Il était humain et c’est dans un bain de sang qu’il la rencontra. Elle était tigrée, douce, délicate. Et quand il a décidé de l’enlever et de demander une rançon, elle le mordit. Ce qui l’amusa. Bon faisons la courte parce que tout ceci n’est que le prémisse de ce qui attend la petite pas encore née… La noble tombera en déchéance quand son ventre s’arrondira. Le soldat partira en guerre et la laissera seule, enchaînée, à la frontière de son pays, dans une zone montagneuse où l’Ena n’aurait pu survivre seule. Un petit être verra le jour et le soldat ne reviendra que peu de fois avant de disparaître. Le temps passera. Et Negoya, en voyant sa mère partir lorsque le soleil se levait et revenir quand la nuit était bien tombée, en l’entendant lui crier dessus ou refuser de s’approcher d’elle, comprendra qu’elle n’était pas la bienvenue dans le semblant de bâtisse.

Et puis un jour, elle s’endormira seule. Et se réveillera seule. Un jour, plus personne ne poussera la porte. Elle avait six ans.

Et à partir de là tout va très vite. Parce qu’elle avait acquit quelques bases sur quelles plantes manger, quelles racines essayer… Mais être seule n’était pas si simple que ça. Negoya a très peu de souvenirs de son enfance. Elle se souvient de la faim mordante qui l’empêchait de dormir, des cauchemars et des bruits sourds qui la réveillaient. Elle se souvient d’avoir volé les poubelles, volé les gens. Jusqu’à quitter son taudis. Elle survivra des mois en dérobant et marchandant, en écoutant et en se détachant du monde. C’était plus simple pour elle de ne pas être … de ce monde-là. Comme si son corps devenait une marionnette et que Negoya ne subissait pas le contre-coup de ses actions. La petite se créa un monde, des amis imaginaires, une nouvelle réalité. Une réalité qu’elle contrôlait. Une réalité bien plus douce bien plus accueillante que le Monde dans lequel survivre était un enfer.

Nous n’en parlerons que très peu. Parce qu’après tout, Negoya s’en souvient peu. Oublier est profitable. Mais certains souvenirs restent. Les coups de fouet. Les cris. Les courses-poursuites. Les insultes. La peur. La peur constante qui tord le ventre. Les larmes qui ruinaient son jeune visage et ses hurlements sans bruit, repliée sur elle-même, les ongles planter dans ses bras tant elle avait besoin d’être enlacée.

Negoya racontera l’histoire d’une enfant qui ne savait pas sourire. Une enfant qui ignorait ce qu’était un rire, un instant de joie, de quiétude. Negoya se demandera souvent pourquoi cette gamine a dû subir toute cette merde. Pourquoi a-t-elle dû se souiller autant pour continuer à respirer? Pourquoi l’avait-on sali si vite. Si tôt. Si fort.

“Tous les chemins qui conduisent au bonheur ou au malheur partent du même carrefour.” Victor Cherbuliez



C’est dans les quartiers rouges que la jeune hybride grandira. Entre sexe, luxure et manipulation, elle apprendra le pouvoir d’un sourire, la fascination du calme, de l’impétuosité des tempêtes. Elle y verra celles qui deviendront ses modèles jouer des mâles qui passaient les portes de leurs bâtisses respectives. Et les jeunes femmes comblaient leurs instincts maternelles en s’occupant de cette enfant terrifiée que l’un d’entre elles trouva un soir, enroulée dans un coin, tremblante et à moitié morte - tout du moins la décrira-t-elle ainsi.

Negoya grandira bien, avec un corps façonné par des journées de marche et de magie. Parce que l'opulence n’avait jamais été de son côté, la petite grandira peu mais suffisamment pour s’allonger, s’affiner. Elle aura suffisamment de formes pour être douce à regarder mais pas “trop” pour ne pas être trop marquante. Negoya était une hybride moyenne. Seule sa magie semblait se démarquer un peu. Un peu plus brillante, un peu plus végétale. Un peu plus loin des Hommes… Hommes ou Ena qu’elle voyaient arriver dans les bâtisses de luxure. Elle les entendait et comprenait peu ou proue ce qu’il s’y passait.


La jeune femme, qui a appris à vivre, apprendra à marchander. Parfois sa tutrice recevait des clients spéciaux. Des mercenaires souvent. Rien qu’à leurs tenues on savait qu’ils ne venaient pas chercher la douceur d’une paire de cuisses. Ces hommes, elle les gardait de longues heures et ressortait tout aussi riche qu’après une après-midi à combler la luxure des autres. Pourtant ce n’était pas la même ambiance; il y avait un sérieux qu’elle n’observait que lors des allers et venues de ces êtres qui semblaient à part.

Maintenant suffisamment éduquée, obéissante et mature, l’hybride assistait parfois aux négociations, aux échanges d’informations, aux questions, aux réflexions. Aux rires de cette femme qu’elle découvrait. Si sa tutrice était patiente et douce, cette femme-là était ferme et joueuse, enfantine par instant. Toujours elle semblait “gagner” la discussion; Jamais elle n’avait payé de son corps pour. C’était un nouveau monde qui s’ouvrait à Negoya. Un monde où tu pouvais garder ta dignité. Un monde dans lequel elle se jeta sans réfléchir.

De rencontres en rencontres et de marchandages en contrats, la jeune femme passa un moment à écouter et retenir, posant ses questions par la suite quand le… client? était reparti. Et un jour, un homme se présenta avec un garçon. Il était devenu tuteur semblait-il. Et il leur présenta la petite bouille qui l’accompagnait. Par une coïncidence proche de la destinée, quelques heures plus tôt, l’hybride bousculait le demi-elfe. Par soucis de politesse face à leurs mentors respectifs (tout du moins le sien à elle), Negoya recommença.

- On se présente Ne’ya.
- Negoya, Negoya Félindrix. Enchantée ~

Un sourire, une main tendue. Le premier toucher changea tout. Un éclair, une évidence. Quelque chose de nouveau. Kael. Il lui sembla sentir le toucher d’un ruban qui n’existait pas. Et la discussion commença.

Est-ce que les niaiseries vous plaisent? Si oui nous pouvons partir sur un quotidien remplis de découvertes, de questions, d’expériences. Sur deux jeunes adultes qui s’apprennent, se domptent, s’énervent, s’amusent. S’aiment. Mais vraiment nous n’avons pas le temps ! Bisous bisous, câlins câlins, Negoya et Kael ensemble. Youpi tralala. La suite donc.


Comme partout, on distingue la famille qu’on nous impose et celle que l’on choisit. Negoya n’aura toujours fait que choisir ses proches. Après tout, ses gênes l’ayant abandonné, il lui fallait trouver des êtres l’acceptent. Et si le premier fut Kaël, il sera assez rapidement rejoint par toute une troupe de rejetés, de parias, d’invisibles nuisibles. Ce sont ces cafards que Negoya choisira. Parce qu’au fond, ils lui étaient semblables. Torturés, humiliés, chassés, trahis, seuls. Ils se complétaient. Elle n’avait qu’eux.

Si personne n’avait besoin d’eux, alors avec Kaël ils trouveraient le moyen de leur donner un toit. Un endroit pour être eux, sans jugement. Si la société n’en voulait pas alors les marginaux se réuniraient. Si le Monde ne les voyait pas - et ne le voulait pas - alors Ils seront les Spectres.

Tous préféraient vivre ensemble, comme des fantômes, plutôt que seuls mais acceptés. De toutes façons, ils étaient à peine tolérer. Le choix fut vite prit.

Seulement la Guilde avait Kael et Negoya. Negoya, elle, avait d’abord Kael puis la Guilde. Leur lien supplantait tout. Il était son Tout. Son amour, ses joies, sa quiétude… Et son désespoir…


KAEL!!
Un hurlement avant que l’hybride n’ouvre les yeux sur un mur de livres duquel quelques ouvrages manquaient. Bouquins éparpillés sur lesquels Negoya s’était écroulée. Ça faisait un mois. Juste un mois. Et déjà l’hybride s’était détériorée. Elle était plus mince, plus blanche, moins alerte. Cette nuit encore, elle avait rêvé de son âme-soeur. De ce combat, de cette lumière. De ce déchirement quand leur lien s’est tendu. Elle avait tout revu une nouvelle fois. Elle avait tout senti.

Derrière la lourde porte de la bibliothèque, une petite hybride aux oreilles baissées regardait inlassablement le sol. Elle aussi comptait les jours. Des pas résonnèrent, le visage de la lapine se releva pour croiser un regard inquiet. Un mouvement négatif de la tête et elle reçu un soupir en réponse avant que les pas ne se mettent à s’éloigner. Negoya n’allait pas “mieux” ni même “bien”. Depuis que Kael les avait protégé, Negoya semblait s’être transformée. La Guilde s’inquiétait mais tous ont vu son regard mort, vide, éteint. Tous l’ont vu pleurer sans un bruit, sans les voir, comme si l’Univers venait de se fissurer. Tous étaient là quand elle a distribué les tâches et les nouveaux rôles. Tous, sauf le plus important. Elle s’était enfermée dans leur chambre et personne n’a dormi cette nuit-là. Personne ne le put, chacun perdu dans leur tristesse, Negoya hurlant dans leurs draps jusqu’au lever du soleil.

Quand elle décida qu’il était temps de sortir de la pièce, elle n’était plus Fondatrice de la Guilde, Mère des Spectres. Elle n’était qu’une femme seule, uniquement motivée par sa nouvelle obsession : le retrouver ou, dans le “pire” des cas, le rejoindre. Il n’était pas mort. Parfois le lien semblait vibrer mais au fond d’elle elle en était convaincue. Kael était quelque part. Ailleurs. Sans elle. Et elle était ici. Sans lui. Une situation ô combien inacceptable.



Le temps ne sembla pas être son allié. Les jours passèrent, les semaines, mois… Et rien. Rien sur la magie, rien chez les Anciens, rien dans les potions, rien dans les légendes. Negoya l’hurlera de rage parfois. “ON PEUT FAIRE DU FEU DANS LA PAUME DE SA MAIN MAIS PAS DE PORTAIL VERS UN AUTRE MONDE?!”. Elle finira par faire de l’endroit son premier “chez elle”. Retourner à la Guilde lui faisait si mal… Elle voyait Kael partout, elle l’entendait, le cherchait. Alors vous imaginez bien que dormir dans leur chambre était d’autant plus douloureux. Elle tentait de se convaincre qu’il était en mission… Mais ce n’était pas pareil. Sa magie lui imposait de le retrouver. Sa magie, son coeur, tout son être n’avait que cette idée en tête. Le retrouver.

Et un matin, après un réveil en sursaut dû à un énième cauchemar, elle sortit prendre l’air. Elle papota avec quelques membres de la Guilde, tentant par instant de les rassurer et alla se prendre quelque chose à manger. Quand elle ouvrit la porte qui aurait dû l’amener aux Jardins, sandwich en main, elle fut éblouie d’un flash et engloutie. Et puis… plus rien jusqu’aux odeurs étranges qui lui prirent le nez, les voix inconnues autour d’elle. Et son souffle court, ses membres qui tremblent, sa tête qui tourne. Devant son regard flou, son sandwich écrasé sur un pavé.

- Qu’est-ce que…?