Je me réveillai aux aurores le lendemain matin, courbaturée de mes efforts de la veille. Mon alambic sifflait désagréablement, probablement car il n’y avait plus rien à distiller.
Gustave était affairé au-dessus, à essayer de décrocher le thermomètre avec ses petites mains. Cette vision matinale me fit sourire.
Mais alors, risque pas de te brûler comme ça, pourquoi ne pas avoir éteint le chauffe-eau en premier lieu ?
Mou, zlou, bini bini !
Je fronçai les sourcils et regardai l’état du chauffe-eau. Effectivement, il était déjà éteint. Ne comprenant pas d’où pouvait provenir un tel bruit, j’attrapai machinalement le tube réfrigérant, et me brûlai les doigts.
Bah, il est là, le problème : l’eau passe plus, ça empêche le liquide de refroidir, heureusement que Gus à viré les embouchures, sinon, ça aurait pu exploser…
Contrariée, j’aidai mon ami à démonter la structure de l’alambic pour pouvoir faire reposer les éléments de verrerie. Je vérifiai également que la solution qui avait été préparée pendant la nuit n’avait subi aucun dommage, puis une fois tout danger écarté, m’autorisai à souffler un peu.
Eh beh, heureusement que t’étais là, p’tit Gus !
Celui-ci bomba le torse, puis tendit de son petit poing une petite fiole vide. J’entrepris de verser la solution décapante dans une série de fioles de ce genre, vérifiai une dernière fois que mon matériel était hors de danger et que l’eau du robinet coulait normalement, puis sortis de ma maison avec ma sacoche. C’était étonnant que mon robinet ait cessé de fonctionner pendant la nuit, mais après tout, les pannes arrivaient de temps en temps, et l’eau semblait revenue à la normale ce matin. A croire que quelque chose se baladait parfois dans la tuyauterie de la ville ! N’importe quoi.
J’arrivai sur la plage et regardai le bateau à moitié détruit. Allez, on se motive, au travail !
J’aspergeai alors la quasi totalité de la coque de mon mélange décapant, et remarquai que celui-ci fonctionnait à merveille : je n’avais à peine qu’à passer la main pour que tous les parasites et la mousse ne se décrochent. Satisfaite de ma trouvaille, je réussis à nettoyer entièrement le bateau en moins d’une demie-journée, puis renforçai le bois avec un peu de vernis, que je laissai sécher quelques heures de plus. Pas un seul crustacé n’était revenu élire domicile dans ce vieux rafiot : tous avaient dû migrer vers l’autre épave un peu plus loin, ce qui n’était pas pour me déplaire. Je soupirai d’aise, fière de ma trouvaille. Puis, lorsque le vernis fut bien sec, et le bateau parfaitement propre, je me décidai à le mettre en mer, pour vérifier son étanchéité.
Je n’étais pas spécialement douée pour la navigation, et n’avais, pour être honnête, jamais mis le pied sur un navire de ma vie, aussi, pour cette partie-là, osai-je m’avouer mes faiblesses. Je rentrai vers le port de la ville, et demandai au premier marin que je croisai de m’aider dans mon entreprise. Celui-ci me suivit en hochant la tête, content de la quinzaine de gils que je lui proposais pour me prêter main forte.
A deux, nous pûmes, non sans mal et un peu d’aide magique de la part du marin, mettre enfin le bateau à la mer, puis monter à l’intérieur.
Ce fut une réussite : ainsi, nous naviguâmes vers le port pour garer le navire dans un endroit plus approprié. Je remerciai le marin chaleureusement, un sourire de fierté jusqu’aux oreilles.
« Pas d’quoi, ma’m’zelle ! » fit-il en partant.
Soulagée que mon épreuve soit terminée, je regardai avec satisfaction mon œuvre, ce navire flambant neuf.
Mou, izi ba !
T’as raison, mon Gus, il lui manque un truc, à ce rafiot : un nom. Qu’est-ce que tu dirais du « Gustave » ?
Mon ami accueillit la nouvelle en explosant de spores de joie.
Ah bah bravo, ma vieille… eus-je à peine le temps de me dire avant que mes yeux ne se remplissent d’amour pour le marin, qui s’éloignait, dos à moi, me brisant ainsi le cœur.
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