Biiieen.
Parfait.
La mission : se faire passer pour un être innocent était un franc succès. Tout le reste : une vraie catastrophe. Il faut croire que la confiance vient au prix de la crédibilité. Je ne voyais que cela comme explication, alors que je me tenais au fin fond des quartiers nord, dans une partie manifestement épargnée par l’attaque du machin-saurus, au milieu d’une bande d’enfants sauvages piaillant comme des poulets de campagne, courant dans tous les sens, tentant chacun d’attraper l’autre dans un jeu dont je ne connaissais ni ne voulais connaitre les règles. A mes côtés, une nourrice à l’air épuisée m’expliquait avec enthousiasme que la guilde m’avait envoyé ici en renfort et qu’elle était ravie d’avoir un peu d’aide pour occuper ces charmantes bouilles et leur changer les idées.
Les récents évènements avaient apparemment conduit à une augmentation de la population de l’orphelinat et le personnel s’en retrouvait débordé. Alors, faute de grives, on appelle les aventuriers. De toute façon, c’est bien connu, un aventurier, ça sait tout faire. Y compris s’occuper d’une bande de créature fragile agitée qui tente par tous les moyens possibles de mettre fins à ses jours.

Je n’avais aucune idée de ce que je faisais là. Et c’est avec grand désespoir que je vis partir ma guide du jour, précipitamment vers quelque lait sur le feu.
Figé, au milieu du cataclysme ambiant, je regardais les gamins avec un certain désarroi, attirant l’attention des plus curieux. La dernière fois que j’avais été en contact avec des gamins, c’était dans la courée de la maison de passe, à quatre ans lorsque mon maître avait échangé quelques piécettes avec ma mère, m’avait pris par la main et que j’avais laissée derrière moi mes copains infortunés au milieu d’une partie d’un jeu qui impliquait une vieille couverture cousue en forme de ballon.
C’est à peu près tout le souvenir que j’en avais.

Depuis, j’avais évité les gamins comme l’alerte générale qu’ils étaient. Un gosse, même avec un couteau sous la gorge, ça ne s’arrête pas de crier. Donc ne jamais réveiller un gamin. Et, je ne sais pas si mon maître les triait ou si personne ne s’embêtait à mandater un assassin pour cela - sans doute parce qu’ils meurent en soufflant dessus -, mais je n’ai jamais eu à tuer le moindre enfant. ….Ça allait peut-être bientôt changer.

Il ne fallut pas bien longtemps pour qu’un curieux en attire un autre et avant que j’aie pu organiser mes idées je me retrouvais bientôt entouré de petites têtes, plus ou moins élevé et plus ou moins bien élevé.
Je suis un assassin. Je sais me débarrasser d’un seul ennemi en quelques secondes. Mais je gère très mal les groupes. Et là, ils étaient clairement en surnombre. Devant mon absence de réaction, principalement due au fait que je n’avais aucune idée de comment réagir, une petite voix finit par s’élever un peu plus haut que le brouhaha qui se dégageait déjà du groupe :

« Vous êtes là pour la pièce de théâtre ?
La mimine de l’enfant qui avait posé la question désignait un livre coloré, et à bien y regarder, plusieurs d’entre eux en tenaient aussi dans leur main. Avant que j’aie pu répondre, un enfant, qui la dépassait de trois têtes lança avec un haussement d’épaules :

- Mais non, c’est juste un nouveau !
- Il est grand non, pour un nouveau ?
- Pas tant que ça. »
Je venais de me faire insulter par une bande de mômes, là, non ? Machinalement, je remuais le poignet, histoire de sentir le couteau dissimulé dans ma manche. On m’avait demandé de laisser ma dague au vestiaire, mais on ne m’avait pas fouillé pour le reste. C’était tentant. Surtout au vu du débat naissant sur mon âge probable et la raison de ma venue. J’entendis même « ça se voit qu’c’est un vieux ! » qui me fit étrangement du bien.
Le ton montait presque déjà et je levais les mains pour réclamer le calme.

Ce qui n’eut aucun effet.

La journée allait être longue. Du coin de l’œil, je pouvais voir une fille tirer les cheveux d’une autre. Très longue…