Ne pas parler de ma naissance, tu dis ? Quel dommage, c’est la partie la plus croustillante ! Si, si, je le jure. Tu vois, je suis un fils de p… éripatéticienne. Non, c’est vrai, je ne dis pas ça pour m’insulter. Parce que je m’insulte parfois, comme tout le monde. Mais là, non, je suis né dans la joie, pardon, d’une fille de joie, un peu niaise à ce qu’on m’a dit. Je sais pas, je l’ai à peine connue. Elle m’a vendu quand j’avais quatre ans. Longue histoire, j’y viens après. Je te fais la version courte sur ma naissance d’abord.


En gros, ma mère taffait dans une maison de passe. Elle a …euh… rencontré mon père parce que… J’aurais ptet dû commencer par là… Ok. Je viens d’un monde où vivent des humains et des elfes. C’est une longue histoire alors en version courte, y’as eu des guerres, les humains ont gagné, ne me demande pas comment ça m’échappe encore, les elfes sont allés se planquer dans la forêt, enfin, ceux qui n’ont pas été réduits en esclavage. Sauf qu’un jour, t’as un elfe, du genre dague dans le dos, si tu vois ce que je veux dire – entre nous, si tu ne vois pas, on va vite avoir un problème… Donc t’as un elfe qui a croisé la route d’un type et ensemble, ils ont décidé que ce n’était quand même pas super cette situation pour les elfes. Alors ils ont mené une révolte, un truc long et ambigu avec plein de retournement et des nuits torrides à ce qu’on m’a dit. Bref, ils ont gagné, les elfes sont revenus au pouvoir et ils voulaient un peu se venger. Ce qui est compréhensible. Enfin, bref, tu vois le truc.

Mais le type bizarre, il a dit « non, stop, y’as eu assez de conflit, vous vous calmez tout de suite ou je débarque avec mon armée ». Ouai, je ne sais pas non plus si toute cette histoire est vraie, mais c’est ce qu’on raconte et j’ai pas été à l’école ! Oui, la faute était voulue. DONC, je disais, le type a dit non, les elfes ont fait « tant pis mais on les surveille de près » et c’est comme ça que les villes humaines se sont retrouvées avec des patrouilles elfiques dans leurs murs. Et comme ça que ma mère s’est fait tringler par un elfe un soir de pleine lune. … Je déconne, pour la pleine lune.


Comment ça aucune de ces informations n’a la moindre utilité ? Bien sûr qu’elles sont inutiles ! Parce que, tu vois, les informations utiles, ça se paye. Un logement et une place dans ce monde ? Des soins ? ok. Bon argument.
On en était à ma naissance. On va sauter direct à la case où ma mère me vend : Elle avait besoin d’argent, j’étais une bouche à nourrir un type est passé par là. Fin de la case.

Non, mais en vrai, ça n’a rien de dramatique. J’ai été élevé par un homme qui s’est dit qu’un demi-elfe, ce serait vachement pratique dans son métier. Tu te souviens quand je te parlais de dague dans le dos ? Bah voilà. Mon maître, il était comme ça. Je dis maître parce qu’il m’a tout appris, pas parce que j’étais son esclave. L’esclavagisme a été aboli après la révolte.

Du coup, j’ai grandi en m’entrainant à manier une dague, et une épée, plus tard, mais j’ai toujours préféré les dagues. C’est plus rapide, discret et ça se lance mieux. Je sais comment faire des poisons et des remèdes avec ce que tu trouves dans la nature… Ce qui est parfaitement inutile ici parce que la faune et la flore sont différentes… Me..rcredi.. J’ai le droit de jurer ? J’espère que j’ai le droit de jurer, sinon ce monde va être très vite chi… ennuyant. Donc ! … J’en étais où ? A oui, l’entrainement. Oui, bon, version courte, j’ai été entrainé pour rentrer chez les gens et faire ce pour quoi on payait mon maître.

Je n’ai pas eu beaucoup l’occasion de le mettre en pratique, juste assez pour trouver ça … relativement normal. Du moins j’ai grandi en voyant un homme – que je respecte et respecterai toujours… Que je respecterai. … Ouai…

…

Voilà, j’ai grandi en voyant un grand homme en faire son métier et ça ne me choque pas le moins du monde. Chez nous, la réincarnation fait partie des croyances. Certains diraient que, du coup, il ne faut pas tuer son prochain parce que ça pourrait être ton défunt père, personnellement, je me dis que le père n’avait qu’à se réincarner en quelqu’un qu’on ne me demande pas de tuer. Je n’ai jamais compris tous ces larmoiements autour des cadavres… Mais… Je saisis mieux maintenant…

Pas que ce soit le sujet.

Je me souviens, c’était il y a …quatre ans ? Oui, ça doit être ça. Il y a quatre ans on est passé de la théorie, ou j’apprenais et j’aidais juste mon maître pour des diversions et des petites choses comme ça, à la pratique. Il m’a confié une mission. J’étais super fier ! J’allais pouvoir lui prouver que j’étais utile ! J’allais lui montrer à quel point j’étais fort et il allait me féliciter ! Il fallait juste terminer un type, assez vieux, qui devait avoir fâché un type pété de thune. Ce n’est pas très dur à faire comme supposition, c’est quasiment toujours comme ça que ça commence. Sa maison était en bordure de la ville, il n’y avait qu’une patrouille à éviter. Mon maître m’avait choisi une cible facile… Il était dans l’ombre pour veiller sur moi, mais, je ne savais pas dire où. Il a toujours été très doué pour se cacher. Moi aussi, depuis, mais pas ce jour-là.

La patrouille venait de passer, c’était le moment idéal. Je ne quittais pas la fenêtre des yeux, c’était facile, il suffisait de prendre appui sur le muret, sauter, planter une dague entre la troisième et la quatrième pierre, là où la jointure était mauvaise, pour se hisser ensuite sur le rebord. Tout ce qu’il me restait à faire, c’était forcer l’ouverture, entrer, planter ma dague dans le cou d’un vieil homme endormi et ressortir, ni vu ni connu. Du travail bien fait, sans accroc… Mais… J’ai dû perdre trop de temps en glissant sur le muret, ou alors j’étais juste trop fier de moi en ressortant… Pas assez attentif… Quand je suis ressorti, il y avait un garde en bas. Je ne sais pas, il a dû faire demi-tour pour… ramasser un truc ou autre… Ou peut-être que j’ai fait trop de bruit. Mais, il m’a vu, et il a sorti son épée.

Puis il s’est effondré sur le sol et il est mort là. Mon maître n’a rien dit en ramassant sa dague. Il n’a rien dit non plus pendant qu’on cachait le corps, ni sur le chemin du retour. Et… Je veux dire… C’est mal. On avait été payé pour le vieux, mais le garde… Il faisait juste son boulot, comme nous, il était pas… Il avait pas à mourir. Tuer en dehors des cibles, c’est juste être un meurtrier, c’est du travail bâclé…

Alors j’ai repris l’entrainement et il s’est passé un certain temps avant que j’aie une nouvelle cible. Je n’ai plus jamais refait la même erreur. J’en ai fait d’autres, mais pas de celles qui coutent la vie d’un type innocent.
On vivait bien, mon maître et moi. Je parlais pour quatre, il ne disait pas un mot, on riait parfois. C’était la vie. Et puis… Tu te doutes bien, je ne serais pas là, ou en tout cas pas tout seul, si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. C’était au deuxième mois du printemps, par une nuit claire. Mon maître m’a annoncé qu’il partait pendant quelques jours, rien d’inhabituel. Certains contrats nécessitent qu’on voyage un peu, ou qu’on étudie le terrain. Je n’avais pas les détails de sa mission. C’était sa mission. Il a enfilé sa cape, il est sorti. Et c’est la dernière fois que je l’ai vu. Vivant.

J’ai mis un moment à le retrouver. J’étais inquiet. Mon maître était secret, mais pas du genre à mentir sur ses délais de retour. J’ai suivi une piste, et puis une autre et… Il était là.

…

Le sang était déjà décoloré, il puait la mort au milieu du caniveau. Ces chiens l’avaient laissé pourrir comme un rat !

…

Je… J’étais perdu. Je ne savais pas si c’était le contrat, ou autre chose. Et j’ai mis un moment pour avoir un début de réponse. Je ne savais pas qui était la cible… Et je ne savais pas si j’avais le droit d’être en colère. Mon maître disait toujours qu’il ne fallait pas se laisser guider par les sentiments. Et aussi que c’était normal, si une cible se défendait. Mais… Je n’y croyais pas. Je connaissais mon maître, si la cible avait eu des gardes capables de le tuer, lui !, il m’aurait emmené. On aurait travaillé la topographie, un plan… Là, ça ne collait pas. Alors j’ai cherché ailleurs.

On n’était pas les seuls sur le marché. C’est rarement le cas. Alors j’ai creusé, j’ai cherché… J’ai honte, un peu. Mon maître avait ses secrets et il voulait les garder. Mais j’avais besoin de réponses. J’ai balancé toutes nos économies, posé des questions, esquivé des dagues et des regards et j’ai fini par trouver. Je ne rentrerai pas dans les détails. C’est la vie de mon maître, pas la mienne. Mais il y avait des gens qui lui en voulaient. Des gens qu’il avait côtoyés avant… moi. Des gens qu’il n’avait pas envie de je connaisse.

Alors je suis allé leur rendre une petite visite.

J’étais en colère, mais pas fou. J’ai préparé le terrain, j’ai trouvé leur repaire. Leur rythme. Leur chef. Attention, ça n’a pas été facile ! C’était cher et dangereux. Et ça m’a pris plusieurs mois. On était à la fin de l’été quand j’ai décidé de frapper.

…

Je pensais que j’avais passé ce stade de naïveté.

Je n’ai rien trouvé, rien découvert et surtout… Je n’ai rien compris.

Ils m’ont mené juste là où il voulait que je sois. Et ils me sont tombés dessus.

Il faisait sombre, une nuit noire, sans lune. Mon maître m’avait appris à me déplacer et à repérer ce qui m’entoure sans utiliser mes yeux. On ne distinguait pas grand-chose. Le plus dur, c’était le silence. Je savais qu’au moindre bruit, à la moindre respiration trop forte, je me ferais repérer. Et mon cœur battait si fort qu’il m’assourdissait. Bien réfléchi, c’était évident que je n’étais pas en état. Trop de colère, trop d’émotions. Mais ça devait être ce soir. Le chef lui-même était sorti. Si je me glissais derrière lui, ma dague et le poison qui l’imbibait feraient le reste. Le temps qu’il s’effondre au sol, je serais déjà de retour, à l’abri dans les ombres. Ce serait trop soudain pour que l’elfe qui l’accompagnait me rattrape. Et si elle le faisait quand même… Je l’abattrais aussi. Ils étaient responsables de la mort de mon maître.

Je me suis approché, sans un bruit. Et… Je suis un demi-elfe. Mais je n’ai jamais appris à utiliser la magie. Ni à la détecter.

Ils étaient quatre. En plus des deux que j’avais en vue. Quand leur sort d’illusion est tombé, c’était déjà trop tard. J’ai autant de dague et de couteaux de lancer que je peux cacher sur moi, des poisons mortels, j’avais tout ce qu’il fallait pour l’abattre… Mais à quoi bon quand on est immobilisé ? A quoi bon quand votre corps refuse de vous répondre !

…

Il a bien pris son temps pour me raconter comment ils avaient piégé mon maître de la même manière. Comment, lui, au moins avait vu le piège venir. Comment ils avaient dû embaucher plus de mage. Comment ils l’avaient coincé dans une ruelle. Comment il avait tenté de se tuer avant qu’on ne l’ensorcelle. Comment il regrettait que je n’ai pas été là, car il aurait tellement aimé me torturer devant lui. Comment ils… …

J’avais envie de vomir, de lui arracher la gorge à coups de dent, de transformer son sourire narquois en hurlement de terreur ! Je voulais… tellement… Mais je n’ai rien pu faire. A part rester là, noyé dans mes larmes, incapable même de lui cracher au visage, de lui hurler ma haine !

Et puis… A ce stade, c’était un soulagement… Il a pris ma dague. Je voulais tellement qu’il s’égratigne dessus, qu’il meurt comme un con ! Mais… Il a même repéré le poison. Ou peut-être qu’il s’en est douté. J’en sais rien. Mais… J’aurais préféré qu’il me poignarde avec. Au lieu de ça, il a sorti une paire de couteaux…

Un coup dans les côtes, un deuxième dans la cuisse, le troisième dans l’épaule. Après j’ai perdu le compte. Il s’est amusé un moment. Puis ils sont partis. Ils m’ont laissé là, à me vider de mon sang. Le sort était levé, mais je n’étais plus capable de ne serait-ce que me trainer ailleurs.

J’allais mourir là, comme un chien inutile.

Et … Je ne sais pas si c’est un de leurs sorts. Ou juste la mort. Mais il y eut une lumière et je me suis senti trainé vers l’arrière. Une voix, aussi, qui racontait quelque chose d’obscur. Je l’entendais clairement. Comme si elle sonnait directement dans ma tête. Mais j’ai aucune idée de ce qu’elle a dit. Je n’écoutais pas.

La dernière chose que j’ai vu, c’était une place beaucoup trop lumineuse et beaucoup trop joyeuse pour l’état dans lequel j’étais. Et puis plus rien.

Tu vois le pavé au-dessus ? Bah je ne sais plus quoi rajouter. Et je n’aime pas les descriptions. Alors en gros, je ne suis pas bien grand, pour un homme, pas très masculin, pour un homme, et beaucoup plus costaud que ce que j’en ai l’air, pour un…euh… Ouai, nan, ça ne marche plus.

Non, sérieusement, entre mon visage, mon gabarit de gringalet et mes longs cheveux argentés, tu me croises dans la rue, tu ne me prends pas pour un garçon. Il ne manquerait plus que j’ai une voix aiguë et je peux candidater à miss Portalia. Mais non, j’ai une voix de monsieur classique. Va-t’en décrire une voix à l’écrit…

Donc voilà. De toute façon, en théorie, tu n’es pas censé me remarquer. Même quand je ne suis pas « au travail », je préfère être discret. J’ai appris à marcher dans la foule comme un type lambda, qui fait sa vie et à qui tu ne prêtes pas attention. Même mes oreilles pointues sont assez petites pour que, capuche ou non, mes cheveux les cachent.

A part ça… Je préfère laisser parler le temps et les actes en ce qui concerne mon caractère.