatériel. Mais, cette douleur me rappelle aussi que je suis humain. Ou tout du moins que je le suis pour l'instant. Mon pouvoir a beaucoup évolué ses derniers temps, surtout depuis les évènements du cimetière, et j’admets ne pas savoir où me placer par rapport à tout ça. Est-ce que c’est moi qui contrôle mon corps ou l’inverse. Est-ce que je suis encore humain ?

Cette réflexion en tête, je m’attarde un peu plus sur les gens que je croise. Notamment sur les hybrides animaux. Portalia possède surement la plus grande diversité des mondes, sans compter sur les pouvoirs octroyés par l’Ordre… On peut croiser de tout, des nains aux géants, des trolls aux changelins. Changelins…

« Hey, Aleksander ! Comment ça va, tu viens pour ta commande ? »

Accompagner du bruit familier de métal qui s’entrechoque.

Je relève la tête et pose les yeux sur mon maitre forgeron, Khorok. Un humain de grande taille à la barbe et la moustache grisonnante bien pourvue. Un marteau à la main et un lourd tablier de cuir comme protection. Son visage buriné à cause de la forge lui donne un air un peu bourru, mais il ne l'est qu'en apparence. Il est aussi solide que son enclume et chaleureux comme la forge.

« Ah, oui ! C’est ça, les couteux de lancer et les modifications pour mes armes et mes munitions. Ça peut aller et toi ? »

Mon ton n’arrivait même pas à me tromper.

Le forgeron lève un sourcil accusateur dont il a le secret et part chercher une boite métal sombre en dessous de son établi derrière la forge centrale.  

« Pas banale comme commande, même si j’ai déjà vu encore plus bizarre. Venant de toi, plus rien ne m’étonne, mais je suis curieux. À quoi ça va te servir l’ajout d’une goutte de ton sang cristallisé dans tes munitions et tes armes ? »

Il pose la lourde caisse sur le tenant en bois de son étalage et l’ouvre, découvrant un set de dix couteaux de lancer noir. Ma main se pose sur l’un d’entre eux et j’arrive à sentir la part de moi en eux.

« Tu vas voir. »

J’envoie l’un des couteaux très haut en l’air. L’acier virevolte et je me concentre sur la partie de moi dans la lame. Je me connecte à mon essence et la lame disparais pour réapparaître dans ma main.

« Pas mal, c’est grâce à ta compétence utilitaire, c'est ça ? Bien jouer gamin, très inventif ! »

Mes yeux se laissent happer par la beauté de l’ouvrage du forgeron.

« Merci, mais j'admets que ce n’est pas vraiment ce que j’ai en tête ne se moment ? »

Mon esprit revient sur ma réflexion de tout à l’heure.

« Par hasard, tu ne connaitrais pas un change formes ou quelqu’un avec ce genre de pouvoir ? J’aurais besoin de conseils. »

Mon vieil ami passe ses doigts dans sa barbe, signe incontesté d’une réflexion intense de sa part.

« T’es un petit veinard ! Il n'y a pas longtemps, une cliente m’a parlé d’une apothicaire qui pourrait correspondre à ce que tu recherches. Mais, je n’ai pas plus d’information, elle a l’air d’être assez mystérieuse. »

Il griffonne une adresse et un nom sur un bout de papier avant de me le tendre.

« Les femmes mystérieuses ne m’ont jamais fait peur, tu le sais. Merci du tuyau, je te revaudrais ça ! En parlant de ce que je te dois. »

Je fais apparaitre un sac de gils avec le prix convenu et une petite allonge.Khorok comprend immédiatement et va chercher le reste de mon équipement. Je m’empresse de ranger tout ça dans ma dimension personnelle et le salut avant de partir, papier à la main, vers l’endroit indiquer.

Arriver sur ce qui me semble être le bon endroit, mes yeux se posent sur le dos d’une femme aux longs cheveux noir de jais coupés droit et net. Bizarrement, elle est en train de poser une pancarte avec écrit “Fermer” dessus en gros sur la porte du magasin. Étrange, vu l’heure matinale et que l'on est assez loin de la pause déjeuner.

« Excusez-moi mademoiselle, je cherche une certaine…  »

Ma voix est assurée et polie. Je reprends le morceau de papier que Khorok m'a donné, je passe mes yeux sans relire. Je m’en souviens très bien, mais ça donne un effet que j’aime bien.

« Peppi ! »
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