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Hypanatoi Konostinos
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descriptionEn attendant le mieux (Petit Caillou) (Terminé) EmptyEn attendant le mieux (Petit Caillou) (Terminé)

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On pouvait en apprendre beaucoup sur une ville en fermant les yeux. Hypanatoi en avait toujours été convaincu, et sa cécité n’avait fait que renforcer cette opinion. Lorsqu’il déambulait dans les rues de Portalia, il pouvait entendre les conversations de la populace. Les cris affairés, comme les murmures pressés. Il pouvait, sans avoir besoin de comprendre la teneur de ce brouhaha, connaître la qualité des paroles qui le composait. Avant même qu’il ne perfectionne son usage des langues, il avait compris comment simplement faire la différence entre le parler d’un noble, celui d’un érudit et celui d’un gueux. Que l’on vienne de son Empire ou de la confédération d’Atium, que l’on ait le teint pâle comme un habitant des montagnes ou bronzé comme celui d’un faiseur d’amulette de Falouejd, certaines choses restaient les mêmes, intrinsèquement liées à la nature même de la pensée. Un être intelligent réagissait de manière naturelle à certains stimuli et à certaines conditions, et seuls les plus nobles, ceux dont le potentiel accordé par une naissance plus grande et une éducation capable de le stimuler, pouvaient sublimer ce réflexe. Personne ici ne le faisait. Petit Caillou, cet être au nom naïf, ne faisait qu’incarner de manière évidente et visible un mouvement qui empreignait les habitants de la cité maudite. L’ironie était cruelle, mais Hypanatoi ne la trouvait aucunement amusante : la créature risquait d’être vue comme lui voyait les habitants de Portalia. S’il ne doutait aucunement de leur bienveillance, il était tout aussi assuré de leur influence néfaste.

Et il savait par-dessus tout que le leur expliquer était inutile. Comment ces pauvres bougres auraient-ils été capable d’entendre son message ? S’ils en avaient été capables, ils se seraient d’eux-mêmes attachés à prendre les mesures que ce constat réclamait. Ce n’était pas le cas, et il avait, la mort dans l’âme, l’impression de délivrer l’esprit des roches à un funeste destin. C’était une chose que de mener le bœuf sacré à la crinière cendrée au sacrifice. Sa mort était bonne juste, et son sang bénissait durablement l’autel et plaisait aux dieux et aux divins, et son sacrifice montrait la dévotion des fidèles. Le rituel en lui-même se justifiait tout seul : le pratiquant, par la concentration totale et minutieuse qui était attendue de lui, se dépassait et sortait grandi de l’ordalie. Mais ce n’était pas Petit Caillou qu’il allait sacrifier ici : c’était son futur. La créature était un agglomérat brut et protéiforme de potentialité, et son extérieur dur et rigide cachait un esprit malléable. Ne pas lui offrir la meilleure alternative possible, c’était lui faire le plus grand tort que l’on puisse faire à un être aussi jeune que lui. C’était brader son futur. Peut-être aurait-il pu s’en charger, se répéta-t-il une fois de plus. Peut-être. Mais il n’était pas un bon pédagogue. Il ne l’avait jamais été. Ses talents s’exerçaient dans des domaines excessivement limités, et sortir de ces derniers était pour lui autant que pour les autres quelque chose de très mauvais.

« Ici, fit-il en désignant au petit être perché sur son épaule la grande rue qu’ils allaient traverser, s’étend l’artère principale de la cité. Sur ta gauche, les gens échangent les fruits de leur labeur contre ceux du labeur de leurs pairs. Ne t’inquiète pas si les coutumes de l’endroit te semblent étrange. Il te faudra prendre le temps de les comprendre, et ne pas te presser. Demande, et demande encore, et si d’aventure quelqu’un devait refuser de t’expliquer quelque chose ou se moquer de toi, passe ton chemin. C’est une vermine mauvaise, qu’il convient de garder au large. »

Il se retint d’ajouter qu’il convenait également de la rosser, voire de la mettre à mort, suivant la gravité de l’injure. Mais les affaires d’honneur faisaient autant partie des choses les plus essentielles que des affaires les plus complexes, et il savait qu’il n’aurait pas été intelligent d’encombrer l’esprit de sa nouvelle connaissance aussi rapidement. Il reprit rapidement, craignant que ce dernier ne l’encombre de nouveau d’un barrage de question. Se questionner était utile, dès lors que l’on possédait les connaissances nécessaires pour rendre cette démarche productive. Ce n’était pour l’heure pas le cas.

« Je vais te mener à la guilde des aventuriers. C’est un endroit dans lequel j’ai mes aises, et qui à l’habitude de s’occuper de gens différents. De gens comme toi et moi. Ils sauront te fournir un cadre structurant. »

Avilissant, aussi. Par tous les divins, il ne s’en était ni jamais autant voulu depuis qu’il s’était réincarné ici, ni n’avait autant douté de la sagacité de son action. Une voix discrète, tout au fond de lui, persistait à persifler à et insister : elle lui disait qu’il trahissait le petit être. Qu’il abandonnait par facilité ce dernier à un destin indigne, qu’il se fabriquait des excuses pour avoir à se décharger d’un fardeau dont il ne voulait pas. C’était là une chose terrible, et il se sentait plus indigne encore en se disant qu’il ramenait à soi-même un problème qui concernait avant lui une créature encore naïve et innocente.

Il aurait donné beaucoup, beaucoup de choses pour être simplement confronté à un adversaire insurmontable. Cela, il pouvait facilement le comprendre. Il suffisait de serrer les dents, et de chercher ses limites. Puis de les dépasser. Cela était simple, et facile et familier. Mais manier un individu si frais et épargné des vicissitudes du monde que son nom aurait facilement pu se faire synonyme d’innocence et de potentiel était autrement plus délicat. Hypanatoi était, comme il avait pu le constater à de très nombreuses reprises, paré de qualités innombrables. La délicatesse n’en faisait pas réellement partie.
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Petit Caillou était resté sur l’épaule d’Hypanatoi, le voyageur qu’il avait rencontré quelques heures plus tôt à la suite de malencontreux événements. Se déplacer ainsi était très agréable pour le bonhomme, puisqu’il pouvait voir le monde d'une nouvelle façon : jamais, auparavant, l’être n’avait pu observer l’univers à cette hauteur, ni à cette vitesse de marche non plus. Tout semblait commun et différent, familier et singulier. Tout le long du trajet, l’homoncule pointa du doigt, joua avec ce qu’il trouvait, posa des questions sur tout ce qui lui passait par la tête. C’était une sensation agréable d’avoir une personne avec qui échanger, de matérialiser ses pensées et de les voir se confronter avec celles d’un autre, quand bien même celui-ci était mille fois plus sage que ne pouvait l’être l’enfant des pierres. Il avait beaucoup à apprendre, et ce sentiment ne faisait que grandir en discutant avec son camarade : soudain, l’ampleur du monde lui sembla colossale, tout comme son ignorance d’ailleurs. Tout avait un nom, une origine, une anecdote. Le monde était bien plus complexe que ne le pensait originellement le golem. Heureusement pour lui, le chevalier semblait l’avoir pris un temps sous son aile.

Les deux explorateurs se rendaient à Portalia, la ville centrale que Petit Caillou ne connaissait qu’à demi-mots. Il avait déjà entendu les syllabes de ce toponyme alors qu’il était encore une créature immobile, incapable d’agir sur l’univers, mais il n’avait pas réussi à lui attacher du sens. Même le concept de ville lui était étranger, bien qu’il comprît assez vite que cela désignait une sorte de regroupement d’êtres vivants entre eux. Déjà, l’excitation lui faisait imaginer des individus aux physiques très disparates, peut-être même des créatures à l’allure incompréhensible, une diversité qui le laisserait sans voix. Ses yeux, pétillants d’appréhension, ne pouvaient cependant concevoir ce qu’était véritablement la cité, et ses centaines de conjectures s’avéraient toutes fausses. Il ne pouvait être autrement, après tout, rien n’était jamais identique à l’image que nous mettions nous-même à l’esprit. Il ne fut pas déçu cependant de ce qu’il observa, bien au contraire. Évidemment, tout était bizarre, flou, confus pour Petit Caillou qui essaya tant bien que mal de se tempérer pour ne pas embêter son camarade. Ses sens étaient subjugués : trop de couleurs, de bruits, de sons. En premier lieu, cette déferlante de stimulus le noya dans un surplus d’informations, avant que son esprit ne commence à apprendre à se concentrer sur certains éléments, à en faire taire d’autres, tout cela pour rendre plus intelligible cette cacophonie.

Se sentant bête avec sa lance, il l’abandonna au détour d’une rue, soudain conscient de son apparence et de ses propres différences. La honte d’être lui-même le frappa avant de s’évanouir brutalement. Bien qu’influençable et enfantin, Petit Caillou avait fait le choix volontaire de venir au monde, de sortir de sa torpeur pour fouler de ses pieds les sentiers de cette belle planète. Quand bien même se sentait-il ostraciser par sa nature, il l’acceptait avec honnêteté : tout, plutôt que de ne plus rien être. Et c’est cette volonté matérialisée d’être lui qui était sûrement son meilleur atout pour tirer son épingle du jeu. Peu importait l’obstacle désormais, il avait la chance de pouvoir le dépasser ou du moins d’essayer de le faire, et cela le rendait heureux. Ce n’était plus Sisyphe qui poussait la Pierre, mais la Pierre qui poussait Sisyphe.

L’homoncule nota mentalement les indications de son gardien, tentant de se construire une carte de l'endroit mais il e retrouva bien vite limité par ses capacités mentales. S’orienter, c’était plus compliqué que prévu, et il avait déjà perdu le chemin qui devait mener à l’artère principale.

─ Merci pour les savoirs, tu vois que tu sais plein de choses ! Fit-il en levant les bras au ciel. Puis, concentré, il s’attela à hypothéquer sur la raison d’échanger des fruits. Lui, n’ayant pas besoin de manger, se sentait un peu perdu dans cette histoire. Mais il aimait collectionner des trucs inutiles, peut-être que c’était le cas aussi de ces personnes et qu’elles voulaient en fait ramasser des objets pour les plaisirs de les avoir. C’était là une chose concevable. Je ferais attention aux oiseaux aussi, on sait jamais.

Puis, les deux compères continuèrent le chemin, vers ce qu’Hypanatoi appelait la guilde des aventuriers, un endroit où Petit Caillou allait pouvoir faire des rencontres pour l’aider à accomplir son rêve. C’était pour lui l’occasion cruciale de se faire des amis, surtout que le guerrier se vantait de bien connaître l’endroit. Nul doute qu’il était l’un des chefs vu sa carrure, et le golem l’avait dans la poche. C’était vraiment bien parti pour lui !

─ C’est quoi, structurant ? Mais d’accord, je veux bien aller là-bas, comme ça je vais pouvoir dire bonjour à plein de nouveaux copains. Tu crois qu’ils accepteraient qu’on fasse des sorties dehors ensemble ? Toi, tu voudrais ? J’ai entendu dire que les aventuriers, ça partait faire des que-quêtes. On fera une que-quête ensemble ?
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Hypanatoi n’avait beaucoup eu l’occasion de s’adonner à ses poursuites artistiques, depuis qu’il s’était réincarné à Portalia. Lui qui avait toujours apprécier de façonner autant le verbe que la matière n’avait trouvé que peu de choses dignes d’élever l’âme d’un artiste, et si son compagnon du jour lui inspirait certaines choses, les rimes qui affleuraient maintenant à la surface de sa conscience étaient tristes et banales. Il l’écouta attentivement, tentant de comprendre comment sa voix pouvait bien fonctionner. Il doutait que ce dernier dispose de poumons normalement constitués, ou tout simplement d’organes équivalents. Il doutait en vérité qu’il ait besoin de respirer. Tout du moins ne l’avait-il pas senti le faire depuis qu’il l’avait rencontré. Il vivait presque en dehors du monde, vivant sans réellement l’être. S’il obéissait aux mêmes règles qui régissaient les existences des esprits qu’il avait déjà croisé par le passé, alors il n’aurait pas non plus besoin de se ressourcer comme le faisaient les êtres de chair et de sang. Il se révélerait être un être de pure volonté, un système fermé débarrassé de nombre des impératifs vulgaires des mortels, existant en et par lui-même. C’était là quelque chose de noble et de rare, et l’apanage des purs esprits et des créatures divines. Cela aurait pu être le sien, s’il n’avait pas été happé ici, forcé de se réincarner à Portalia.

« C’est quelque chose qui peut te permettre de te développer, lui répondit-il une fois qu’il se fut tiré de ses pensées. De devenir plus que ce que tu es. C’est parfois une bonne chose, comme quand ce qui t’est ajouté est bon. Parfois, c’est une chose mauvaise. Le plus souvent, il t’appartient simplement de faire le tri. »

La plupart des gens le faisaient, et ce dernier, ironie cruelle, était ce qui au final pervertissait les bonnes choses, et les jetait dans la poussière infamante de la médiocrité. Mais Petit Caillou était encore un enfant. Un nouveau-né, en réalité. Ces concepts complexes échappaient à la plupart des carricatures d’adultes qui hantaient les rues de la cité, et s’il s’en voulait de ce qu’il allait faire en leur remettant le petit être, il savait que pécher par empressement et urgence aurait été tout aussi dommageable.

« Je suis en tout cas certain qu’ils accepteront que nous opérions ensemble. Je ne compte à vrai dire pas réellement leur laisser le choix. Et nous ferons des quêtes ensemble, certes, mais tu dois comprendre ce qu’elles sont, avant, et la préparation qu’elles demandent. Tu rencontreras en sortant de la cité des créatures mauvaises. Imagine des animaux comme les oiseaux qui sont venus t’attaquer. Mais ces animaux sont plus grands, et forts et méchants, et attaquent sans que tu ne les provoques. Et ils ne s’arrêtent que lorsque tu es brisé. Que lorsque ton esprit s’effondre après ton corps. Il te faudra t’y préparer. Mais si tu le fais, tu verras qu’il n’existe de chose plus belle et noble que de se mesurer à ces épreuves. Rien qui ne puisse autant te récompenser. »

Et ce monde, ce monde avait un avantage. Il tenait en son sein pourri, faisait fleurir sur son fumier méphitique les plus belles fleurs. Des créatures infernales, qui rivalisaient sans avoir à rougir avec les plus terrifiants monstres de sa propre planète. L’idée de pouvoir un jour s’y mesurer était en vérité la seule chose qui permettait au paragoï de conserver son calme et de continuer à se maitriser. Le chemin qui devait pour l’heure les mener à la guilde se faisait court, maintenant, alors qu’il se rapprochaient de la place des portails. Le bâtiment principal de la guilde se trouvait entre eux et celle-ci, mais il ne doutait aucunement que Petit Caillou aurait à contempler l’endroit avant que sa semaine ne s’achève. Il désigna de la main le grand bâtiment qui s’imposait de plus en plus nettement devant eux, au fur et à mesure que les rangs des habitations et des échoppes se dispersaient pour le laisser apparaître. Un grand navire échoué, qui n’avait jamais été mis à flot. Une coquille vide et rongée par les vers. Une concentration d’échecs et d’ombres complices, qui se rassemblaient ensemble pour tenter de prendre des formes plus imposantes.

C’était là que les destins nobles trouvaient leurs brisants, et là que les volontés finissaient par s’échouer. Il se demandait combien de ces gens avaient été des gens sinon admirables, au moins respectables, avant de se laisser gagner par l’apathie maniaque de la cité. Il ne voulait pas le savoir, même si l’enchainement toujours trop pressé de ses pensées l’empêchait comme souvent de jouir d’une quiétude tranquille. Quelques pas encore. Quelques rues à traverser. Quelques pensées à ressasser. Et le destin d’une créature qui n’était pas encore capable de comprendre cette notion qui se jouait maintenant, placé entre ses mains par le hasard le plus cruel.
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Petit Caillou aimait bien le mot structurant finalement, ça voulait dire qu’il allait devenir encore plus lui-même. Là, comme ça, ça lui paraissait un peu impossible d’être d’autant plus lui mais ça avait l’air sympathique, peut-être qu’il gagnerait de nouveaux pouvoirs en devenant structurant ? Lorsqu’Hypanatoi lui confirma qu’ils allaient probablement faire des quêtes ensemble, le golem ne put cacher un grand sourire tout en se balançant d’autant plus sur son épaule. Il s’était fait un vrai ami, son premier copain ! Mine de rien, ça le rendait heureux, parce que ça signifiait qu’il ne serait pas tout le temps tout seul : parfois, il voyagerait avec lui, et il apprendrait plein de trucs, bien mieux que quand il doit tout inventer.

─ Je dois me préparer ? Comment on se prépare ? Sans avoir besoin de rations, de tentes, d’équipements ou d’armes, Petit Caillou ne comprenait pas ce que voulait dire son camarade. L’existence de créatures plus puissantes et antipathiques que les oiseaux l’intrigua autant qu’il avait froid dans le dos en pensant à elles. Le bonhomme était encore trop faible pour combattre, et le chemin à parcourir lui parut soudain si long. Mais l’homoncule était convaincu d’une chose : si on lui laissait le temps, il grandirait pour devenir plus fort, jusqu’à le devenir suffisamment pour rivaliser en force avec son protecteur. Il devait apprendre à mieux maîtriser ses pouvoirs, à mieux jouer avec les autres cailloux et les absorber pour grandir. J’ai hâte de voir les monstres !  Tu crois que je pourrais devenir assez musclé pour les battre ? Tu crois que je pourrais un jour gagner contre toi ?

Tant de questions qui tournaient en fond dans une si petite tête. Peut-être que ça n’était pas le but de son gardien, toujours est-il que discuter permettait au petit être de ne plus se laisser déborder par les informations de la cité. Avec les minutes de marche, il commençait à apprécier observer de nouveaux visages, contempler les enfants qui jouent, se perdre dans les couleurs et les sons. Évidemment, l’homoncule ne se doutait pas du handicap de son porteur, tant celui-ci n’avait pas l’air spécialement diminué par son trouble de la vision. Et pour un être aussi simple, dont chacun des traits remplissaient sa part sans besoin de se conformer à la réalité, il était inconcevable pour lui d’avoir des yeux et de ne pas pouvoir voir. En-tout-cas, il se plaisait de plus en plus ici, et il trouvait un certain réconfort dans le regard des habitants. Loin de le pointer sauvagement du doigt, les personnes lui lançaient des regards intrigués, surpris et amusés. Parfois, quand il croisait un gamin qui passait quelques secondes à l’observer, Petit Caillou le saluait gentiment en levant le bras. Il semblait avoir un certain succès.

─ Ils m’aiment bien, je crois, souffla-t-il en se penchant au cou de son imposante monture. Je vais leur faire des câlins. Et c’est là qu’une divergence culturelle frappa, littéralement, les joues des habitants. Pour lui, une accolade consistait à faire s’envoler des pierres et à les réceptionner dans ses bras. Alors, pour se montrer sympathique auprès des citoyens, il envoya des morceaux de lui les rejoindre pour une cajolerie, peut-être un peu trop forte parfois. Un câlin pour toi, un autre pour toi, et encore un autre pour toi ! Plein de câlins !
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Quand l'esprit des roches commença à lapider le tout-venant, Hypanatoi n’eut pas immédiatement le cœur de l’interrompre. C’était là quelque chose de très bien, et que lui-même avait longtemps voulu se permettre. Il n’aurait certes peut-être pas choisi des méthodes aussi douces par manifester son déplaisir, mais il devait avouer que voir le jeune esprit des roches faire preuve d’une libéralité aussi louable était un excellent signe. Il comprenait bien sûr qu’il ne le faisait pas pour les bonnes raisons, mais il s’accorda tout de même quelques longues secondes avant de réagir. Malgré le fait qu’il n’ait pas pour la faune locale la même affection que pour les oisillons précédemment piétinés, il savait que Petit Caillou allait finir par assommer un des habitants, voire par lui fendre le crâne. Et il restait responsable de ce genre d’accident, comme tout adulte responsable d’un enfant placé sous sa houlette. Il leva donc un bras, intimant d’un geste aux cibles des affections de la créature de passer leur chemin, avant de refermer doucement mais fermement sa main autour de celles de son compagnon.

« Cesse, lui intima-t-il sur un ton égal. Ce que tu appelles câlin ne se fait qu’entre pierres. Il te faut comprendre que les usages du monde son bien différents des tiens. Jeter des choses sur les gens est un signe d’agression, et non d’affection. Fais-leur signe de la main si tu veux leur témoigner ton amitié. »

Il marqua une courte pause, et desserra ses doigts, avant de reprendre. Le sujet suivant était plus complexe, bien que tout aussi plaisant. S’il doutait que son nouveau compagnon bénéficie réellement d’un régime d’exercice physique, il était en revanche persuadé qu’il serait assez aisé de gagner en puissance. Même en occultant l’influence surnaturelle des entités jumelles, les esprits de la nature étaient naturellement emplis de magie. Il était tout simplement normal de croître avec le temps, et leur puissance était souvent uniquement proportionné à leur volonté et à leur maîtrise de leurs dons. C’était pour le paragoï une chose regrettable, qui les empêchait généralement de posséder un potentiel réellement divin. Mais il doutait de toute façon que ce genre de considération flotte déjà dans l’esprit encore immature de Petit Caillou.

« La préparation dépend de chacun, et de ses moyens. Certains points communs persistent quoi qu’il arrive de manière immuable : se battre, c’est vouloir tuer. Faire acte de violence. Imposer sa volonté à l’ennemi en face de soi. Le reste n’est au final que fioriture. Prends par exemple, ton câlin. Imagine que tu sois capable d’envoyer des pierres avec suffisamment de force pour briser le corps de ta cible. Imagine que l’arme que tu avais façonnée soit tranchante et lourde, et que tu l’abattes sur ton ennemi. Cela te serait indéniablement utile, mais il te faudra sans le moindre doute du temps pour être capable de le faire. »

Beaucoup de gens d’ici auraient sans doute pensé la créature incapable de violence. Ils auraient vu un enfant innocent, un joyau fragile et précieux qu’il convenait de préserver. Il comprenait bien la mentalité dominante, maintenant, et il connaissait sa propension à l’erreur. Petit Caillou avait beau avoir la stature d’un gamin, et l’esprit qui allait avec, il savait très clairement de quoi il était capable. Il grandirait, et gagnerait en importance et en stature, et son esprit perdrait l’aspect du galet arrondi par les flots pour prendre celui du silex tranchant. C’était une chose presque totalement assurée, s’il pouvait se soustraire suffisamment à l’influence de Portalia. L’instinct qui se montrait au-travers de ses réactions était sans appel.

« Quant à pouvoir battre les monstres, ou me surpasser, cela dépendra grandement de toi. Il te faudra découvrir ton potentiel, et fournir suffisamment d’efforts pour le faire grandir. Fais-le, mais sache que je pars avec une considérable avance, et que je ne compte aucunement ralentir l’allure. »

Ils pénétrèrent rapidement l’enceinte du bâtiment de la guilde, l’endroit toujours affairé les happant dans sa gueule béante. Le paragoï dut jouer des coudes pour se dégager du flot épais des aventuriers qui se rendaient à tel ou tel comptoir, les bras souvent chargés des preuves de leur victoire sur tel ou tel monstre. Il ne doutait aucunement que Petit Caillou serait sensible à ce spectacle. Si ses propres sens rendaient difficile une exposition prolongée, lui-même devait avouer avoir au début apprécié l’atmosphère qui se dégageait des lieux. Les choses avaient changé, depuis, mais ce n’était malgré cela pas l’endroit qu’il haïssait le plus à Portalia.

Dernière édition par Hypanatoi Konostinos le Sam 25 Juin - 11:49, édité 1 fois
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Manifestement, les câlins de petit Caillou ne plus pas au chevalier, qui lui demanda de s’arrêter après quelques secondes de ce manège. Selon lui, c’était une chose qu’on ne faisait qu’entre pierres. Sans le vouloir, le bonhomme se montrait très agressif et violent envers les habitants qui réagirent aussi en lui jetant des choses en retour – ce qu’il avait pris, originellement, comme un signe autant amical que l’était le sien. Décidément, tout était bien compliqué.

─ Ah ? Bon, d’accord, je savais pas. Je vais faire des signes de main alors, désolé. Et, se faisant, il agita les bras en essayant de formuler des excuses envers les personnes qu’il avait blessé involontairement.

Évidemment, ceux qui s’étaient pris un projectile ne se montraient plus tout à fait sympathique envers le golem, qui cessa bien vite de saluer les gens pour tenter de se faire discret, en écoutant le discours d’Hypanatoi sur ce que signifiait se préparer au juste. Devait-on toujours vouloir tuer pour se battre ? Cela lui semblait un peu trop, lui ne voulait que s’amuser avec les créatures, faire des combats d’épées et ensuite passer à autre chose. De toute manière, le concept de mort lui était encore un peu trop lointain pour que Petit Caillou puisse y accorder une véritable importance : de ce qu’il avait réussi à comprendre, mourir c’était devenir immobile, comme avant qu’il ne se fasse pousser des jambes. Mais ça ne voulait pas dire que les êtres vivants ne pouvaient pas décider de se faire repousser des membres juste après !

─ Ah ! Tu penses que mes câlins pourraient faire ça ? C’est vrai que je n’avais pas pensé à ça, mais je pourrais faire comme la lance de tout à l’heure, et en lancer plein sur les méchants ! Tu vois, je te connais depuis pas longtemps et je suis déjà plus fort ! T’es trop cool ! Il écouta attentivement la tirade de son camarade sur le développement de son potentiel avant de lui répondre à son tour : C’est de la triche, tu marches plus vite aussi, c’est normal que tu me dépasses ! Mais en tout cas, je vais tout faire pour devenir vraiment puissant, parce qu’à vrai dire, je serais pas quoi faire d’autre et que ça a l’air un peu rigolo quand même.

Ils arrivèrent enfin aux portes du bâtiment de la guilde d’aventurier et, ouvrant les portes, Petit Caillou découvrit un spectacle qui fit pétiller ses petits yeux enfantins. Ici, dans cet endroit, s’entassaient et se bousculaient des centaines d’aventuriers, tous à l’apparence et aux équipements farfelus. Certains avaient des morceaux de monstres, d’autres des parchemins mais tous semblaient s’affairer à des tâches importantes. C’était impressionnant à regarder, un peu effrayant aux premiers abords mais c’était bizarrement stimulant. Le golem se sentait déjà chez lui.
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Petit Caillou parlait comme un enfant. Son langage était à peine construit, et s’il goutait avec curiosité et appétit aux mots inconnus qui émaillaient celui du paragoï, il apparaissait comme évident à Hypanatoi que certaines nuances ne lui parvenaient pas. Malgré cela, il pensait qu’il existait entre eux une certaine forme de compréhension, et plus encore une certaine affinité. Il reconnaissait certaines choses dans son nouveau compagnon, certaines choses plaisantes et nobles, certaines choses qui méritaient d’être protégées et encouragées. Il pouvait sentir en lui des appétits simples, et il avait dans sa touchante naïveté étalé une vérité que la plupart des combattants peinaient à réellement comprendre. Il voulait devenir puissant, parce que rien d’autre ne s’ouvrait réellement à lui. C’était là le fondement de la philosophie des paragoï, et au-delà d’elle de tout son peuple. Grandir et croître, lutter contre l’appel des choses faciles qui entrainaient la stagnation, reconnaître qu’il n’existait qu’un seul choix possible, celui de la force. Certains ici prétendaient ne pas comprendre cette vérité simple, la remplacer, voire pire encore, la corrompre. Ils y imposaient d’autres idéaux, des idéaux répugnants. Son propre peuple avait tué ses dieux, quand ces derniers avaient voulu le faire. Et le résultat était plaisant et juste. La morale et la vertu fleurissaient en eux, et les barbaroï de Portalia croupissaient dans leur propre fange. Ils se faisaient les jardiniers de leurs propres friches, les bâtisseurs de leurs propres prisons.

Et Petit Caillou, merveilleux de compréhension, montrait par son naturel ce que très peu d’élus parvenaient à comprendre, ce qui demandait souvent moult années de conflits et de luttes et d’épreuves et de douloureuses méditations. Il n’avait pas à amputer le superflu, à atrophier son propre être pour le réduire à l’essentiel. Né d’un mouvement de la nature, il avait acquis le langage et la pensée sans avoir à s’encombrer des impuretés qui accompagnaient normalement leur apprentissage. Hypanatoi connaissait le fonctionnement de ces esprits, mais ses occupations précédentes ne lui avaient jamais laissé le temps de batifoler oisivement dans la nature jusqu’à tomber sur l’un d’entre eux, suffisamment juvénile pour se dévoiler dans cet état d’incomplétude fascinant. Il le laissa terminer, cherchant à comprendre à travers ses paroles les chemins qu’empruntait son esprit. S’il comptait l’aider, même sans avoir le luxe regretté de pouvoir lui consacrer toutes les ressources que sa situation méritait, il fallait qu’il s’attache à exceller. Comme il le faisait habituellement. Comme il le faisait, parce que c’était pour lui la seule façon de faire.

« C’est pour toi une chance que la vitesse de ma marche. En cherchant à me rattraper, tu iras d’autant plus vite. Si tu dois retenir une seule chose de nos conversations du jour, retiens celle-ci. »

Il n’était pas sûr de ce qu’il pouvait dire, maintenant. Parler plus aurait été superflu, et il ne voulait pas donner à Petit Caillou l’impression que la légèreté et la frivolité étaient des traits désirables. Il avait certes en face de lui un être précieux, que son instinct le poussait à vouloir assister, mais il n’entendait pas non plus s’aveugler. La créature avait un très long chemin à parcourir, et la route qui devait la mener au succès et à l’aboutissement de son être était longue. Les chances pour qu’il y parvienne étaient faibles : son environnement ne le favorisait en rien. Entrant dans le grand hall ouvert de la guilde, il se dirigea vers le comptoir qui accueillait les personnages nouvellement incarnés sur ce monde. Il lui faudrait encore accompagner l’esprit des roches dans ses démarches. Lutter contre l’enfer bureaucratique qu’était capable de produire la guilde était un sort particulièrement terrible, qu’il ne souhaitait qu’aux pires misérables. La Guilde fournissait aux gens qui s’y présentaient des logements temporaires, et pour ceux qui acceptaient de prêter leur bras à sa cause, ces accommodations devenaient parfois plus permanentes. L’endroit avait l’habitude de traiter avec des gens venant de contrées moins civilisées, et il savait que Petit Caillou aurait le cas échéant pu être guidé. Cela aurait simplement demandé un peu plus de temps.

Il ne voulait de toute façon pas le chaperonner. Son petit camarade aurait dans le futur à apprendre à se débrouiller sans son conseil. Mais il était sûr que ce n’était là rien que quelques sessions d’entrainements et quelques quêtes ne puisse régler. Les leçons qu’il allait y apprendre s’appliqueraient avec facilité dans le reste de sa vie, et façonneraient sa manière de voir le monde. Du moins ne pouvait-il que l’espérer. Posant doucement mais fermement le plat ganté de sa main contre le bureau du réceptionniste, il désigna la petite créature qui l’accompagnait. Ils pourraient se saouler à souhait plus tard, s’emplir sans modération des joies sauvages de l’aventure ; pour l’heure, il fallait se confronter à des ennemis bien plus retors, aux visages parsemés de sourires crispés et aux langages doubles.
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descriptionEn attendant le mieux (Petit Caillou) (Terminé) EmptyRe: En attendant le mieux (Petit Caillou) (Terminé)

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