Quand la viking retrouve son r'nard

Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, encore ? Trois jours déjà que je suis bloquée dans cette temporalité, on arrête pas le progrès…
J’ai beau essayer de communiquer avec l’esprit du changement temporel, on dirait qu’il veut pas me répondre. La communication est coupée, il est trop loin de moi. C’est quand même léger embêtant, quand on est perdue dans l’espace et le temps. Enfin, si, il me répond, juste… comme s’il y avait un temps de latence, comme si c’était difficile de me répondre. J’ai l’impression aussi que son pouvoir a diminué : il n’arrive plus à me faire sauter que de trois petites secondes en arrière, là où, précédemment, ça pouvait être plus long. Je ne comprends pas trop comment ça se fait. Peut-être qu’il a été coincé dans un genre de demi-réalité, entre les mondes, hors de l’Espace ? Allez savoir…
C’est capricieux, les esprits.

Pour l’instant, celui qui me répond le mieux, c’est l’esprit de communication, c’en est presque ironique. J’ai découvert que je pouvais discuter à distance, ça n’a pas été altéré. Pourtant, ce n’est pas le premier esprit qui est venu m’aider dans ma quête, mais bon, vous comprenez… Non. Moi non plus, en fait.
Je suis pas faite pour comprendre les choses, d’habitude. Moi, je tape. Fort, violemment, avec une super belle hache à l’effigie de ma famille. Mais ça aussi, c’est chelou : depuis que je suis là, elle refuse son effet boomerang. Elle veut pas revenir à moi. Quand je la lance, elle se fiche dans un caillou ou un tronc d’arbre. Allez essayer de la récupérer après ça, c’est pas une mince affaire, c’est moi qui vous l’dis, foi de Nordique.

Et puis y’a celui des Abysses. Alors lui, il répond vachement bien. Noctyssia ne m’a pas abandonnée, au moins, ça fait plaisir à savoir. Parce que d’ici à ce que l’autre soit motivé à me ramener chez moi, c’est pas demain la veille, et ça me fait un peu chier, je vais pas mentir.

Et j’avoue, ils commencent à me manquer, les potes. Setsuna par-dessus tout mais même Kurt et Yako en vrai…
En…
Mais…
Attendez, quoi ?
Mais il est là aussi, Yako ?? Il s’est fait embarquer avec moi ?? C’est bien lui que je vois, là sur la place du marché ? Non, c’est pas possible.
C’est pas possible !!!
Je suis surexcitée, je cours dans sa direction pour le trouver et l’étreindre avec une brusque bourrade.
YAKO !!! Mais qu’est-ce que je suis CONTENTE de te voir !!! Tu peux pas imaginer ! Toi aussi, ça fait trois jours que tu erres ? Putain je suis dé-so-lée de t’avoir embarqué dans cette merde ! Tu m’a touchée pendant que j’appelais le changement temporel, c’est ça ? C’est su-per bizarre que tu sois pas arrivé au même endroit que moi ! Ça va bien ?

Non, mais c’est sûr, ça ne peut être que lui. Le même fluff, la même couleur de fourrure, la même façon de bouger, les mêmes fringues ou presque… Et puis, c’est pas une espèce si répendue, les yokai. Donc, CQFD, c’est forcément lui.

Qu’est-ce que ça fait du bien de voir un pote !!!

Il est trop bizarre, Yako. Il me répond comme s’il était sur la réserve.
Et d’un coup je comprends : il a peur qu’on soit espionnés.
C’est évident : on vient de défaire Valecor, après tout, quoi de plus normal que d’avoir des membres réticents à la fin de leur culte derrière nos trousses ?

Je décline de la tête, et ajoute un signe de main pour faire comprendre qu’on ne craint rien ici.
Mon pauvre Yako, t’es tout déboussolé. Non, mais j’comprends, moi aussi j’ai mis un peu de temps à capter ce qu’il s’passait. T’inquiète, si tu t’es bourré la gueule, c’est pas avec moi que t’as flirté y’a trois jours. Mais tu sais… Enfin, de toutes façons, je crois que vous êtes ok, avec Lizabeth, mais fais gaffe quand même, à ce que ça lui pose pas de soucis que tu te bourres la gueule dans le lit d’un autre tu sais. T’as vu comme on était belles à notre mariage, d’ailleurs ?
Je bombe le torse, trop contente de pouvoir m’épancher sur Setsuna. Je m’approche de son oreille, comme pour lui parler sur le ton de la confidence.
Non, mais, je veux dire, canon, ma meuf, hein ? Avoue ! Je te jure, même trois jours, elle me manque, je suis complètement droguée. Ça t’a fait pareil, à toi ? Comment t’as pu survivre à une mission entière loin de ta moitié ? Je te jure, je suis impressionnée.
Je me rends vite compte que je monopolise la parole, le pauvre ne peut pas en placer une. Alors, je lui fais une grosse tape sur l’épaule.

Mais je cause, je cause, et toi, où t’as disparu, hein ? A part ta beuverie, d’ailleurs tu m’as même pas invitée, ça c’est pas cool, mais bon, je t’en veux, pas, toi, tu deviens quoi ? 
Je lui lâche mon plus grand sourire pour qu’il ait envie de se confier un peu. Yako, c’est un mystérieux, un cachottier. Quand on lui sort pas les vers du nez, il dit rien à personne. Mais ça, on a appris à s’en contenter. Tu parles : depuis des années maintenant qu’on fait des missions ensemble, qu’on bat la campagne à la recherche des hérétiques, heureusement qu’on a appris à se comprendre les uns les autres.
Oh, et puis j’ai vu que tu faisais semblant de ne pas me connaître tout à l’heure : t’inquiète pas, je suis persuadée que personne ne viendra nous chercher, ici. On est tellement loin de Gandéron. Valecor n’a qu’à bien se tenir de toutes façons, entre ton invisibilité et mes coups de hache, il s’en prendrait à nouveau plein la tronche ! Même si on est pas au complet, je peux te l’assurer !
Je lui souris de toutes mes dents à présent. Je suis tellement, tellement contente de retrouver un bon vieux copain.
Bon, tant qu’on est là ! Ça te dirait pas qu’on aille se rincer un peu le gosier ? Non, parce que du coup, tu me dois bien une bière !

Sacré Yako, il change pas, lui.

Oh, ça y est, j’ai compris ! S’il est tellement en panique, c’est parce que je l’ai appelé par son nom, c’est évident ! Je mime la confidence.
Oooooh, je vois, je vois… J’ai compris, Magnus, t’inquiète.
Je lui fais un clin d’œil, parce qu’il a l’air carrément inquiet que je gâche sa couverture, mon petit retard. C’est adorable, il prend vraiment son travail trop à cœur. J’aurais dû m’en douter, après tout : c’est notre Yako, ça.

Quand il me dit qu’on était époustouflantes avec Setsu, je bombe le torse. Je me sens si fière d’être mariée à la première lame du Shogunat, moi. Elle m’a choisie, moi. Et cette demande en mariage improbable, en plein combat !
Ça n’aurait pas pu se passer autrement, remarquer : entre Setsuna et moi, disons que… l’action passait avant la réflexion. Ç’avait toujours été le rôle de Yako, de réfléchir. Et de Kurt d’exécuter. Setsuna et moi, on était des fonceuses toutes les deux : vaille que vaille, on se lançait dans nos projets, le cœur gonflé, et l’arme au poing. Et ça nous avait plutôt bien réussi : elle avait le plus haut grade de Guerrière de sa Terre, et moi, je secondais ma Reine. Dans la vie, on a rien sans rien : si on veut sa place, il faut se battre pour la gagner. Ma femme et moi, on l’avait bien compris.

Je lui fais une nouvelle accolade.
Oh, oui, je sais que vous êtes très ouverts, avec Lizabeth, t’inquiète pas. C’est pas moi qui vais te juger, tu sais bien. On se connaît depuis trop longtemps pour ça.
C’est bizarre, je crois avoir entendu « il », dans sa phrase… ? J’ai dû me tromper.

Que… Ah, oui, non, en fait, je me suis pas trompée ! Il a un copain, maintenant ?? Je fronce les sourcils, incertaine de comprendre.
Attends, attends… Tu as un copain, maintenant ? C’est nouveau, non ? Pourquoi tu nous en as pas parlé plus tôt, c’est super cool ! Je suis contente pour toi. J’imagine que Lizabeth t’en tient pas rigueur non plus, elle a quand même une telle force de caractère, cette femme, j’avoue que je suis impressionnée. Je suis pas sûre que je pourrais faire comme elle. Imagine : ma femme qui va voir ailleurs, alors qu’on est à peine mariées !
Je souris lorsqu’il parle de son nouveau compagnon. Il est marrant, Yako. Il a toujours été un peu charmeur, quand on faisait nos missions ensemble, mais il osait pas se poser.
Et le voilà maintenant marié, avec deux enfants, une femme et un deuxième compagnon de vie !
Y’en a qui chômaient pas.

Ahah ! Tu me le présenteras, ton améthyste ? Il a l’air beau gosse, vu comme tu en parles.
Je range ma hache dans mon dos, me rendant compte que depuis tout ce temps, je la tenais sur mes épaules. J’ajuste un peu mon tabard du Loup, car il faut toujours être fière de ses origines, et je reporte à nouveau mon attention vers Yako.
Rayan ? Curieux, j’étais persuadée que tu m’avais dit que ton fils s’appelait Basile. Rien à voir, en plus, niveau sonorités ! Ça se trouve, tu me l’as dit quand j’étais bourrée. Vous êtes pas fâchés, au moins, avec Lizabeth ?
Non, parce que, à l’entendre, on croirait presque qu’il parle comme d’un couple de parents séparés qui se partageraient la garde de leur enfant. Mais, après tout, ni lui, ni sa femme n’avaient jamais été trop démonstratifs. Ils ont toujours été un peu comme ça. Si mon Yako était heureux, c’était bien tout ce qui comptait, peut importait bien sa façon de vivre sa vie. Je ne me doutais pas que de toutes manières, il s’occuperait parfaitement bien de Ba… Rayan et Asura. C’est qu’il avait la fibre paternelle, et beaucoup, beaucoup d’amour à revendre.

Ah bah oui, hein ! J’espère bien que tu vas m’inviter !
Et quand il éclate de panique, j’avoue, je me plie en deux de rire.
Yako, j’te jure, tout le monde est au courant pour ton invisibilité. Faut dire que t’as jamais été très précis sur son utilisation !
Je lui fais à nouveau un clin d’œil alors qu’il me dit me proposer une bière.
Ah, bah, voilà, enfin les vraies choses de la vie !

Aaaaaaah, là tu sais me faire plaisir ! C’est clair que t’as pas l’air d’être très réveillé, un peu d’alcool te fera pas d’mal.
Même si rien ne vaut jamais la bonne bière Nordique.
Par contre, fais gaffe, heureusement que Val II t’entends pas. Non parce que, t’imagines sa tronche, si tu lui dis que je ressemble à une Reine ? Non, mais, qu’elle croie pas que j’fasse comme le paternel à fomenter un coup d’État ! AHAHAH !
Je suis tordue en deux tellement je ris. Il n’y a pas plus intègre que la compagne de Val II et moi, on pouvait dire qu’elle avait bien choisi ses Thanes !

Reine, moi !

Je crois qu’il commence à m’embrouiller, mon petit renard. Je me gratte la tête, et définitivement, l’idée d’aller boire un verre est la meilleure.
Autant d’enfants ? Mais il me semble que vous en aviez que deux, non ? D’accord, je me trompe sur Ba… Rayan, mais je suis sûre de moi que sa jumelle s’appelle Asura.

Est-ce que c’est possible que… Yako ait perdu la tête dans ce nouveau monde ? Qu’il soit arrivé amnésique? J’ai l’impression qu’on est dans un dialogue de sourds.
Bien sûr, je veux bien te croire que les enfants c’est une grosse charge de travail. Moi, j’en ai pas, avec Setsu, tu sais bien. Je crois qu’on a pas la fibre maternelle toutes les deux, de toutes façons.
Il me parle toujours de son copain tout mignon, ça me fait plaisir de le voir heureux.
Yako… Je suis désolée de te demander ça mais… T’as perdu la mémoire en passant ce satané portail de mes deux, là ? T’es là depuis combien de temps ? Non, parce que, je te trouve tout bizarre. Ici, personne sait que Magnus et Yako sont la même personne, je peux ne pas t’appeler Magnus, si tu veux, mais j’avoue que tu m’inquiètes.
Et voilà qu’il me demande depuis combien de temps on se connaît… Y’a un truc qui cloche.

Je m’assois en face de lui, un peu hésitante, pour une fois. Je pose ma hache par terre et commande la meilleure bière du barman, dans une grande chope.
Mais… Mais Yako, avant que t’arrives dans ce trou paumé, avant que je passe le portail, parce que moi j’suis arrivée y’a quelques jours, t’sais, on a sillonné Gandéron ensemble pendant près d’une dizaine d’années ! C’est avec toi qu’on a détruit la menace dans les Royaumes du Nord, qu’on a évité à mon paternel de voler le trône de Val II, qu’on a passé les épreuves du Shogunat, les guerres du Griffon, les trucs magiques de chez toi que j’ai jamais trop compris, c’est avec nous que t’es devenu Magnus, et même, un genre de demi-dieu. Comment tu peux avoir oublié tout ça…?
Plus j’énonce nos faits de gloire, plus je baisse la voix. Il vaudrait mieux pas que des oreilles indiscrètes sachent qu’on est tous les deux des disciples choisis par nos divinités respectives. C’est toujours mieux de garder ses secrets et ses atouts dans sa manche.

Je bois une grande rasade de ma bière.
Tu fais une sacrée drôle de tête… T’es sûr que ça va, mon p’tit r’nard ?
Je lui fais une petite tape sur l’épaule que j’essaie de mesurer pour éviter de le casser en deux. Manquerait plus que ça, il a déjà l’air tout perturbé, le pauvre.