Au secours...
Sérieusement, pour réussir à passer mon rang il faut que je fasse quoi... la... baby-sitter ! Mais j'ai jamais été à l'aise avec les gamins, moi ! Même... C'est pire que ça, dans ma sylve, des enfants, y'en a pas beaucoup... En fait, y'en a même pas du tout. Les elfes sont pas connus pour faire beaucoup d'enfants alors... Bah, je suis presque la plus jeune dans la sylve en fait. Presque : Eléandre a deux ans de moins que moi. Joendel en a cinq de plus. On est un peu les "enfants" de notre clan.

Je regarde les yeux des petits orphelins avec un peu de tristesse. Ils sont tous ici si jeunes, en ayant perdu leur famille, ou n'en n'ayant même pas connu du tout... ça me fait beaucoup de peine. Qu'est-ce que j'aurais pu devenir, moi, si j'avais pas eu papa, maman, tata ou même parrain ? Je crois que je ne serais rien. Ces enfants là, ils sont vraiment beaucoup plus courageux que moi.

Je m'approche du petit groupe qui me regarde avec des yeux trop grands pour leurs petits corps. J'ai l'impression d'être une bête de foire... Et j'entends un petit chuchoter à sa voisine.
      - T'as vu ses oreilles ? Elles sont vachement graaaaaaaandes !
      - Oh, t'as trop raison ! Tu crois elle peut accrocher des trucs dessus ? Genre après quand elle secoue la tête ça fait gling-gling, comme des grelots !
Je ne sais pas si je dois me sentir amusée ou piquée, mais naturellement je me mets à sourire. Alors, je décide de me mettre à leur hauteur.

Bonjour à tous les quinze...! Je... Moi, je m'appelle Yvana. Je vais passer cet après-midi avec vous...
      - Bonjour madame Yvana ! répondent-ils tous en choeur.
Ils me font décidément sourire. Peut-être que c'est pas si mal, de travailler avec des enfants...
J'ai vu que vous aviez plein de jolis livres là-bas... Vous voulez que je vous lise une histoire ?
      - Moi j'dis que c'est nul de lire, s'élève une petite voix bougonne.
Je regarde le petit garçon qui vient de parler, il a des petites mèches folles qui lui tombent sur ses joues roses et je remarque à l'instant ses petites oreilles de chaton. Je trouve ça adorable, à ma connaissance, ça n'existe pas sur Gaeon, ce genre de race.
      - Si ! Si, c'est trop bien les histoires, t'es nul Rayan ! Moi j'veux une histoire, répond une petite fille à la peau mate.
      - Oui, une histoire, une histoire ! reprennent quelques autres petites voix.
Je m'approche du fameux Rayan, qui semble déterminé à bouder.
Si tu veux, on peut ne pas lire une histoire. Mais tu as vu tous ces beaux livres que vous avez ramené ? Qu'est-ce qu'on pourrait faire avec à la place ?
      - UN MEGA CHATEAU ! s'exclame une petite fille blonde.
      - NON ! On fait la pile la plus haute possible !
      - Moi j'dis, on invente une histoire en lisant une page de tous les livres, ça peut être rigolo !
      - Mais non, c'est nul, on pourra rien comprendre !
      - C'est mieux les histoires !
      - On est pas obligé de lire... Peut-être qu'on peut faire une pièce de théâtre !!!
Des cris de joie accueillent la dernière proposition, et les yeux du petit Rayan s'allument.
Ça t'irait ça ? Tu voudrais qu'on prenne un livre et qu'on le transforme en pièce de théâtre ? je demande au petit qui baisse la tête et la hoche de haut en bas imperceptiblement.
Je lui souris et lui tends ma main. D'abord, il boude un peu, puis il la prend enfin.
Alors je te laisse choisir... Tu veux jouer quoi comme livre ?
Il se rapproche de moi, mais il hausse les épaules. Il ose pas.
On choisit ensemble ?
Il tient son doudou-foulard fermement dans la main et hoche la tête à nouveau, en me regardant d'en bas. Les autres enfants sont incroyablement sages, ils assistent à la scène en souriant. J'entends à nouveau une petite voix chuchoter.
      - J'crois Rayan il va bien vouloir rester avec nous pour une fois, c'est trop cooooooool.
Je souris aux enfants et je reprends contenance.
Bon ! Alors c'est décidé, Rayan et moi, on est les metteurs en scène : c'est nous qui dirigeons ! On va choisir le meilleur livre du monde pour faire cette pièce de théâtre ! Faites-moi un joli arc-de-cercle devant nous... Voilà... Et hop, allez Rayan, on choisit !
Je fais mine de regarder les livres, mais en réalité, je laisse Rayan faire son show, trop content qu'il est d'avoir la place de vedette, pendant que les autres le regardent en lançant des "RAYAN RAYAN RAYAN !!!".
Tu vois que c'est pas si compliqué les enfants, ma vieille...

C'est alors qu'un livre attire mon regard :

Attends... Quoi ? C'est bien ce que je pense que...
Machinalement, j'attrape le livre. Rayan s'approche de moi, il me le prend des mains. La couverture représente une femme à deux visages, d'un côté celui d'une... reine ? avec des écailles vertes et un circlet sur le front, et de l'autre une peau lisse et incroyablement jolie et des cheveux tellement dorés qu'on aurait dit de l'or.
Le petit garçon ouvre le livre sans attendre son reste... Et le doute n'est plus possible. C'est bien ma famille que je vois sur ces pages.
Mon père, ma mère, ma tata-cousine et mon parrain. Ils sont dessinés plus jeunes, comme dans mon médaillon, mais c'est indiscutablement eux. Et puis, je n'ai jamais entendu parler des Enfants de l'Argile ou de Droé sur Portalia. Je suis tellement abasourdie que le silence que je produis a l'effet de faire taire le boucan des enfants.

Rayan a fini de feuilleter le livre et me regarde dans les yeux :
      - Je veux ce livre là, parce que regarde, le monsieur là, il a les mêmes cheveux, et les mêmes oreilles que toi.

Je suis sonnée.
Je regarde mon papa, dessinée dans un livre que je ne connais pas, qui parle d'une histoire que je ne connais pas, et je ne sais pas quoi penser. Je le vois, je sais que c'est lui, mais c'est comme... irréel. Je le vois dans cette robe bleue aux volutes de fumée que je n'ai jamais vue, je vois ses yeux entièrement noirs, ses longs cheveux blancs desquels j'ai hérité, sa cicatrice de sourire d'ange, entaillée sur ses joues, sa peau pâle, glabre, ses traits fins et droits, presque durs. Je ne vois pas dans ses yeux la petite lueur avec laquelle il me regarde, ou il regarde maman. Il a l'air... Presque vide. Comme s'il ne ressentait rien. Je retiens mes larmes qui montent, j'ai envie de pleurer, mais pas devant les enfants.
C'est mon papa.
Yaael Tahlil, Enfant de l'Argile, Marquis des Terres de Raddock, Nécromancien.

     - C'est bien hein ! C'est bien comme livre, hein !
Rayan cherche mon approbation, mes yeux sortent du vague, je reprends mes esprits.
Oui... Oui, c'est parfait.
Le petit hybride sautille sur place, les autres enfants sont extatiques, la joie éclate, je mets un petit moment à les calmer.
Alors... Ce que je vous propose, c'est qu'on lise l'histoire au fur et à mesure, pour voir ce qu'on peut aménager pour en faire une pièce de théâtre. Ça te va Rayan ?
Le petit hoche la tête frénétiquement, pendant que les autres approuvent. Et bah voilà, tu vas la leur lire, leur histoire...

Je commence alors la lecture. Je comprends plusieurs choses très vite. La femme de la couverture, en fait, il s'agit de deux personnes différentes : la Reine Ceelan D'Astian, au sang de dragon, en tout cas au sang de kazelith, une race drakéide de Gaeon aujourd'hui (pour ce que "aujourd'hui" veut dire sur Portalia...) disparue. Cela explique la présence des écailles vertes. La deuxième face, il s'agit de Férin, déesse disparue de la fortune.
Dans la légende, Férin, à cause d'une malédiction des dieux après les avoir dupés, s'est fait retirer son immortalité. Et pourtant, la déesse de la mort n'est jamais parvenue à récupérer son âme. A priori, cela venait du fait Férin récupérait le corps des mortels pour se réincarner, évitant ainsi la mort. Le mortel à qui elle volait le corps, par contre, mourait à sa place. Et ici, le corps que Férin avait choisi, c'était celui de cette fameuse Reine Ceelan.
J'essaie d'expliquer tout ce que ça veut dire aux orphelins, qui m'écoutent avec les yeux grands ouverts.
     - Elle pète trop la classe Férin, j'veux trop jouer elle ! déclare l'enfant avec les cheveux blonds, ce qui correspond assez bien à l'image que j'ai de Férin dans le livre.
     - Mais t'es folle Margaret ! T'as pas vu, genre, elle vole la vie des gens, elle les fait mourir à sa place ! Ça s'fait trop pas en fait.
     - Ouais, mais du coup, elle est immortelle, en plus elle est trop belle, regarde, on dirait que elle brille ! Moi j'veux trop être elle.
Je souris à la petite blondinette.
Personne d'autre pour jouer Férin ?
Je demande quand même, pour être sûre. Tous les autres enfants font une mine dé dégoût.
     - Du coup, Margaret, c'est toi qui joue Férin ! Et J'ai l'droit d'le dire, parce que c'est moi qui dirige.
Les enfants rigolent à la suite de la tirade de Rayan, il a l'air aux anges. Parfait.
Et qui veut jouer la victime de Férin, la Reine Ceelan ? je demande après un petit temps à ce que les enfants se calment.
Le silence revient.
     - Mais elle est trop moche, c'est un dragon.
     - Mais c'est trop cool les dragons.
     - Bah vas-y, joue-là, toi !
     - Beurk, j'vais pas jouer une fille, j'suis un garçon, moi.
     - Bah les filles, ça aime pas les dragons, alors voilà !
Je reprends le débat.
On peut être une fille et aimer les dragons. On peut même être un garçon et avoir envie de jouer une fille dans une pièce de théâtre. Je voudrais qu'on ne se moque pas les uns des autres, comme ça. C'est pas très gentil.
     - Mais, Madame Yvana, c'est dégueulasse les garçons qui font les filles !
Je fronce des sourcils, même si je ne suis pas sûre que ça se voie beaucoup. Même Gustave sort de son sommeil sur mon épaule et plante ses petits yeux pas contents dans ceux du garçon qui vient d'élever la voix. J'essaie d'adoucir mon regard : c'est pas en m'énervant contre lui que je le ferai changer d'avis.
Ah bon ? Et pourquoi c'est dégueulasse alors ?
     - Bah... J'sais pas, ça s'fait pas...
     - Moi j'dis, faut écouter madame la directeuse de scène, c'est elle qui dirige avec moi. Et si elle dit que c'est bien les garçons qui veulent jouer des filles, alors moi j'dis que c'est bien aussi.
Je me retourne vers Rayan et lui fais un grand sourire. Deux jeunes filles l’applaudissent. Finalement tout le monde finit par se mettre d'accord : en fait, on a le droit de jouer ce qu'on veut.
Alors, une petite main frêle d'un garçon aux yeux très noirs et à la peau dorée se lève.
     - Moi, j'aime bien les dragons, et j'la trouve pas moche, la Reine Ceelan. Moi je veux bien jouer elle. En plus, euh... Bah j'aime pas trop parler, et comme elle fera semblant d'être morte, du coup, j'ai pas besoin de parler. C'est bien pour la pièce, hein ?
Je souris sans m'arrêter au petit garçon. Gustave tape dans ses mains avec ferveur.
Parfait ! Oui, c'est une très bonne idée, bravo. C'est trsè courageux de ta part de monter sur scène quand même, et de bien vouloir jouer une fille.
Les joues du petit garçon s'empourprent alors qu'il se met à sourire. Sa voisine de droite lui fait un câlin. J'ai l'impression d'avoir réussi quelque chose, mais je ne saurais pas trop expliquer quoi.

En fait, j'aime bien ces enfants...

Après un petit moment à écouter les enfants en liesse, à régler quelques soucis de décor (les lits pour délimiter la pièce, les livres pour montrer les différentes objets : un coffre qui sera important plus tard, et un tas de pièces, et quelques doudous pour délimiter l'espace de scène, on fait ce qu'on peut), et à choisir avec Rayan à quelle place on met Férin et Ceelan et les laisser choisir deux lignes de dialogues, je peux enfin lire la suite.

C'est alors que des aventuriers ont décidé de mettre fin à la tyrannie de la déesse Férin. Ces aventuriers, ce sont eux : Les Enfants de L'Argile. Il sont quatre, quatre bras de la justice, quatre envoyés des dieux eux-mêmes. Il y a tout d'abord S'Orcha, la guerrière demie-orc bleue avec sa fidèle hache...
    - Moi !! MOI MOI JE VEUX UNE HACHE !! SCHLING SCHLING !
    - Non, moi ! Moi aussi je veux pouvoir découper des gens !
    - Mais vous êtes bêtes hein, vous aurez pas une vraie hache, hein, lance, désabusée, une petite lapine qui papillonne des yeux.
    - J'm'en fous, j'veux jouer la guerrière quand même. On a dit les garçons peuvent jouer les filles, alors moi j'suis une fille avec une hache, c'est encore plus mieux qu'une reine.
    - Bah t'es trop nul alors !!!
J'interviens.
Eh, eh, eh, on se calme. On insulte pas les autres comme ça, c'est vraiment pas gentil. J'aimerais que tu t'excuses auprès de lui.
La jeune fille se met à bouder.
    - Allez, on a dit on s'excuse, parce que c'était pas gentil, elle a raison la madame, renchérit Rayan.
Après quelques temps ou le silence revient, et ou les autres petits essaies de la pousser, la jeune fille se met à pleurer.
    - Bah, oui, pardon, mais c'est que, moi aussi, je veux jouer la madame demie-orc...
Je m'approche d'elle et pose ma main sur son épaule.
Eh, eh, eh, c'est pas très grave, d'accord ? On a qu'à dire qu'on tire au sort qui joue la demie-orc. Ça te va ?
Elle hoche la tête en pleurant, je lui caresse doucement le bras. Alors, Rayan s'interpose et lui fait un câlin.
    - Tiens, c'est moi qui fait le tirage, regarde. Un deux, trois, ce sera toi qui jouera S'Orcha ! Un, deux, trois !
Malheureusement pour la petite fille, ça tombe sur le garçon contre lequel elle s'était énervée, ce qui fait redoubler ses larmes.
    - Mais, c'est pas grave Louisa, si tu veux, on peut faire deux S'Orcha, y'aura S'Orcha 1 et S'Orcha 2 et ce sera bien aussi. Hein Madame Yva ?
Je hoche la tête en signe d'approbation : après tout, on est là pour leur faire plaisir.
Le troisième enfant qui voulait faire S'Orcha lève la voix : "mais moi aussi j'avais dit que je voulais faire elle !", je le calme : on a pas fini les personnages, il y a peut-être quelqu'un d'autre qu'il voudra jouer. Il finit par acquiescer et s’assoit.

Alors, je continue : je présente Tristan Crasmar, le voleur aux cheveux roux qui se bat à l'épée. Aussitôt, trois petites mains se lèvent : on se retrouve donc avec trois Tristan, une fille et deux garçons. De la revisite, décidément !
Puis, je passe à mes parents : papa d'abord, mais personne veut le jouer.
    - Il fait trop peur, Madame Yvana, il a pas de blanc dans les yeux, et en plus, il a une grosse cicatrice sur le visage...
    - Oui, elle a raison, en plus, il a une tête de méchant.
Je dois avouer que leurs remarques me blessent, mais je ne peux pas leur donner tort : mon père n'a effectivement pas l'air très avenant sur ces pages. Je me garde bien de leur dire qu'il s'agit de mon vrai papa, par contre. Surtout parce que t'es bien incapable d'expliquer la présence d'un livre qui parle de tes parents sur Portalia, un livre qui appartient à une bibliothèque détruite, en plus ! Les questions qu'ils se poseraient, tu te les poses déjà.
Vous savez, peut-être qu'il a une cicatrice parce qu'un méchant monsieur lui a fait mal. Peut-être qu'il a l'air méchant à cause de ses yeux tout noirs, mais en fait, il est triste d'être pris pour un méchant. En plus, il relève les morts, c'est ça, un nécromancien, ça veut dire qu'il peut faire des zombies. C'est cool, ça, les zombies, non ?
Je vois que j'ai piqué leur curiosité. Ni une, ni deux, je me retrouve avec un petit garçon qui trépigne, ses yeux se mettent à briller. J'en profite et le devance.
Tu veux faire Yaael, finalement ?
Il hoche frénétiquement la tête de haut en bas avec un grand sourire.
    - Moi j'trouve ça cool les zombies, ça meurt pas, et tout, et en plus il faut être trop méga super fort pour faire sortir les gens de la terre. Moi j'm'en fiche d'être moche, j'veux devenir nécromancien, comme Yaael !
Je me rappelle un instant la promesse que j'ai faite à Tera, alors la tirade du petit m'empêche de me détendre totalement. Devenir nécromancien... brrr, ça me fait frissonner comme réflexion.
Néanmoins, je lui souris : on a donc une Ceelan, une Férin, deux S'Orcha, trois Tristan et un Yaael pour l'instant.

Je parle enfin de ma maman. A ma grande surprise, quand j'évoque la druidesse qui peut soigner les autres et se transformer en animaux, deux mains de filles se lèvent. Je me garde bien de dire que normalement, la druidesse, c'est l'amoureuse de Yaael, parce que je redoute que les mains ne retombent aussi vite.
Les deux filles se regardent, puis un petit échange s'installe :
    - Non vas-y, je te la laisse.
    - Non, tu peux la jouer à ma place.
    - Non mais c'est pas grave c'est sûr, vas-y.
    - Vraiment, vraiment ?
    - Oui, promis.
    - Merci, alors !
Et les deux copines se sourient.
Bien : on a donc nos quatre... nos... sept Enfants de l'Argile.

Plus qu'à donner les rôles des "méchants"... Je sens qu'on va rigoler.

Je relis la suite de l'histoire : en réalité, je n'ai pas compris quelque chose. Férin récupère effectivement le corps de la Reine Ceelan d'Astian, mais, pour que ça puisse se faire, il s'agit d'une incantation très longue, menée par plusieurs prêtres. Le beau visage de Férin est celui telle qu'elle est originalement, ainsi, au début de l'histoire, elle est encore dans un autre corps, celui de l'ancienne reine qui vient de passer son pouvoir à Ceelan. Il faut donc un autre enfant pour jouer l'ancienne reine, et pour symboliser le transfert de l'âme de Férin... On peut...
On a qu'à dire que Margaret, comme tu joues la déesse Férin, au début de la pièce, tu seras cachée derrière le corps de l'ancienne reine, et que petit à petit tu vas avancer vers la Reine Ceelan. Ça marche ?
Je crois que je me suis prise au jeu de la mise en scène : je jubile.
La petite hoche la tête avec détermination : elle est prête à jouer son rôle à la perfection, semble-t-il.
Il nous faut donc quelqu'un d'autre pour jouer l'ancienne reine... Ce sera pas un rôle très difficile, comme celui de Ceelan, il faudra faire semblant de dormir.
Une petite main timide d'une jeune fille se lève.
   - Alors... Moi, je veux bien... Je voulais pas le dire, mais j'aime pas monter sur scène...
Je lui souris : sur ce point, je ne peux que la comprendre.
Eh bien parfait : tu seras allongée pendant toute la pièce, ça te va ?
   - Oui... Merci...
Elle nous gratifie alors d'un joli sourire timide. Elle me fait un peu penser à moi. Sauf qu'elle a les cheveux noirs et les yeux verts.

Je continue l'histoire : Férin est envoyée petit à petit dans le corps de Ceelan par le biais de deux prêtres très puissants, beaucoup plus forts que les Enfants de l'Argile. Ils sont en mauvaise posture, d'autant plus que des gardes protègent les prêtres.
   - J'veux faire un garde comme je peux pas faire la madame orc !
   - Moi aussi, j'veux jouer un garde !
   - Moi, je veux être un prête surpuissant trop fort !
Je note donc les nouveaux rôles : deux gardes, un prêtre.
Il reste un enfant, et le dernier rôle à donner est un prêtre. Je lui demande s'il veut le jouer, et le petit baisse la tête.
   - Mais... Mais moi aussi, je voulais être un garde... C'est mieux les gardes, ça a des épées...
Je soupire : évidemment, ça ne pouvait pas si bien se passer. T'es dure, Yvana, ça s'est vachement bien passé comme répartition des rôles, quand même.

Je parcourre à nouveau l'histoire des yeux. Un prêtre pour faire l'incantation, un prêtre pour attaquer les Enfants de l'Argile. Celui qu'on ne peut pas enlever, c'est celui qui fait l'incantation. On peut peut-être transformer le deuxième prêtre en garde aussi...
Bon, alors, pas de problème, tu peux faire un garde. Par contre, dans le livre il est dit que la druidesse te lance une poussière qui te fait t'envoler... Euh... Mais...
   - Moi je sais ! On a qu'à dire que c'est pas une poudre qui fait voler !
   - Et elle fait quoi alors ?
   - Bah, j'sais pas... Elle endort ?
   - Ça fera beaucoup de gens qui sont par terre sur la pièce de théâtre.
   - Il a raison... Peut-être il faut que la poudre elle fasse.. euh... sautiller ? Comme un lapin !
   - Eh ! Vous avez quoi contre les lapins ?
   - Comme un kangourou, alors !
   - Et on a qu'à dire qu'il peut sauter que sur une patte alors !
   - Et qu'il est condamné à faire le tour de la salle à cloche-pied !
Je regarde tour à tour les enfants et étouffe un petit rire. Je me retourne vers celui qui voulait prendre le rôle du fameux garde, il a l'air d'apprécier l'idée, puisqu'il a déjà commencé à sauter sur un pied.
Parfait !

Eh bien, voilà ! Vous êtes prêts ! Reste plus qu'à trouver des choses qui peuvent ressembler aux armes, et vous pouvez jouer votre pièce ! Vous connaissez votre texte ?
  - Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !
Et vous êtes prêts à jouer ?
  - Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii !
Devant tous les gens qui s'occupent de vous toute la journée ?
La tension monte, mais les cris de joie aussi.
  - OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !
Parfait ! Alors... Rayan, tu es metteur en scène-chef ! Tu peux aller chercher des épées et des boucliers en mousse ?
  - Et ma hache !
  - Et la mienne !
Ah, oui.
Eeeet... Les haches des deux S'Orcha ? j'ajoute dans un sourire.
Rayan me fait un signe de garde-à-vous et file à toute vitesse dans les couloirs, pour revenir quelques minutes plus tard avec tout un tas d'armes en bois pour les enfants.
Je les aide à s'équiper, j'ajuste leurs draps qu'ils ont absolument tenu à mettre sur eux pour faire des costumes, on rectifie les espaces délimités par les lits... ET... Je crois que t'as fait du bon boulot, Yva.

Alors on est bon les enfants ? Rayan peut aller chercher votre super public ?
Les hurlements se font intenses, les enfants sont tellement joyeux que certains se mettent à danser sur place.
  - OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !
Alors je déclare ouverte la Grande Pièce de Théâtre des Enfants... Presque d'Argile !

Yva, c'est à toi de jouer. Fais baisser ton satané trac, c'est pas toi qui joues. Ne te focus pas sur tous ces visages braqués sur toi. Tu vas y arriver. Ils vont y arriver. Ils seront géniaux. Ils seront géniaux.

Mesdames.... hum... mesdames et messieurs...
Je m'éclaircis la voix, je fixe un point au dessus des personnes assises devant notre scène de fortune. Ne. Pas. Les. Regarder.
Inspire.
Expire.
Mesdames et messieurs... Vos... Vos enfants préférés, vos petits protégés vous ont réuni ici pour vous présenter une pièce de théâtre de leur production, inspirée d'un livre de la bibliothèque intitulé Chute de Férin - Les Enfants de l'Argile. Je laisse la parole à notre narrateur-metteur en scène, et je vous souhaite un très bon moment en leur compagnie !"
Le personnel de l'orphelinat applaudit sans entrain mon tiède discours d'entrée. J'espère que les enfants feront mieux que moi... Mais déjà, Rayan prend ma place et me pousse hors de la scène : c'est le début de la pièce !

      - Il était une fois, un autre monde appelé GAEON. Sur ce monde, y'a plein de gens, mais c'est pas eux qui nous intéressent. Ceux qui nous intéressent, ce sont des HEROS ! Ce sont les MEILLEURS ! LES ENFANTS DE L'ARGILE !!!
Un Tonnerre d'applaudissement accompagne la tirade d'entrée de Rayan. En grand prince, il laisse le temps au public de se calmer.
      - Aujourd'hui, ces héros ont un grand travail à accomplir : ils doivent tuer la déesse Férin, qui vole le corps des gens et les fait mourir à sa place. Mais Férin n'est pas prête à mourir...
Margaret se lève de derrière le corps de l'ancienne reine.
      - NON, JE NE SUIS PAS PRÊTE A MOURIR !
Et se cache à nouveau derrière.
Notre Reine/Roi Ceelan entre alors dans la pièce : elle/il voit le corps de son ancienne reine par terre ! Alors, elle/il court vers elle et s'agenouille.
      - Ma reine ! VOUS ETES MORTE !!
C'est alors que le prêtre et les trois gardes entrent dans la pièce...
      - OUI ! Elle est morte, ta reine ! En plus elle était MOCHE, comme toi ! Et maintenant, c'est toi qui vas mourir !!!
S'ensuit une course poursuite ou notre Ceelan fait des tours de la pièce, poursuivie par les trois gardes. Finalement, c'est le prêtre qui la fait trébucher... par la force de sa voix.
      - Reine Ceelan D'Astian ! Je suis prêtre de Férin et par mon super sortilège, je vous fait tomber par terre ! ABRACADABRA !
Et Ceelan s'effondre de l'autre côté de la pièce par rapport à l'ancienne reine. Le public éclate de rire : ça me soulage instantanément. C'est pas très proche de ce qui est relaté dans le livre, mais, l'essentiel, c'est que les enfants s'amusent et que le public apprécie.

Alors, le prêtre se poste à côté du corps de l'ancienne reine et comment son incantation.
      - Férin, déesse de la fortune, relève-toi et change de corps ! Et rends-moi riche, aussi. Et mes copains aussi. Et tous les gens de l'orphelinat, parce que c'est des gens gentils. Relève-toi, Férin ! Il faut marcher jusqu'à la reine Ceelan qui est par terre !!!
Margaret ne se fait pas prier : elle se lève, et commence à marcher tout doucement vers le corps de Ceelan par terre. Le petit prêtre lui tend la main et avance avec elle tout doucement, main dans la main.

Rayan-narrateur intervient.
      - Tout a l'air perdu pour la jeune reine Ceelan ! Mais c'était sans compter sur les...
Il compte sur ses mains.
      - ... Sept Enfants de l'Argile, les héros !!!
Entrée fracassante dans la scène : nos petits héros avec leurs épées et leurs boucliers en bois.
      - Je m'appelle Yaael et je vais t'empêcher de voler le corps de la reine, méchante déesse ! PARCE QUE MOI, JE PEUX CONTROLER LES ZOMBIES D'ABORD CHUIS TROP FORT.
      - Et moi, je suis S'Orcha 1, et j'vais te détruire la tête !
      - Et moi, je suis S'Orcha 2, la soeur de S'Orcha 1, et quand elle t'aura détruit la tête, c'est moi qui vais en faire un ballon pour jouer au foot !
      - Bonjour... Moi je suis une druidesse, et je m'appelle Iola, et je vais soigner les gentils.
      - Et moi c'est Tristan.
      - Et moi aussi.
      - Et moi aussi.
S'ensuit alors un combat épique... et hilarant.
Nos trois Tristan et nos deux S'Orcha sautent sur les gardes et les attaquent à l'épée de bois. Ils courent dans tous les sens à l'arrière de la scène, pour laisser le reste de l'histoire se dérouler en premier plan : la druidesse qui lance une potion (de l'eau, depuis une bouteille, en réalité), sur le prêtre, qui se met à sautiller sur place et faire du cloche-pied à côté de Férin qui se retrouve bloquée, sans le prêtre pour l'aider à avancer.
      - Mais c'est quoi ce maléfiiiiiice ? hurle le prêtre.
      - Prêtre ! Aidez-moi à avancer ! Mon corps n'existe pas sans votre aide, je suis bloquée !
      - Je peux pas ! Je suis bloqué ! Je peux plus contrôler mes pieds, je peux pas me concentrer pour vous faire avancer, déesse Férin !
Alors que les combats contre les gardes font rage à l'arrière, le petit Yaael sort un caillou de sa poche.
      - Je vais enfermer ton âme la dedans, madame déesse, parce que j'suis trop fort, et après je pourrai te transformer en zombie !
Alors, le petit Yaael s'approche de la Férin bloquée, et pose le caillou sur son front. Férin tombe au sol (puis elle se met à ramper derrière les combats pour faire comprendre qu'elle sort de scène parce qu'elle a été emprisonnée dans le caillou). Le petit Yaael tend le bras en l'air en signe de victoire.
      - TADAAA ! On a gagné parce que j'suis l'meilleur !
Et la druidesse s'approche de la reine Ceelan, pose ses mains sur son ventre.
      - Je vais te soigner, madame la Reine.
Et Ceelan se relève, sourit à la druidesse, puis voit que le petit Yaael a vaincu la méchante déesse, alors elle/il court dans ses bras.
Le petit Yaael rigole, ça l'amuse. La druidesse fait semblant de bouder, puis elle attrape le bras de Ceelan pour la faire s'éloigner de Yaael, et elle le prend à son tour dans ses bras, avant de dire son dernier dialogue :
      - Oui, t'as gagné, c'est toi le plus fort !
Le petit Yaael fait un vrai calin à la druidesse, pendant qu'à l'arrière de la scène, les trois Tristan et les deux S'Orcha gagnent le combat : les trois gardes prennent le fuite en courant vers l'extérieur de la scène.
Ceelan regarde la druidesse et Yaael, et c'est à son tour de se mettre à bouder, et cette mine dégoûtée fait à nouveau rire le public.

Rayan prend la parole.
      - Et c'est ainsi que se termine l'histoire de la chute de Férin : on a gagné, les méchants sont partis, et les gentils ont sauvé la reine Ceelan !
Le public se lève : c'est l'ovation.

Quand tout le monde se calme, j'invite les enfants à venir se mettre devant le public et à saluer. J'applaudis avec eux.
Et voilà, mesdames et messieurs, ce que vos enfants ont réussi à créer en un après-midi. Merci à tous !

Les minutes passent, alors que j'aide les enfants à ranger le matériel, tout en séchant les cheveux du petit prêtre qui s'est pris une bouteille d'eau en pleine figure. J'arrive à me faire obéir : les enfants suivent ce que je dis, ils sont encore tout contents de ce qu'ils ont produit.
Décidément, j'aime vraiment bien les enfants.

L'accalmie revient : il est temps pour moi de rentrer chez moi. Je regarde avec envie le livre que les enfants ont trouvé sur ma famille. Je ne peux pas le laisser ici... Je veux comprendre. Je ne l'ai lu qu'en diagonale, et nous n'avons pas fait toute la fin, après le combat, et j'ai vu plusieurs images de mes parents ensemble qui m'ont intriguée. J'aimerais le lire à tête reposée.
Alors, je vais me présenter au directeur de l'orphelinat, juste avant de partir.
Courage, courage, allez, Yva, tu peux le faire...

Mon... Monsieur... Bonjour... Est-ce que... Vous m'autoriseriez à emprunter ce livre...?