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Morrigan
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"Le venin de la vipère n'est pas un poison pour son espèce"






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L’ennui avec le pouvoir, c’est qu’il attirait les importuns, à l’image du miel avec les mouches. Depuis son passage de rang, on venait consulter le télépathe pour tout et n’importe quoi. Morrigan n’avait pas encore pu prendre la mesure de ses capacités et s’exercer en toute quiétude, qu’on venait déjà l’incommoder avec des requêtes triviales. Les demandes étaient parfois si absurdes, que le mage se demandait s’il ne devait pas y voir une forme de bizutage malvenu. Même en les ignorant, les doléances affluaient. On avait beau chasser les mouches, elles finissaient toujours par revenir sur leur cible de manière agaçante... Malgré tout, Morrigan n’avait pas l’habitude d’attirer l’attention de la sorte, s’étant habitué jusqu’ici à un anonymat humiliant mais confortable au sein de la guilde.

Alors qu’il avait programmé une journée de recherches et d’expérimentations télépathiques, des agents du département administratif lui avaient signalé qu’on demandait à le voir. Morrigan avait bien entendu exprimé son mécontentement à ce sujet, mais on lui affirma que la dame était de « rang or » et « plutôt insistante » de surcroît. Évidemment. Il oubliait encore parfois que les employés de cette institution déficiente s’avéraient particulièrement impressionnables. C’était d’autant plus vrai dans un système aussi hiérarchiquement balisé. Bien que cela ne tienne, il saurait en congédier une de plus.

« Et qui est cette dame, au juste ? Et quand souhaite t-elle me rencontrer ? » demanda t-il sans chercher à cacher son déplaisir.

« Freya Bloodjörn. Elle nous a informé revenir de pied ferme d’ici une heure ou deux. L’affaire est urgente, d’après ses dires. » se sentit obligé d’ajouter l’homme pour donner du poids à la convocation qu’il n’avait pas su reporter.

« C’est noté. » grinça l’érudit avant de prendre congé.

Il ne connaissait pas cette Freya, mais elle ne marquait pas des points en abusant de son temps et de sa patience. Qui se croyait suffisamment important pour convier un inconnu à un horaire à la fois aussi imminent et imprécis ? Le délai imparti était le moins pratique qu’il soit. Morrigan n’avait guère le temps de se lancer dans une nouvelle activité tout en sachant qu’il allait devoir faire le pied de grue. Passablement agacé, le télépathe profita d’être sur place pour se renseigner sur son interlocutrice. Dans ce genre de situation, le commun des mortels s’armait de patience, le mage, lui, préférait s’armer d’informations. On n’était jamais assez prudent… Même parmi ses pairs.

Morrigan n’avait glané que peu de renseignements, ou du moins, aucune rumeur compromettante à son sujet. Freya passait auprès de la guilde pour une bonne combattante, sérieuse et volontaire. Elle semblait dépenser une énergie particulière dans l’accomplissement de la quête de l’Ordre et certains confiaient à demi-mots la trouver plutôt intimidante. L’érudit n’avait pas encore bien réussi à déterminer si la source de cette dissuasion était due à son apparence draconique ou à un caractère détonant. Quoi qu’il en soit, il n’allait pas tarder à le découvrir, puisque l’heure approximative du rendez-vous approchait à grand pas.

Comme convenu à la réception, Morrigan était maintenant allé patienter dans une des petites salles de travail qui étaient mises à disposition par la guilde en cas de réunion ou d’études variées. Le bâtiment était plutôt bien insonorisé, ce qui permettait aux soldats de discuter en tout quiétude ou de profiter du calme studieux de ces salles. Puisqu’il n’avait encore aucun avis tranché sur sa mandataire, le mage imaginait qu’elle viendrait certainement l’importuner pour une affaire personnelle. Encore une qui voulait profiter des rumeurs sur son pouvoir télépathique, sans doute. D’autres s’y étaient déjà cassés les dents, même en lui léchant les bottes, Morrigan restait inflexible. Il n’avait pas quitté cette vie de mercenariat et d’espionnage pour suivre la même voie dans l’autre monde.

La principale intéressée avait cessé de se faire désirer en daignant enfin se présenter à lui. Après avoir entendu quelques coups affirmés et fermes sur la porte, le télépathe l’invita à entrer. D’un geste calme et assuré il reposa son livre auquel il n’avait pas eu le temps de s’intéresser puis toisa son hôte aux cheveux flamboyants. Qu’allait-elle diable bien vouloir ? Savoir où elle avait égaré sa bourse ? Si son employeur prévoyait de la promouvoir ? Demander ce que pensait l’être aimé et s’il allait revenir ? Il refusait de toute façon la plupart de ces demandes, ne voulant pas se rabaisser à de telles fadasseries. Morrigan était télépathe après tout, pas devin, entremetteur ou détecteur d’objets… Suite à toutes ces hypothèses déjà éprouvées, il était curieux de connaître enfin le motif de sa visite.

« Bonjour, Freya. J’ai cru comprendre que vous vouliez me voir. » dit-il laconiquement en guise d’avant-propos. « Sachez avant toute chose que je suis un homme pressé et que je me réserve le droit de refuser les demandes excentriques. Ce qui inclus les économies, les enquêtes sur la concurrence déloyales, et les affaires de cœur. La liste n’est bien entendu pas exhaustive. »

Maintenant que la messe était dite, il observa la combattante d’un air impassible. Son attirail lui faisait penser qu’il avait encore omis un détail d’importance.

« Si c’est au sujet d’une mission belliqueuse et dans laquelle il faut vous prêter main forte, je vous invite à vous adresser à des combattants. Je me réserve pour des requêtes plus intellectuelles. » lâcha t-il de façon passablement dédaigneuse et qui montrait son aversion pour le combat voire l’effort physique de manière générale.  

La dragonne saurait ainsi à quoi s’en tenir. Rang or ou pas rang or, très insistante ou non, Morrigan n’était pas du genre à se laisser imposer quoi que ce soit. Toute mission urgente ne l’était que par le prisme de celui qui l’ordonnait.



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Rang C : 2 010 points de renommée


Dernière édition par Morrigan le Jeu 20 Avr - 18:23, édité 1 fois
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Portalia n’est pas au bout de ses péripéties. Dans un premier temps, des explosions ont eu lieu au quartier Nord, suivies de l’apparition d’une créature du chaos. Une personne a été associée et jugée pour ce crime : Gemini. Cette dernière aurait été tuée par un proche des victimes. Ensuite, des massacres ont eu lieu dans une taverne du quartier Nord, ainsi qu’au quartier Ouest, près du port. Si tu as malheureusement été absente lors de ces faits, tu tiens dorénavant à marquer le coup. Tu penses avec contrariété à la conversation que tu as eue avec Elizabeth ; pour toi, beaucoup de personnes en ce monde manquent cruellement d’ambition. L’idée de tout remettre en ordre peut paraître folle, mais c’est bien celle que tu t’es fixée. Si tu es toujours aussi focalisée sur la quête de l’ordre, tu commences de plus en plus à t’intéresser à ce qui se passe à l’intérieur des murs de la cité-forteresse. Tu sais en outre que la Guilde ne possède plus sa splendeur d’antan, est-elle dorénavant gangrénée par la corruption. Cela ne change rien à ton allégeance, es-tu déterminée à changer les choses.

C’est pourtant plus facile à dire qu’à faire. Tu sais qu’un long travail attend la Guilde si elle souhaite remonter la pente dans laquelle s’est engagée ces dernières années. De ton côté, tu n’as bien sûr pas autant de pouvoir qu’avant. Tu es certes passée au rang or – ce qui peut déjà être considéré comme honorable – ce n’est guère suffisant pour avoir l’influence nécessaire pour redresser ta faction, et tu le sais. Quelles sont donc tes ambitions exactes Freya ? Tu sembles avoir quelque chose derrière la tête, mais pour le moment, tu en es encore à faire tes preuves. Tu veux passer pour un membre exemplaire, et c’est ainsi que tu  t’es spontanément proposée pour aider à l’enquête autour des derniers crimes.

Tu as donc interrogé le maximum de personnes autour des suspects. Tu as bien vite mis le cas d’Hypanatoï temporairement de côté pour converger tes efforts vers Derek. En effet, il semblerait que ce soit sur lui que tu aies le plus de chances de trouver des informations étant donné qu’un membre de la Guilde aurait officiellement réalisé une mission avec le principal intéressé à date récente. Tes yeux ont brillé de convoitise et d’intérêt lorsque tu as entendu le nom de Morrigan. Si tu ne connais aucunement cet homme ni le monde d’où il vient, tu n’en as cure. Tu sais néanmoins qu’il est réputé être télépathe depuis peu et qu’il ne s’agit guère d’un combattant. Il a vraisemblablement été bien discret à tes yeux, à gérer la partie administrative de la Guilde. Il n’en reste pas moins une personne que tu te dois d’interroger.

C’est sans plus de manières que tu as demandé à une recrue de le voir dans les plus brefs délais. Sans doute ta camarade de Guilde a-t-elle été intimidée par ton apparence ou le ton impérieux de la demande car elle s’est exécutée sans la moindre protestation. Une fois l’heure du rendez-vous fixée, tu t’es dirigée d’un pas assuré vers le lieu où t’attend Morrigan. Jugeant inutile de te présenter, tu l’as simplement salué d’un léger signe de tête, sans t’offusquer de ses remarques. Pareil accueil aurait pu te faire sourire dans d’autres circonstances tant il te ressemble. Néanmoins, tu abordes ici un visage sérieux et fermé, à la hauteur de la gravité de l’enquête.

« N’ayez crainte, j’irai droit au but. »

Te rappelant que Morrigan est télépathe, tu te demandes si ce dernier se doute de la raison de ta venue. Cela lui donnerait en outre un avantage sur toi dans cette conversation, et cela te contrarie. Aussi veilles-tu à dresser des barrières mentales et à laisser le moins de pensées circuler, à supposer que cela suffise pour lui rendre la tâche plus compliquée. Dans le cas contraire, tu te donnes bien du mal pour rien.

« Comme vous le savez sans doute, deux massacres ont eu lieu le même jour par un duo d’aventuriers : Derek Ravencross et Hypanatoï Konostinos. Nous les recherchons. »

Ce n’est qu’une introduction à ce qui l’attend, mais Morrigan doit dorénavant bien se douter de la suite. Tu te demandes d’ailleurs pourquoi ton interlocuteur a-t-il été si discret à ce sujet alors qu’il possède vraisemblablement des informations d’une importance cruciale pour l’enquête de la Guilde. Ton regard se fait plus sévère alors que tu reprends la parole.

« Je sais de source fiable que vous êtes l’une des dernières personnes à avoir été aperçue avec Derek. Je veux les informations que vous possédez sur lui, toutes. »  

Le ton sonne comme un ordre tandis que tu guettes attentivement la réaction de ton interlocuteur. Allait-il aisément obtempérer ? De ton côté, tu ne lui laisses pas le choix.

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Un vague sentiment d’espoir s’était emparé de lui quand l’inconnue avait souligné sa brièveté. Ainsi, il pourrait la congédier rapidement et sans craindre qu’elle ne s’étale en jérémiades comme la plupart de ses camarades. Morrigan observait ses faits et gestes d’un air circonspect. Pourquoi était-elle aussi tendue après avoir montré d’entrée autant de flegme à son égard ? Ce contraste étonnant lui donnait un mauvais pressentiment. Et il ne croyait pas si bien dire, compte tenu de la teneur révoltante de ses propos... Freya avait commencé sa phrase avec une tournure fort déplaisante et qui  arracha au télépathe un sourire torve. Ses doigts commencèrent à pianoter d’un air agacé contre la grande table de réunion. Il s’agissait en effet des mêmes subterfuges qu’il utilisait avec les abrutis de la capitale, pour leur donner l’illusion qu’ils maîtrisaient la situation alors qu’on les menait à admettre une vérité jamais éprouvée. Une technique de manipulation verbale vieille comme le monde mais qui ne laissait aucun doute sur les intentions de la jeune femme. Bien. Freya n’était donc pas stupide à défaut de croire qu’il l’était en retour.

Mais si le mal ne s’arrêtait qu’ici… Son discours allait clairement de mal en pis. Quand elle prononça le nom de Derek, le regard du mage ne traduisait plus une impatience lasse mais un ressentiment glacial. Il n’aimait pas son ton impérieux, et encore moins qu’elle accole des caractéristiques péjoratives au nom d’une des seules personnes qu’il estimait vraiment dans cette cité. L’érudit ne savait que trop bien que le nom du mercenaire serait traîné dans la boue après avoir collecté un certain nombre de rumeurs peu élogieuses à son sujet. Il l’avait réalisé bien avant de le choisir comme partenaire de mission et de vie. Morrigan avait vaguement entendu parler de cette histoire de crime. Mais qui était assez stupide pour s’étonner que des gens ne meurent de la main des hommes ? Le constat était d’autant plus hypocrite, quand on pensait que les grandes institutions de ce monde décapitaient des jeunes filles sans crime odieux apparent. Contrairement aux manœuvres ombrageuses de l’Église, Morrigan avait toute confiance en Derek et son jugement. Il n’était pourtant pas sans ignorer la violence qui habitait cet homme ni sa propension à faire justice lui-même. Le mercenaire était un homme libre et sans doute le resterait-il, c’est du moins ce que le mage voulait croire.

Un autre argument d’autorité, adressé par la dragonne, le percuta de plein fouet. A en juger par ses méthodes offensives, Freya ferait sans doute une merveilleuse politicienne… détestée et détestable. Le télépathe n’avait rien contre le zèle productif, tourné vers des domaines passionnés et au service du progrès, mais il avait une sainte horreur pour ceux qui essayaient de le contrôler. Freya ne lui donnait pas l’impression de vouloir faire avancer les choses pour servir une soif de justice, mais de vouloir écraser et dominer pour satisfaire sa mégalomanie. Voilà pourquoi sa dernière phrase, beaucoup trop injonctive, le conduit à claquer la langue d’un air désapprobateur. Oh, elle voulait toutes les informations qu’il possédait sur Derek ? Si on était au chapitre des doléances, il fallait le prévenir plus tôt.

Et moi je veux retrouver ma mémoire, et que les gens me foutent la paix. Mais on ne peut pas tout avoir Freya, la preuve, puisque vous êtes là pour saboter présentement ces deux projets. Morrigan déploya des trésors de sang-froid pour ne pas lui répondre de manière aussi cinglante. Il voulait croire que ses tendances colériques étaient une facette de sa personnalité qu’il pouvait dompter, même si Portalia le mettait ardemment à l’épreuve. Lui répondre aussi frontalement ne valait pas certainement pas les conséquences induites. Pour qu’on l’accuse d’insubordination ? D’outrage ? De rétention d’informations ou de complicité ? Non merci, il souffrait déjà suffisamment de l’ingérence de l’institution. Surtout qu’il pouvait la jouer fine, en faisant semblant de collaborer sérieusement pour obtenir des compléments d’informations sur l’enquête en cours. Ce projet ne l’empêcherait pas d’exprimer le fond de sa pensée à la fauteuse de trouble qui avait l’audace de se présenter ainsi devant lui.

« Vous n’êtes pas sans ignorer la politique mercenariale de cette ville. » entama t-il, haussant les épaules, en reprenant les mêmes mécaniques de phrases dédaigneuses que son interlocutrice. « J’ai vu la guilde donner des armes à des félins, des léporidés et même à un petit ailuridé. Et encore, je vous épargne la théorie selon laquelle ils seraient plus capables de faire preuve de bonne mesure que certains hommes dans nos rangs… Alors oui, Freya, les gens tuent. C’est ce qui arrive quand on distribue des armes au premier venu et qu’on persuade la population qu’une menace divine pèse sur eux en permanence. » conclut-il de manière grinçante.

Les criminels ce n’était pas ce qui manquait à la capitale. Plutôt que de se focaliser sur des meurtres très probablement justifiés, pourquoi ne pas s’occuper à débusquer les vrais dangers qui planaient sur la ville ?

« Je pense que vous perdez votre temps. Ce ne sont pas des pseudos-criminels, qui ne savent visiblement pas couvrir leurs traces, qui m’inquiètent. Les pires prédateurs sont ceux qu’on ne voit pas, et qui passent pour blancs comme neige. » dit-il en évoquant directement et sans détour la menace des Dark Souls.

Voilà une cause qui pourrait occuper la guerrière zélée puisqu’elle n’était visiblement pas capable de hiérarchiser elle-même la gravité des faits. Sans se départir de son arrogance, Morrigan balaya les accusations de l’hybride du revers de la main.

« Certes, j’ai récemment rencontré Derek dans le cadre d’une mission à l’extérieur. Je ne vois pas ce que vous voulez savoir de plus à propos d’un homme avec qui j’ai partagé un voyage et un repas. » lâcha t-il sèchement.

Dire le vrai pour prêcher le faux était après tout sa spécialité. Si Freya voulait jouer à ce petit jeu-là, elle avait intérêt d’avoir le cœur bien accroché.

« C’est un bon combattant qui a la capacité de voir les fantômes. Mais ça… Vous le savez déjà. » ponctua t-il d’un sourire insupportable. « Oh, si cela peut vous avancer, il aime la bière et la viande blanche. » dit-il avec un sarcasme jubilatoire.


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Pendant un instant, tu as l’impression de contempler ton propre reflet. Cette arrogance, cette condescendance et cette fierté. Tout ceci ne te rappelle donc pas quelqu’un ? Tu ignores beaucoup de choses sur Morrigan mais supposes que dans son monde, il devait être un homme de noble rang. Peut-être le penses-tu à tort, peut-être le penses-tu à raison. Toujours est-il que ton interlocuteur dit des vérités et qu’à tes yeux, la Guilde tend à se ramollir. Rigueur et discipline ne sont plus mot d’ordre, mais comment pourrait-il en être ainsi, alors que Portalia s’obstine à faire venir des invoqués dont ils ne connaissent rien ? Tu as de gros doutes sur l’efficacité des méthodes employées, la preuve étant qu’aucun des rois du chaos n’est tombé au bout de deux mille ans. Le sous-entendu sur les Dark Souls ne passe pas dans l’oreille d’une sourde, lui non plus. Oui, il y aurait des choses à faire, des situations à redresser pour rendre à cette organisation sa splendeur d’antan.

« Il faut bien commencer quelque part, vous ne pensez-pas ? »

Si Morrigan a de la répartie, tu sais largement te défendre ; autre point que vous avez en commun. Tu dois reconnaître que l’homme a l’esprit aiguisé, ne t’étonnes-tu guère qu’il soit une essence bleue. Il a l’art et la manière de parler, de détourner la conversation. Tu es quant à toi plus brutale, plus frontale dans tes approches, telle l’essence rouge te correspondant. Tu n’es pas bête, tu as bien vu que Morrigan a essayé de noyer le poisson en changeant de sujet pour endormir ta méfiance. Ce n’est pas tant son comportement qui te contrarie que son refus d’obtempérer. À Drakenmarg, nul doute que tu aurais employé la manière forte pour lui faire avouer tout ce qu’il sait, tel un bourreau qui veut entendre ce qu’il souhaite entendre. Ici, les règles du jeu sont différentes, aussi dois-tu te contenter de la joute verbale. En tout cas, tu ne lâcheras pas l’affaire aussi rapidement.

« Je vous félicite, vous êtes doué pour faire diversion… Néanmoins cela ne fonctionnera pas sur moi. » réponds-tu d’un ton railleur.

Tu lui fais ainsi savoir que tu ne tombes pas dans son piège. Morrigan t’inspire une certaine méfiance dans la mesure où tu éprouves des difficultés à savoir s’il ment ou non ; son visage ne laisse rien paraître. C’est plutôt par égo que tu te permets de poursuivre, ne supportant pas de devoir repartir bredouille. Peut-être ton interlocuteur ne sait-il effectivement rien d’intéressant sur Derek ; il est malheureusement tombé sur une personne qui n’améliorera pas son humeur du jour.

« Je peine à vous croire lorsque vous prétendez ne pas en savoir plus sur la cible. Vous semblez oublier que les rumeurs circulent à bon train dans la Guilde pour qui laisse traîner ses oreilles. » tu hausses les épaules, « Certaines sont fantaisistes, d’autres s’avèrent véridiques. Je me demande quel est le cas de celles vous concernant, tous les deux. »

Tu cherches la petite bête. D’habitude, tu ne prêtes guère attention aux petits potins. La rumeur que tu viens de donner est digne des commérages, ne la prends-tu guère au sérieux. Ton but est simplement d’avoir la satisfaction de perturber cet air suffisant qu’arbore ton camarade de Guilde face à toi. Si tu es malencontreusement restée vague sur les rumeurs, tu as juste entendu dire que Derek et Morrigan entretiendraient une bonne relation. Tu es loin de te douter de l’ampleur de cette dernière ; le télépathe interprétera-t-il tes dernières paroles autrement ? Tu ignores du fait que tu t’es aventurée sur une pente glissante ; nul doute que Morrigan aura encore du venin pour toi.

« Pensez-vous que Derek puisse être innocent ? Ou qu’il s’en soit pris à des criminels ? Si tel est le cas, pourquoi est-il introuvable ? Il faut bien admettre que c’est suspicieux. »

Tu laisses le bénéfice du doute, sous-entendant que tu ne condamneras pas un homme accusé à tort. Au fond, tu te doutes bien que Derek n’est pas un enfant de cœur. Cette enquête doit être menée à terme pour le bien de Portalia, pour le bien de tous. De plus, tu as une occasion de te rendre utile, ce qui explique sans mal ton excès de zèle.

« Nous l’attraperons tôt ou tard, et si la Guilde s’aperçoit que vous avez dissimulé des informations utiles à l’enquête, vous serez en situation délicate. » tu marques une pause, « N’oubliez pas que nous sommes dans le même camp. »

Le même camp, c’est dire beaucoup et peu à la fois. Vous ne vous êtes jamais parlés jusqu’à ce jour. Tu souhaites faire comprendre au télépathe de ne pas jouer au plus malin avec toi. Cela aura-t-il son effet ? Tu te doutes que ce dernier n’est pas du genre à se laisser faire.

« Je réitère ma question : que savez-vous sur Derek ? »

Oui, tu insistes.

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La diplomatie n’était certainement pas sa tasse de thé mais son interlocutrice était loin d’être idiote. Morrigan la devinait sans mal impulsive et emportée, et pourtant, Freya ne se laissait aller à aucun débordement violent. Elle voulait la jouer fine. Ou alors, elle avait intimement compris que perdre son sang-froid était synonyme de défaite, en dépit des influences de son caractère. L’érudit ne comptait pas s’arrêter là pour autant. Maintenant que la dragonne l’avait écouté et qu’elle consentait silencieusement à son discours sur la dégénérescence de la guilde, il savait avoir touché une corde sensible.

« Ce sont donc les nobles causes qui vous attirent ? La liste est longue et malgré tout, vous choisissez de prioriser la recherche de vulgaires criminels déjà sous surveillance, voilà qui en dit long sur votre prétendue serviabilité. »

Plus leur conversation avançait et plus le télépathe en était persuadé : l’ordre que voulait Freya n’était pas synonyme de discipline mais de domination. Il fallait donc bien que quelqu’un lui rappelle qu’on ne gérait pas un auditoire comme on commande sur un champ de bataille. La dragonne s’y brûlerait les ailes, malgré son indéniable force de caractère. Ça ne faisait que quelques mois qu’il était là, mais Morrigan voyait clairement des problèmes plus urgents à traiter au sein de la cité. C’est donc tout naturellement que l’érudit étaya son propos d’une sommaire énumération.

« En voici un échantillon : l’ingérence du quartier Nord, l’abandon institutionnel de l’orphelinat, l’abus de pouvoir de l’Église qui condamne impunément d’une sentence de mort des suspects lors de procès véreux, les hybrides traités en esclavage par nos voisins nordiques… Alors voyez-vous, ce n’est pas ce qui manque les pistes pour commencer quelque part, si vous souhaitez redorer le blason de la guilde et de votre zèle insatiable. » siffla t-il avec plus d’animosité que ce qu’il imaginait.

Depuis quand se souciait-il de cette ville qui n’était pas la sienne ? Outre ces problématiques qui touchaient peut-être d’un peu trop près son entourage Portalien, Morrigan était révolté qu’on fasse de Derek et de son compagnon d’arme, Hypanatoï, les coupables idéaux. Ce n’était pas le télépathe qui tentait de faire diversion comme le soulignait Freya, mais toute la ville qui donnait des os à ses chiens de guerre affamés. En jetant quelques criminels mineurs sous le feu des projecteurs, ils s’assuraient de tempérer les masses en leur donnant l’impression de participer activement à la justice de sa sphère. Le mage n’était pas dupe, et c’est pourquoi il devait impérativement prendre sur lui et coopérer avec Freya, pour constater les limites du système et protéger ses intérêts personnels par la même occasion.

Et pourtant vous n’y voyez que du feu quand la guilde use des mêmes procédés. Se retint-il de rétorquer à la combattante. Elle aussi était excitée par l’odeur du sang et des responsabilités. Mais Morrigan n’était pas assez stupide pour partager son point de vue à un des agents les plus zélés de l’institution. Sa diatribe serait probablement confondue avec un parjure, on ne pouvait mettre les armes de la critique éclairée dans toutes les mains. Au lieu de quoi, il se contenta de la gratifier d’un sourire mauvais de mauvais joueur prit en flagrant délit de triche.

La suite du réquisitoire de son hôte du jour s’était mué en pique incisive, voire même en une attaque personnelle. Le télépathe s’assombrit, ses paroles avaient nettement refroidi les braises de sa colère, mais elles étaient loin d’être éteintes. Parce qu’il savait viscéralement que sa froideur n’en était pas moins violente, dans sa façon de se défigurer en rancœur intarissable. Morrigan prit un instant pour se ressaisir et penser à son angle de riposte. Il y avait des rumeurs sur sa relation avec Derek, alors qu’il avait été prudent. Il avait eu raison de se montrer discret à ce sujet, les ennuis le suivaient bel et bien de manière universelle. Derek ne lui facilitait pas la tâche en se faisant remarquer de la sorte… Est-ce qu’il se rendait compte, au moins, que la conséquence de ses actes finirait par lui retomber dessus d’une façon ou d’une autre maintenant qu’ils étaient liés l’un à l’autre ? Non. Le connaissant, et vu comme il se fichait éperdument de sa réputation, le mercenaire n’avait pas mesuré les risques ou cru bon de l’avertir qu’une enquête était ouverte à son sujet. Son petit bout de chaos n’avait pas volé son surnom. Morrigan avait pris sa décision. Il n’affirmerait ni ne démentirait ses accusations. Il ne voulait ni calomnier son homme en s’offusquant et diminuant l’affection qu’il lui portait, ni donner matière à Freya qui l’accusait déjà de complicité. Puisque c’était aussi évident pour tout le monde, même les commères stupides de la guilde… Autant ne pas cacher ce qui était indubitablement vrai en se contentant de donner des informations véridiques mais peu dommageables.

« Ma foi… Si c’est ça qui vous fait vibrer, interprétez ces rumeurs comme bon vous semble. Je n’ai certainement pas à me justifier sur mon entourage et je m’en voudrais de vous priver de vos fantaisies affriolantes. » ponctua t-il d’un sourire caustique et plein de sous-entendus moqueurs. Après avoir remis en cause ses méthodes et ses intentions, il reprit un ton plus sérieux. « Derek et moi avons sympathisé au cours de notre mission. Je ne l’ai pas revu depuis cette date. Je crains que votre piste ne soit froide. » dit-il de façon encore plus glaciale que sa conjecture.

Quand elle se mit à le questionner sur Derek avec ses gros sabots, Morrigan ne put s’empêcher de ricaner. Son homme était bien des choses, mais la seule innocence qu’il lui prêtait incontestablement, était celle qui le rendait aussi gauche dans ses rapports sociaux.

« Et bien je pense surtout que vous ne le cherchez pas très efficacement, quand on sait qu’il m’a suffit d’une lettre adressée à la faction des aventuriers pour convenir d’un rendez-vous… Douée pour les commérages et les grands discours mais on devient fébrile au moment d’écrire une lettre ? » demanda t-il à son interlocutrice avec une mine narquoise. « Je ne juge pas, j’ai connu des analphabètes redoutables. »

Bien entendu, il l’imaginait plutôt bien éduquée et instruite. Mais pourquoi serait-il le seul à subir ses attaques injustifiées quand il pouvait la piquer à son tour ? Son visage se fendit d’un rictus plein d’ironie quand son interlocutrice évoqua de manière patriote ses devoirs et son allégeance. Ce n’était pas plutôt elle qui oubliait son camp en venant attraper la veste de ses alliés ? Il ravala son dédain dans l’espoir de pouvoir mettre son aversion de côté afin de ne pas compromettre ses plans. L’érudit retrouva progressivement sa contenance pour darder Freya d’un regard placide.

« Je sais que c’est un homme libre et qu’il ne saurait souffrir d’une discussion avec vous, s’il daigne toutefois l’accepter. En revanche, je ne vous garantis pas la réciprocité de ce fait. » conclut-il avec un ton énigmatique.

Morrigan était peut-être une vipère aux yeux de la dragonne mais il n’était certainement pas le plus tendre de leur duo, en matière de résolution de conflit. En tout cas, la dame était plutôt insistante. On ne lui avait pas menti sur ce point.

« Mais soit. Que voulez-vous savoir exactement ? Je risque d’avoir besoin d’un peu de contexte pour bien comprendre ce que vous attendez de moi. Ce qui ne devrait pas poser de problème, puisque comme vous l’avez très justement souligné, nous sommes du même camp. » ponctua t-il d’un sourire félin.

Il n’y aurait aucun jeu du chat et de la souris à craindre ici. Parce qu’il n’y avait aucune proie autour de cette table, seulement deux carnassiers opportunistes. Le télépathe s’était pourtant juré de ne plus jouer dans cette cour, qu’il serait un homme nouveau à Portalia. Et pourtant, il venait négocier une fois de plus des informations contre d’autres, même dans un autre plan d’existence. Il n’avait donc pas changé ? Si, parce que cette fois, ce n’était plus une vulgaire question d’argent ou de pouvoir. Il s’agissait de l’honneur et de la sécurité de la personne qu’il estimait le plus dans ce présent sans souvenirs.


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Des vérités sortent à nouveau de la bouche de ton interlocuteur. Intérieurement, tu es bien heureuse d’apprendre que tu n’es pas la seule à remarquer la décadence de la Guilde, institution autrefois prestigieuse. Pourtant, le remarquer ne suffit guère à tes yeux. Après tout, beaucoup sont au courant mais n’agissent pas. Tu commences à voir beaucoup de couardise parmi les Portaliens, parfois même parmi tes propres camarades. Morrigan et toi vous ressemblez quelque peu au niveau des idées, peut-être plus que tu ne veux l’admettre. Pourtant, tu aimes te croire différente, ne serait-ce parce que tu agis là où ton interlocuteur n’a que ses mots en guise d’arme. Il te l’a dit et tu l’as bien compris ; ce n’est pas un guerrier que tu as face à toi. Peut-être ses pouvoirs télépathiques sont-ils utiles, mais tu as du mal à respecter une personne refusant de faire couler le sang. Car telle est ta culture.

« Je sais me rendre utile. Mais qu’en est-il de vous Morrigan ? Que faites-vous pour la Guilde ? J’ignorais jusqu’à votre nom depuis peu. »

Ainsi, tu lui renvois sèchement sa pique. Tu ressens toutefois une curiosité grandissante envers ton interlocuteur. Tu n’as guère pris le temps de te renseigner sur lui, n’ayant vu d’un regard de convoitise que les renseignements que ce dernier est susceptible de t’apporter. Désormais, tu te demandes bien de quel monde il peut venir, et quelle peut bien être son histoire. Tu as beau être souvent de mauvaise foi, tu sais cette fois reconnaître ses qualités ; il est vif d’esprit. Lorsque tu parles à Morrigan, tu peines à savoir si ce dernier te ment ou te dit la vérité. Tes intuitions de guerrière te poussent à rester sur tes gardes, ne sachant encore si tu peux lui faire confiance. Tu te gardes donc de révéler tes véritables intentions ainsi que tes opinions. Sur la Guilde, sur tes motivations. Mais peut-être les aura-t-il devinées.

« Si je puis me permettre une suggestion, peut-être devriez-vous mettre les choses au clair. Ce ne sont que des rumeurs, mais elles pourraient vous porter préjudice et nous faire perdre un temps précieux. » reprends-tu en plissant les yeux.

En vérité, tu n’en as que faire. Tu sais que tu es partie loin avec cette histoire de rumeur, mais tu as aussi vu la réaction non-verbale du télépathe, qui a eu l’air de s’assombrir. Cela éveille ta suspicion, bien que tu sois encore loin de te douter de la relation véritable des deux hommes. Dans ton esprit, tu ne les imagines guère plus que bons amis, tant il serait inconcevable de voir des couples du même sexe à Drakenmarg. Si tu ne vouerais nulle haine à tout ceci, tu verrais surtout un désavantage pratique, une incapacité à se reproduire.

« Les informations dont nous avons besoin ? Les forces et faiblesses du principal intéressé. Puisque vous avez réalisé une mission commune, j’imagine que vous avez pu les analyser. Votre sens de l’observation semble sans égal. » ajoutes-tu ironiquement.

Cette discussion tourne au jeu du chat et de la souris ; reste-t-il encore à déterminer qui joue quel rôle dans cette conversation animée. Chacun campé sur ses positions, vous crachez tour à tour votre venin. Tu te doutes désormais que le télépathe ne semble guère disposé à répondre à tes questions. Serais-tu pourtant du genre à renoncer aussi facilement ? Un alpha ne se laisse jamais marcher sur les pieds, et tu aimes avoir toujours le dernier mot.

« Cela étant, si vous avez la moindre idée de l’endroit où Derek peut se trouver au moment où nous parlons, je ne dirais pas non à une telle information. »

Tu n’es à ce moment guère dupe. Même dans le cas où Morrigan saurait où se trouve véritablement Derek, jamais il te révélera une telle information. Après tout, ne fait-il pas exprès d’être flou, de ne te donner que des généralités depuis le début de la conversation ? De ton côté, tu ne voues aucune haine particulière envers Derek. Tu ne vois en lui qu’un quelconque moyen de te faire un peu plus connaître dans cette Guilde aux méthodes discutables.

« Nous souhaitons simplement l’interroger. Je serais toutefois bien curieuse de connaître votre avis sur le sujet, Morrigan. Vous ne m’avez pas l’air très dangereux pour avoir sympathisé avec lui, je doute donc que Derek soit le genre d’homme à tuer pour le plaisir. »

Tu penches légèrement la tête sur le côté, guettant la réaction du télépathe, songeuse. Si tu as eu l’impression qu’il cherchait à détourner la conversation au début de l’échange, il a réussi à semer quelques doutes dans ton esprit ; la Guilde fait-elle face à une mauvaise piste ? Dans tous les cas, la situation mériterait d’être mise au clair. Sinon, vous passerez encore pour ridicules.

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Le combat de fierté et d’ego qui se jouait dans ce théâtre risible prenait des proportions abracadabrantes. Même Morrigan s’en apercevait, en dépit du venin qu’il crachait irrémédiablement contre son interlocutrice tout aussi perfide et venimeuse. Sans tout cet orgueil, Freya serait redoutable et propre à étendre ses idées qui n’étaient pas toutes bonnes à jeter, à bien y réfléchir. Elle avait du charisme et de la détermination, il ne pouvait pas le nier. Mais ses qualités étaient noyées dans un ensemble corrosif qui ne faisait que la rendre odieuse à ses yeux. Impossible de lui louer la moindre valeur dans une telle situation. C’était elle qui était venue, avec son audace irrévérencieuse, le provoquer sur son propre terrain, pour finalement diffamer la personne qui lui était la plus précieuse dans cette ville. La dragonne avait de la chance. Beaucoup de chance même, que le mage ne soit pas en mesure de l’ignorer compte tenu de ses propres intérêts ; qu’il ne s’attelle pas à détruire sa réputation en contrepartie. C’est que le télépathe était revanchard, quand on s’en prenait au peu de choses qui lui étaient chères en ce bas monde.

« Et je ne m’en portais que bien mieux. » rétorqua t-il âprement quand elle affirma ne connaître son nom que depuis peu. « Si vous croyez qu’il suffit d’enfoncer toutes les portes ouvertes pour se faire un nom et s’auréoler de respect ici, vous allez vite déchanter. » ponctua t-il d’un rire mauvais. « Vous pensez vous rendre utile quand aucun de nous deux l’est véritablement. On enferme les penseurs dans de grandes tours, au milieu de projets insolubles. Puis on envoie les guerriers en dehors des murs, guerroyer contre des créatures qui flattent l’ego et occupent l’esprit tant qu’on peut les pourfendre. »

Ils les occupaient, tout au plus, en les chargeant de missions absurdes qui donnaient du sens à ce nouveau quotidien artificiel. L’érudit n’en dit pas plus. Freya saurait lire entre les lignes de son observation satirique, ou bien elle resterait dans un déni qui finirait sans doute tôt ou tard par lui exploser au visage, sous la menace du cocktail détonnant de son ambition. Aucun d’eux n’était utile et pour cause, la guilde ne leur laissait pas l’opportunité de l’être à grande échelle. L’effet colibri. Les petits gestes du quotidien sauveront Portalia de son obscure prophétie, en participant à l’effort de guerre. Une théorie charmante pour les simples d’esprit mais qui ne convainquait pas Morrigan, pas plus que Freya d’ailleurs, qui semblait déplorer elle aussi le laxisme de ce système hédoniste. Alors elle pouvait bien l’attaquer, ses accusations n’avaient aucun poids face à la réalité de cette politique.

Sa suggestion lui arracha un sourire moins hostile mais plus gausseur. La guerrière était probablement d’ascendance noble, pour se soucier autant de la réputation des agents de son institution. En écoutant les avertissements de Freya, il entendait toute la cour des esclandres mondaines. Un somptueux mélange de médisance, de pudibonderie et de ruses, pour obtenir des éclaircissements sur les rumeurs pointées du doigt. Ce jeu-là lui était familier, et presque nostalgique, s’il n’avait pas les faux-semblants en horreur.

« Au contraire, Freya. Il n’y a rien de pire que l’ignorance, n’est-ce pas ? » demanda t-il de manière rhétorique et ironique face au mystère qu’il imposait en ne clarifiant délibérément pas les qu’en-dira-t-on.

On ne peut pas contrôler les rumeurs, c’est un fait que le télépathe avait appris à ses dépends. Morrigan savait que rien ne pouvait endiguer ce flot de ouï-dire. La télépathie pouvait venir à bout des individus, des meneurs et d’une poignée de gens influents. Mais personne ne pouvait dompter la masse informe des jacasseurs. Essayer d’aller contre cette vague à contre-courant était une perspective vaine et épuisante. Sortir précipitamment des remous faisait encore plus de bruit que la rumeur en elle-même en leur donnant raison. Il fallait donc se laisser porter par le courant, dans un mélange de silence et de souplesse, pour espérer une accalmie.

Alors qu’il pensait avoir été suffisamment clair, Morrigan constata que son interlocutrice était toujours aussi frontale et peu modérée dans ses propos. Ne lui avait-il pas fait comprendre que sa coopération ne dépendrait que des informations qu’elle lui donnerait en échange ? Voyons, Freya était loin d’être stupide. Elle pensait donc pouvoir en venir à bout de cette façon, de manière unilatérale et sans accord, c’en était presque insultant. La récurrence du pronom nous dans son discours et cette fausse fédération hypocrite le faisait grimacer de mépris. Une mise en garde s’imposait et c’était à son tour de faire une suggestion.

« Savez-vous comment les miens ont apprivoisé les chevaux ? » dit-il songeur et en la coupant nette dans l’agressivité de ses propos. « C’est en tirant avantage de leur vision, qui déforme leur perception. Leurs yeux grossissent ce qu’ils voient et les humains leur apparaissent bien plus grands et dangereux qu’ils ne le sont en réalité. » lâcha t-il sans attendre une réponse négative de sa part à la question précédente.

Le souvenir lui était revenu presque naturellement, au détour d’une conversation adolescente avec un palefrenier éclairé. Le jeune homme qui lui avait confié cette anecdote avait à peu près son âge même si ses traits étaient encore incertains dans son esprit endolori. Il avait de la sympathie pour lui dans ce passé lointain, teinté d’une rancœur dont il ne comprenait pas plus l’origine à l’heure actuelle. Une réminiscence qui lui reviendrait sans doute, dans quelques jours ou dans plusieurs années, impossible de le prévoir avec exactitude.

« Vous devriez garder en tête que les gens de cette cité ne sont pas des chevaux, et que les prendre de haut ne les rendra jamais plus collaboratifs. » conclut-il calmement mais d’un ton unanime.

C’était ça l’ennui avec ce nouveau monde et ses règles de souveraineté. En dépit de son origine, de ses faits d’armes, de son infinie sagesse et connaissance, tout individu était perçu tel qu’il était une fois arraché de son plan d’existence : un être quelconque et sans valeur, qui avait tout à prouver, à qui voulait bien le regarder. Freya ne lui faisait pas peur. Pas plus que les habitants de ce monde ne semblaient craindre ses pouvoirs télépathiques, vu leur propension à le solliciter pour des demandes futiles et irréfléchies. Tout ce qui était acquis devait être remis en perspective, à commencer par son propre rang.

Fort heureusement, la suite de ses demandes se faisait plus factuelle, sans avoir l’outrecuidance cette fois-ci de lui demander des armes contre son estimable criminel. Morrigan n’aiguillerait jamais une parvenue sur la manière dont causer du tort au mercenaire, encore moins quand il la considérait comme une ennemie potentielle. Elle ne manquait pas de culot mais il ne manquait pas de résilience.

« Il n’a pas d’adresse fixe, ainsi j’ignore où il peut être à l’heure actuelle. » avoua t-il d’un ton plus serein, maintenant qu’il avait repris un peu de contrôle et de recul sur la situation.

Son homme était un mercenaire et son train de vie coïncidait avec ce fait. Il n’avait même pas besoin de prendre le risque de mentir à ce sujet.

« Si vous tenez tant que ça à le rencontrer, adressez-lui une invitation écrite. Il saura y répondre si vous exposez clairement vos intentions. Mais je vous déconseille fortement d’user de vos pirouettes actuelles ou de manigancer quoi que ce soit à son égard, car il n’est pas homme à considérer ceux qui tournent autour du pot et qui l’accusent impunément. »

Si elle le prenait à rebrousse-poil comme la dragonne l’avait fait jusqu’ici avec lui, il ne donnait peu cher de cette conversation. Morrigan avait des scrupules quant à sa position et ses intérêts mais Derek n’avait rien à perdre ni aucun crédit à réserver. Et s’il apprenait que cette vipère l’avait menacé avant de le rencontrer… Non, Freya devrait définitivement changer son fusil d’épaule si elle voulait s’entretenir avec le mercenaire. Elle les sous-estimait tous les deux. Derek était peut-être le plus susceptible de lui briser les os, mais Morrigan n’aurait aucun scrupule à ostraciser une personne trop menaçante et susceptible de lui nuire. Si elle avait déjà l’impression que ce monde n’était pas fait pour elle, il lui donnerait un aperçu de ce que c’était, de n’avoir sa place nul part dans le multivers. Mais ils n’en étaient qu’aux pourparlers, rien d’irréversible n’avait encore été commis, en dehors d’une première impression absolument détestable. Ainsi, l’érudit parvenait à rester tempéré dans ses actes et ses propos.

« Le seul tort qu’on peut lui attribuer est de se faire parangon de la justice. C’est un idéaliste qui voit une part de bon dans chaque source, mais qui, une fois qu’elle s’avère corrompue ou empoisonnée, n’hésite pas à la tarir. Voilà ce que j’en pense. » lâcha t-il finalement en soupirant plus par inquiétude que par fierté.

Derek était un fonceur et un justicier dans l’âme, pas une brute assoiffée de violence et de sang. Si on l’accusait de quelque chose de grave, c’est que la gravité de la situation initiale dépassait largement la somme sanguinaire de ses actes.

« C’est donc à mon tour de vous retourner la question. Que savez-vous au juste sur cette affaire ? » demanda t-il sans détour et en fronçant légèrement les sourcils.


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La manière dont Morrigan déleste tes piques te fascine. L’homme ne semble nullement être atteint par tes remarques, pas plus qu’il ne semble perdre son sang-froid. Tu perds petit à petit ton intérêt pour l’approche offensive ; après tout, ne vous ressemblez-vous point sur le plan des idées ? Après tout, lui aussi voit la défaillance de la Guilde. Quand bien même tu le soupçonnes de savoir plus de choses qu’il ne veut bien le laisser paraître, tu comprends qu’il ne te livrera pas aussi aisément ses secrets. Au fond, il a même raison sur un point, aussi douloureux cela est-il pour toi de l’admettre ; aucun de vous deux n’est véritablement essentiel à ce jour. Les quelques héros de rang Légende à l’image du Sergent Rex le sont-ils réellement, alors qu’aucun roi du chaos n’est tombé et que la quête de l’ordre n’a guère bougé depuis près de deux mille ans ? Tout ceci n’est qu’une vaste farce à tes yeux, est-il temps de faire enfin bouger les choses. Morrigan est-il du même avis que toi sur ce sujet ? Serait-il en faveur de grandes réformes à Portalia ? Pour le moment, rien ne te l’indique. Tu préfères donc garder tes ambitions pour toi et rester prudente. Il reste un télépathe, et un homme d’une grande connaissance. Tu ignores encore de quoi il est capable.

Sa remarque au sujet de l’ignorance t’interpelle. Tu penches légèrement la tête sur le côté, devinant un sous-entendu dans sa phrase, mais lequel ? Tu serres les dents, irritée, ayant l’impression que ton interlocuteur se moque de toi. Tu ne perds pas ton calme pour autant et réponds d’un ton des plus sérieux.

« J’imagine que l’ignorance est une arme redoutable, surtout pour quelqu’un qui est capable d’accéder aux pensées des autres. » affirmes-tu, la mine sombre, « Mais elle est aussi synonyme de peur et d’incertitude pour le commun des mortels. Si la situation ne s’éclaircit pas, je crains que cela ne dégénère. » ajoutes-tu, en faisant allusion à Derek.

Finie l’approche frontale, tu as bien compris que cela ne mènerait à rien avec lui. Sans doute étaient-ce tes habitudes de Drakenmarg qui sont ressorties lorsque tu l’as abordé ; vous n’êtes pas des plus habiles de la joute verbale, dans ce monde où les démonstrations de force priment sur tout le reste. Tu commences néanmoins à comprendre que les tactiques dont tu usais dans ton monde ne sont parfois guère efficaces ici, où il existe tant de diversité entre les pouvoirs et les mentalités de chacun. Aurais-tu soumis Derek face à un tel interrogatoire ? Cela aurait été une erreur de ta part, ton zèle te conduisant une fois de plus bien trop loin. Et surtout, tu commences à douter. Douter des intentions et du bien-fondé de la Guilde tant cette dernière est corrompue. Il n’est d’ailleurs pas impossible que les hautes autorités vous cachent des éléments dans cette affaire, ou qu’elles aient choisi volontairement de fermer les yeux sur certains faits afin de ne garder que ce qui les arrangent. Dans tous les cas, cette ignorance ne te place pas en position de force.

« Je vous remercie pour le conseil. » fais-tu, de mauvaise grâce.

Il est rare que tu reconnaisses ainsi tes torts, mais tu réalises que tu n’as peut-être pas la meilleure approche avec le peu d’éléments dont tu disposes. Tu as plissé les yeux, légèrement surprise lorsque le télépathe t’a suggéré un moyen de contacter Derek. Tout ceci te semble bien étrange ; non pas que Morrigan te donne ces informations, mais que la Guilde traîne autant sur des choses d’évidence. En outre, tu n’exclus désormais plus la possibilité de te tromper sur le compte du principal accusé. Tu songes réellement à l’approcher afin d’entendre sa version de l’histoire, reste-t-il encore à savoir si Derek acceptera de rencontrer un membre de la Guilde.

« Un parangon de la justice vous dites ? C’est intéressant. »

Cette information qu’il vient de lâcher, l’air de rien, suscite tout ton intérêt. Cela n’est pas sans te rappeler tes propres valeurs, à l’exception près que tu es vraisemblablement plus impitoyable que l’aventurier. Cela renforce également tes soupçons concernant le télépathe : ce dernier en sait décidément plus que ce qu’il laisse prétendre.

« Je n’en sais pas plus que ce que je viens de vous dire, qu’une série de meurtres a été perpétuée et que Derek est pointé comme étant le coupable. Mais peut-être possédez-vous plus d’informations que moi ? »

Il est évident que tu ne lâches pas le morceau, mais guère pour les raisons initiales. Morrigan a réussi à te faire douter, à éveiller ta curiosité concernant cette affaire. Cela transparaît dorénavant sur le ton employé qui ne relève plus de l’exigence, mais de la demande. Fixant intensément ton interlocuteur, à la recherche de la moindre expression faciale révélatrice, tu serres les poings lorsque tu reprends la parole.

« Croyez bien que si je réalise que Derek a rendu justice là où la Guilde a encore choisi de fermer les yeux, il aura tout mon soutien. »

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Malgré toute son hostilité, Freya restait inflexible. Morrigan devait bien reconnaître qu’il était tombé sur un os en sous-estimant la persévérance de la jeune femme. Il lui avait donné l’opportunité à plusieurs reprises d’exploser, de céder à l’agacement pour commettre un impair et lui livrer plus d’informations que ce qu’elle voulait bien lui confier. Mais voilà, la dragonne tenait bon et n’exprimait pas outre mesure son envie de l’étrangler. C’était inhabituel, assez pour lui arracher un sourire plus conciliant. Freya n’était pas assez sotte ni indisciplinée pour laisser une querelle vive et impulsive avoir raison de sa maîtrise. Elle ne lui avait livré que peu de choses, mais suffisamment pour que le télépathe mesure la caducité de son stratagème. Son interlocutrice n’était pas un modèle de vertu pour autant, elle bouillonnait à chacune de ses remarques condescendantes, montrant les prémices de son caractère incendiaire. Il fallait que le mage garde un œil sur elle à l’avenir, car le foyer d’ambition qu’il décelait chez elle, n’était pas de ceux qu’on pouvait prudemment circonscrire  pour en apprivoiser la menace. Freya était une femme d’action, au même titre que son grand brun qui s’étaient mis dans de beaux draps, il le détectait sans aucun doute. Qui sait dans quelles situations inextricables elle allait plonger à son tour avec sa tactique conquérante ?

« Voilà enfin un peu de bon sens. » entonna t-il en réponse sur ses considérations sur l’ignorance.

C’était la première personne depuis son arrivée à Portalia qui daignait lui exprimer sa défiance face à ses pouvoirs télépathiques. Une réponse qu’il trouvait rafraîchissante dans un sens, parce qu’elle lui rappelait avec une certaine nostalgie la tendance de son propre monde. Les humains avaient besoin de modèles à abhorrer, d’individus capables d’instaurer un climat de rivalité pour remettre en perspective leurs capacités et se dépasser. Freya était parfaite pour cela, la maudire était stimulant et productif. Grâce à elle, il avait pu déterminer avec plus d’exactitude ce qui n’allait pas dans ce système frelaté et mettre le doigt sur des vérités qu’il n’avait effleuré qu’en surface jusqu’ici.

« Hélas, c’est là où le bât blesse, justement. Ce n’est pas quand éclaircir la situation qui demande toute notre attention mais comment y parvenir. Les bien-pensants ont déjà leur avis sur la question, ils ne chercheraient dans un procès ou un communiqué qu’à valider leur biais cognitif sans prendre en compte la vérité des faits. Quant à la position de la guilde... » un léger rictus peu élogieux mais éloquent le coupa dans son exposé. « Elle dépendrait uniquement de leurs intérêts dans cette affaire. » se contenta t-il de dire comme il marchait en terrain miné.

Autrement dit ce n’était pas le peuple qui tirait bénéfice de cette affaire mais l’institution. Morrigan s’était montré plus loquace et partageur dans ses idées, parce qu’il reconnaissait l’intelligence de son interlocutrice à défaut de l’apprécier. Garder volontairement le silence sur cette enquête était un moyen de comprendre ce qui se jouait en coulisses.

« Personne n’établit de stratégie sans connaître les intentions de ses détracteurs. » conclut-il avec une analogie guerrière qui parlerait sans doute plus à la combattante.

Cette vérité concernait aussi bien les hautes sphères de la guilde que Freya elle-même. Sans savoir à quel saint se vouer, Morrigan préférait garder le monopole de toutes ses théories introspectives. Lui n’était pas un guerrier qui fonçait au devant des problèmes comme la dragonne, mais un chercheur. Trier une multitudes d’informations, comparer les points de vue, chercher l’histoire dans les détails oubliés de l’arrière-plan pour en tirer la substantifique vérité était sa stratégie. L’érudit voyait l’intérêt de la jeune femme pour cette affaire mais il s’interrogeait sur ses motivations. Elle l’avait prise de court avec ses manières désagréables, ainsi, il ignorait tout d’elle et de ses principes, en dehors de cette superficielle entrevue. Rien ne pouvait lui affirmer pour l’instant qu’elle ne cherchait pas à lui nuire.

Ses dernières demandes n’étaient plus inquisitrices mais interrogatives. La dragonne s’accrochait à ses derniers aveux avec une curiosité dévorante. Morrigan connaissait cette lubie, celle-là même qui lui faisait oublier la notion du temps et de l’espace quand il était plongé dans le nœud de ses recherches. Le regard du mage n’en est pas moins sévère et attentif, parce qu’il devait être sûr de ses desseins. Il arqua enfin un sourcil, quand elle le targua de sa nouvelle résolution. Pourquoi voudrait-elle soutenir un criminel notoire ? L’érudit savait qu’il y avait peu d’intérêt, d’un point de vue extérieur, à être du côté de Derek dans cette controverse. Freya avait exprimé un zèle certain et une volonté de redonner ses lettres de noblesse à la guilde. Cette affaire était donc du pain béni pour elle et pourtant, la dragonne semblait douter et se ranger du côté critique de la barrière. A croire que son allégeance n’était pas aussi rigide qu’il imaginait. Ou alors sa ferveur n’avait pas trouvé un point d’ancrage suffisamment convaincant, la jeune femme n’était pas du genre à se laisser mener par une hiérarchie viciée à la main tremblante. Si elle avait soif de justice et de rapports de force, se ranger du côté de Derek était tout à fait indiqué.

« Il y a encore trop de zones d’ombres pour étayer autre chose de que des théories. Mais si vous voulez un aperçu de la mienne, la voici. De ce que j’en sais, nos deux protagonistes partagent de nombreux points communs, qui font d’eux les boucs émissaires parfaits. Je m’explique. » dit-il alors qu’il commençait à s’agiter dans la pièce, signe que la machine réflexive était lancée. « Ce sont tous les deux des parias, parce qu’ils sont considérés comme marginaux. Ils sont forts, décisifs et du genre à se salir les mains sans laisser leur vision de la justice aux mains des autres. Un tel caractère tapageur ne peut que pousser la foule à les craindre et donc à les méjuger. L’opinion public ne sera jamais en leur faveur. »

Il s’était renseigné sur Hypanatoi sans grande difficulté, l’homme étant connu dans la cité à cause de son rang et de son excentricité. Mais l’idée que Derek serve de coupable idéal lui était insupportable. Parce que Morrigan, lui, connaissait la douceur de ses manières, la richesse de ses conversation, la tolérance dont lui seul pouvait faire preuve face aux êtres les plus accablants. Il ne les laisserait pas le réduire à un rôle de simple criminel, sans vergogne et humanité, jamais.

« Mais quand vous vous penchez sur leurs faits d’armes… Leur nécessité ou leur juridiction ne font aucun doute. Alors pourquoi la guilde irait-elle sacrifier deux soldats de choix sur l’autel de leurs intérêts politiques, me diriez-vous ? Au lieu de les couvrir ou d’étouffer l’affaire pour continuer à profiter de paires de bras solides et téméraires… Parce qu’ils ont mis le doigt sur quelque chose de plus dommageable. Quelque chose de plus compromettant que la réputation de deux aventuriers qu’il est aisé d’antagoniser. »

Le mage n’avait aucune preuve, et il en était le premier agacé. Mais c’était à ses yeux la piste la plus plausible. Dissimuler un crime de sang froid était tellement facile à Portalia, mais les deux compères avaient décidé de faire ça en pleine lumière, comme s’ils se sentaient légitimes dans leur acte. Morrigan ignorait s’il arriverait à convaincre Freya avec ses élucubrations, mais une personne forte de plus dans la balance, même s’il ne souhaitait pas s’associer avec elle, donnerait du poids à leur entreprise.

« Dans ce monde, dans le mien, dans le multivers, toutes les intrigues ont la même source : la curiosité mal placée. Et j’en suis bien souvent le précurseur. Et vous, Freya ? Vous êtes de ceux qui préfèrent voir les fourmis s’affairer de manière disciplinée sans jamais pouvoir vérifier ce qui se trame dans la fourmilière ? Ou de ceux qui y mettent un coup de pied bien placé pour prendre la mesure des choses ? » demanda t-il avec un sourire sibyllin.

Etait-elle bien sûre de vouloir ouvrir la boîte de Pandore ?


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Tu commences à voir Morrigan sous un nouvel angle. Il ne s’agit peut-être pas un combattant, mais ce n’est pas un lâche pour autant. Tu ne l’admettras jamais de vive voix – trop fière que tu es – mais sa réflexion te plaît beaucoup. Ton interlocuteur est réaliste vis-à-vis de la situation, de la Guilde ; il en est surtout critique. Vous avez beau être la faction du grand Sergent Tyson Rex de rang légende, les choses ne cessent de se détériorer. Tu te demandes ce qui en est la cause principal, le mal rongeant les racines de la fondation de la Guilde. De ce que tu as compris, Gun Sho et Tyson Rex sont en poste depuis bien longtemps, bien avant ton arrivée à Portalia. Se pourrait-il néanmoins que les années passant, ils se soient livrés à une certaine complaisance ? Ou aient effectué quelques erreurs stratégiques ? Dans tous les cas, tu penses que la Guilde a besoin d’une direction plus ferme encore, de personnes qui voient les problèmes sous un autre angle pour les résoudre. Gun Sho et Tyson Rex ont beau être puissants, peut-être ont-ils fait leur temps.

« Vous étonnez-vous sincèrement que la Guilde n’arrive à combler les attentes de moins en moins de personnes ? La situation ne semble pas aller en s’améliorant tandis que nos hautes sphères se prélassent dans leur gloire passée. »

Il est presque dangereux de critiquer ainsi des héros adulés de tous. C’est pourtant un premier pas que tu fais vers ton interlocuteur, lui faisant part de ta pensée véritable sur la situation actuelle. Portalia est une ville bien étrange à tes yeux, et tu n’as guère oublié l’accueil que l’on t’a réservé. Les rencontres avec Elizabeth et Harmonie te reviennent aussitôt en tête. Tu as vu des personnes te dédaigner et manquer de respect à ton monde. Aujourd’hui même, peux-tu prétendre être intégrée ? Tu ne vois ce beau monde que comme des ingrats. Des ingrats qui compteront tout de même sur tes compétences militaires pour vaincre les créatures du chaos dans une quête à laquelle tu as été conviée sans ton consentement. Pour toi, la frustration est grande. Tu n’as même pas eu l’occasion de dire adieu à ton père, et tu crains qu’une guerre de succession ne se déclenche à Drakenmarg en ton absence et à la mort de ce dernier. Le devoir t’appelle chez toi, et personne ne semble le prendre en considération.

La dernière métaphore du télépathe sonne pour toi comme un défi. La question est bien pensée, quelle place auras-tu dans tout ceci ? Seras-tu celle qui rentrera finalement dans les rangs sans se poser de question, ou es-tu de ces révolutionnaires qui souhaitent changer la situation par tous les moyens ? Au regard déterminé que tu affiches, la réponse semble être toute indiquée.

« Pourriez-vous me rendre un service ? J’aimerais que vous m’arrangiez une rencontre avec Derek. » tu marques une pause, « Je souhaite simplement lui poser quelques questions, savoir la vérité de sa bouche. »

Pourquoi ne le fais-tu pas toi-même ? La réponse est évidente ; face à un quelconque membre de la Guilde, Derek risquerait de se méfier et de refuser l’invitation. Morrigan semble différent à ses yeux puisque les deux hommes ont gagné un respect mutuel l’un envers l’autre ; ignores-tu effectivement toute la profondeur de leur relation. Néanmoins, tu ne penses pas avoir besoin d’expliciter tout ceci à voix haute, penses-tu le télépathe suffisamment intelligent pour le deviner par lui-même. Rien n’indique que celui-ci acceptera, surtout au vu du ton presque accusateur que tu as pris au début de la conversation. Cela vaut toutefois le coup d’essayer, de mettre toutes les chances de ton côté.

« La hiérarchie ne devra bien sûr pas être mise au courant. Il est encore trop tôt pour sauter à la conclusion, mais il n’est pas impossible que certains cherchent justement à étouffer l’affaire, ou à faire porter le poids de la culpabilité sur une cible facile. »

L’option de facilité n’est-elle pas souvent prise par les institutions ? Tu penses ne rien avoir à craindre dans ta démarche. Même dans le cas où Morrigan souhaiterait te trahir en rapportant à ses supérieurs votre rencontre, lui aussi serait coupable de l’avoir arrangée. Il est encore trop tôt pour que tu puisses tirer tes conclusions. Sur Morrigan, sur Derek. Néanmoins, l’affaire t’intéresse suffisamment pour que tu souhaites creuser plus loin. Obstinée comme tu es, tu ne lâcheras pas la chose aussi facilement, surtout après ce que tu viens d’entendre. Tu sembles avoir quelque chose derrière la tête, mais quoi ?

« Est-ce entendu ? S’il s’avère que Derek est bien celui que vous me décrivez, je dirai que mon enquête n’a officiellement rien donné. »


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Le doute était un moteur puissant. Morrigan ignorait si Freya en avait déjà une part plus ou moins importante avant de le rencontrer, mais il avait réussi à lui transmettre son point de vue sans se livrer de manière trop répréhensible à ce sujet. Sa vision guilde n’était guère moins critique que la sienne. La combattante était peut-être zélée mais pas aveuglée par la gloire d’antan qui servait de vernis aux hautes sphères à chaque fois qu’on essayait d’écailler leur réputation. Tout n’était donc pas à jeter chez Freya malgré son effroyable caractère. Elle était intransigeante, sans doute même plus que lui-même, donc la sympathie ne pouvait s’articuler naturellement entre ces deux-là. Sens du devoir, de la domination des faibles et prises de décisions honorables étaient les seules valeurs qui semblaient la motiver. Le télépathe ne souffrait quant à lui pas des mêmes contraintes, même s’il se reconnaissait parfois dans ce cadre de vie rigide et inflexible. A l’image de leur relation, les deux stratèges trouvaient leur connivence dans une convergence d’intérêts et non pas dans l’estimation subjective de leur personne. Freya était trop brutale et spartiate pour ne pas faire des étincelles avec son arrogance teintée de stoïcisme. Pourtant, il devait bien reconnaître qu’une alliance politique était possible, d’un point de vue purement factuel.

« Un rythme d’arrivées croissante, une mauvaise gestion institutionnalisée et généralisée, le manque de personnel et des espions déjà solidement enracinés… Les causes qui expliquent ce constat d’échec ne manquent pas. Ainsi, je comprends pourquoi la guilde mise tout sur ses figures d’autorité pour apaiser les foules. » conclut-il de manière à la fois cynique et indulgente pour répondre à la critique de la dragonne.

Morrigan se félicitait d’avoir obtenu des aveux aussi scandaleux de la part de sa dangereuse interlocutrice. Elle mettait en gage ses idées, comme il l’avait espéré. Mais il n’était presque plus question d’un marché mais d’un moyen de montrer patte blanche, de renoncer à son rôle d’antagoniste principale qui était pourtant tout aussi préjudiciable. Freya n’avait donc pas grand-chose à gagner en se livrant à ce moment précis, à part un peu de compérage. Pour l’instant, leur discours était encore innocent et les idées fusaient l’air de rien. Leurs critiques pouvaient encore passer pour un râlage ordinaire et non pas pour une ébauche de complot politique… à condition d’être vraiment de mauvaise foi. Morrigan reconnaissait chez elle les germes de l’indignation mais il était trop prudent pour tenir des propos explicitement révolutionnaires pour l’heure. Ce n’était ni l’endroit ni le moment. Freya devait sans doute le savoir elle aussi, puisqu’elle avait recentré d’elle-même le débat sur ce qui importait le plus : Derek.

Une ombre était passée fugacement sur son visage et le mage s’était remis en mouvement dans la pièce. Sa demande était légitime et coïncidait avec ses objectifs de départ mais une part de lui, qu’il n’appréciait pas franchement, ne pouvait s’empêcher d’imaginer le pire par instinct. L’érudit fit mine de considérer la question un instant, en essayant de réfléchir calmement à la situation. Il ne pouvait pas se montrer aussi protecteur envers Derek. Déjà parce qu’il risquerait de rajouter de l’huile sur le feu des rumeurs en agissant de manière aussi épidermique à chaque personne voulant l’approcher avec des intentions peu bienveillantes. Et puis parce que le mercenaire était un homme de raison, largement capable de prendre des décisions et d’agir en conséquences, sans être honteusement étouffé par l’affection bilieuse d’un amant pessimiste. Ça lui coûtait de laisser Derek dans les griffes d’une personne aussi redoutable mais rien ne justifiait fondamentalement un refus.

« Je vais m’entretenir avec lui et je lui expliquerai votre position. » finit-il par dire laconiquement. « De là, je le laisserai vous contacter directement. »

C’était le plus simple compte tenu de la tournure des choses actuelles. Morrigan avait besoin de comprendre lui aussi et d’affirmer ses théories. Il tâchait d’être le plus neutre possible dans sa posture et sa déclaration, mais il était déjà passablement agacé de toutes les interrogations qui pesaient dans son esprit. Ça ne serait pas un bon moment à passer, parce que le mage s’imaginait déjà le charger de reproches en tout genre, à commencer par le fait de ne pas l’avoir informé de cette situation. Rien de plus désagréable que d’apprendre la gravité d’une situation de la bouche de quelqu’un d’autre. D’autant plus quand cela concernait une personne qu’on estimait. Il ne payait rien pour attendre, directement en sortant d’ici, il lui écrirait. Le plus sage aurait été d’attendre qu’il y réfléchisse à tête reposée mais le télépathe voulait garder la teneur impulsive de son humeur, pour qu’il sache à quoi s’en tenir. Et parce qu’il n’était pas sûr d’en mener large et de rester aussi sévère en le voyant en chair et en os. Il était donc nécessaire d’établir le contact sur cette inspiration. Il avait sorti de ses affaires un parchemin et son encrier, pour montrer sa résolution. Maintenant que sa décision était prise, l’érudit soupira.

« Je ne vous garantis rien. N’allez pas croire que j’exerce un pouvoir ou une influence particulière sur cet homme. » dit-il d’un air pincé alors qu’il espérait en réalité le contraire mais son jugement était obscurci par l’agacement que son silence lui procurait.

Il tentait de dissiper son humeur boudeuse afin de retrouver sa rationalité habituelle. Freya manquait probablement de tempérance, avoir un intermédiaire auprès de Derek ne serait donc pas du luxe. Même si le médiateur actuel n’était pas franchement neutre et objectif dans cette affaire. Il hocha la tête d’un air entendu quand la dragonne mentionna la discrétion avec laquelle elle voulait traiter cette enquête. C’était pour le mieux, afin de protéger les intérêts des uns et des autres. En se mouillant de la sorte sur leurs idées contestataires, ils étaient arrivés à un statut quo où aucun des deux n’était vraiment en mesure de vendre la mèche à la guilde sans se compromettre. Et si l’un deux était assez stupide pour franchir le pas, les répercussions seraient moindre compte tenu du peu de preuves et de faits dommageables.

« C’est entendu. Puisque nous en sommes aux confidences, qu’en est-il de votre enquête sur Hypanatoi ? » demanda t-il en retrouvant son calme ordinaire.

Le télépathe comprenait sans mal le choix de commencer par Derek, qui était moins influent et menaçant que le guerrier de rang obsidienne. Mais il voulait également s’informer sur son drôle de binôme pour savoir à quoi s’en tenir. Selon la gravité des faits et son degré d’implication, Morrigan serait probablement amené à rencontrer cet homme. Si les rumeurs à son sujet ne manquaient pas, rien ne valait le point de vue d’une enquêtrice diligente et peu encline à s’émouvoir.



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T’es-tu seulement rendu compte de ton arrogance au moment où tu as abordé Morrigan ? Fidèle à toi-même, c’est peu probable. Toujours est-il que la conversation a pris une drôle de tournure, et que le télépathe a su t’intéresser contre toute attente par ses propos. Lui fais-tu pour autant confiance ? Non, il est encore trop tôt pour cela. Dans le cas où ton interlocuteur se jouerait de toi, il n’aurait plus qu’à s’apprêter à subir ton courroux. Vous avez tous les deux fait des affirmations allant à contre-courant de la bien-pensance portalienne. Tu ne l’admettras jamais de vive voix, mais tu apprécies l’esprit critique du télépathe que tu trouves rafraichissant au milieu de toutes ces personnes bien trop passives à ton goût. Bien sûr, rien ne te disait que Morrigan était du genre à agir ; il pouvait très bien se contenter de mots en beau parleur sachant tourner un discours pour séduire son interlocuteur. Tu commences toutefois à comprendre que les mots peuvent être dangereux et changer le cours des choses. Rien ne vaudra jamais les faits d’armes à tes yeux, l’honnêteté brutale, mais tu comprends les bienfaits de la subtilité – pour le meilleur comme pour le pire.

Tu acquiesces à ses propos, autant sur ses réflexions sur la Guilde que lorsqu’il te dit qu’il parlera à Derek. Au moins as-tu réussi à gagner suffisamment de confiance de la part du télépathe pour qu’il t’accorde ceci. Tu as beau avoir commencé l’échange de manière plutôt rustre, tu as tout de même su faire dévier ta position parce que la situation l’exigeait, en marque de souplesse. Peut-être a-t-il accepté de s’entretenir avec Derek parce que tu lui as donné les bonnes informations sur tes idées et intentions véritables. Il est toutefois encore trop tôt pour le considérer comme un allié ; s’il est vrai dans ses intentions lui aussi, vous auriez pourtant tout intérêt à unir vos forces par la suite. Tu reconnais tout de même que Morrigan a le mérite de te faire voir les choses d’un nouvel œil, de te faire considérer un tout nouvel éventail de possibilités.

« Je vous en remercie. »

Il est à noter que pour une fois, tu fais preuve de politesse et de courtoisie. Ton interlocuteur comprendra que tu le remercies pour s’entretenir avec Derek, dans les faits tu lui es également reconnaissante pour cette discussion. Tu es néanmoins bien trop fière et bornée pour l’admettre. Tu plisses légèrement les yeux lorsque Morrigan affirme n’avoir aucune influence sur cet homme. Tu te surprends à douter : ton interlocuteur te dit-il la vérité ? Tu le soupçonnes d’avoir d’autres secrets à cacher, raison pour laquelle tu joues encore la carte de la prudence. Tu le penses également méfiant à ton égard, et c’est sans doute la raison pour laquelle il reste sur ses gardes. Il est presque cocasse de vous voir ainsi vous jauger malgré vos idées communes. Le simple fait de ne pas connaître les intentions du télépathe te contrarie, son statut lui donnant un avantage certain pour les joutes verbales.

« Hypanatoi m’intéresse. » affirmes-tu, « Son passage rang obsidienne n’est pas passé inaperçu, je pense le rencontrer, lui aussi. » tu marques une pause, pensive, « La suite risque d’être très constructive. »

Sa question ne t’a pas surprise, tu lui as parlé de Derek, qu’en est-il d’Hypanatoi ? Tu étais présente lors de son passage au rang obsidienne, simple regard perdu dans la foule. Tu dis vrai lorsque tu affirmes que cet homme a d’ores-et-déjà capté ton intérêt. Tu as su voir le paragoï comme un justicier plutôt qu’un criminel, raison pour laquelle tu as si rapidement manifesté de la curiosité pour Derek. Tu ne t’étonnerais guère qu’il s’agisse d’un homme de la même trempe.

Tu es restée évasive dans ta réponse mais tu lui as tout de même donné quelques informations. Encore une fois, tu ne fais pas pleine confiance à ton camarade de Guilde, le temps te dira s’il s’agit d’un véritable allié ou d’une potentielle balance. Il n’est pas dans son intérêt de te dénoncer tu le sais, tout comme tu serais capable de l’entraîner dans ta chute. Tu as eu ce qui t’intéressait dans cet échange, tu ne souhaites donc pas aller plus loin pour le moment. Tu n’as plus grand-chose à lui dire, aussi t’apprêtes-tu à prendre congé.

« Je ne prendrai pas plus de votre temps. » affirmes-tu d’un haussement d’épaule, « Voyez, c’était bref. »

Arrogante comme à ton habitude, tu ponctues ta dernière phrase d’un léger sourire moqueur. Reculant d’un pas, tu t’apprêtes à partir sans plus de manières. Comme quoi, certaines choses ne changent pas.


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Leur échange avait beau être tendu, il trouvait ses racines dans une arrogance qui s’était mue progressivement en connivence. Morrigan la regardait hocher la tête comme une statue grave et séculaire, avec sa posture très droite et ses sourcils légèrement froncés. Tout ce qu’il avait pu lui dire avait fini par la travailler, d’une façon ou d’une autre. Devait-il s’en étonner ? Pas vraiment. Portalia l’avait contraint à réviser son jugement sur les différents agents de la capitale. A commencer par les soldats, que le télépathe n’avait jamais fréquenté dans son ancien monde. Leur masque de discipline, derrière lequel transpirait une impulsivité farouche prête à bondir, le fascinait. Même quand ils essayaient de cacher leurs pensées, leurs émotions transparaissaient de manière presque souffreteuse sur leur visage. Il s’était fait à l’idée qu’il les méprisait. Pourtant, Derek et Freya avaient récemment fait preuve de plus de finesse que le portrait de grosses brutes sans cervelle qu’il s’en faisait. Ce n’était toujours pas assez pour respecter l’ensemble des soldats à l’avenir et ne pas les satiriser mais suffisamment pour l’intriguer et ne pas chercher à esquiver une conversation avec eux à l’avenir.

« Ne me le faites pas regretter. » répondit-il nonchalamment d’un geste de la main un peu agacé.

Il était davantage décontenancé par sa politesse que par ses habitudes caustiques et agressives. Ses remerciements étaient laconiques et dépourvu de toute raillerie. Elle l’avait habitué à des modalités plus déplaisantes. Même quand ils essayaient de faire un pas vers l’autre, la réalité montrait un mur qui se heurtait à un autre. Au moins, le mage ne craignait plus tellement pour son compagnon. Ça l’ennuyait de le dire, mais ils étaient un peu faits du même bois. Le mercenaire aurait probablement moins de mal à communiquer avec la guerrière, avec sa franchise décapante et la même violence qui nichait dans ses entrailles. A chaque fois que Freya se montrait fière et hautaine, Morrigan se sentait astreint d’en faire une escalade d’arrogance, une occasion de pouvoir la remettre à sa place. Outre ce défaut de caractère commun, leur méfiance respective était sans doute ridicule d’un point de vue extérieur. Voilà pourquoi ces deux-là ne faisaient pas ressortir le meilleur d’eux-mêmes en compagnie de l’autre. Elle le rendait puéril et mesquin, quand lui se savait digne et réfléchi.

« Et bien, me voilà rendu... » dit-il avec un sourire cynique en roulant légèrement des yeux face à ces informations plus que lacunaires.

Ce n’est pas comme s’il pouvait lui en vouloir de jouer à l’idiote en gardant ses analyses pour elle, il en avait largement abusé précédemment… Le mage n’en saurait donc pas plus sur Hypanatoi avant de le rencontrer à son tour ou du moins, pas grâce aux confidences de la dragonne. Il s’agissait d’un homme puissant et le télépathe comprenait malgré tout sa réserve. Qui sait ce qui pourrait advenir d’elle si on l’accusait de calomnier un des guerriers les plus influents de la ville ?

« Alors nous serons très probablement amenés à nous revoir. Mais seul l’avenir nous dira dans quelles circonstances. » lâcha t-il calmement d’un ton presque amusé.

Si Freya décidait de se mêler personnellement de cette histoire, leur future rencontre ne ferait nul doute. Son allégeance était toute dirigée vers Derek et l’érudit n’aurait aucun mal à s’associer avec les deux coupables, par la force des choses. Surtout depuis que la dragonne avait tiré la sonnette d’alarme en soulignant la gravité des faits qui leurs étaient reprochés. Il fallait faire quelque chose pour cet avis de recherche, pour cette chasse aux sorcières qui ne présageait rien de bon sur les véritables intentions des décisionnaires Portaliens.

Pour l’heure, il ne tirerait rien de plus de la jeune femme et de son indécrottable défiance. Le télépathe aurait pu insister ou avoir recours à des méthodes plus déloyales mais il respectait le statut quo qui régnait entre eux. Ce n’était certainement pas par altruisme qu’il lui laissait le bénéfice du doute. Mais Morrigan ignorait encore l’influence réelle de la dragonne et dans un conflit d’ordre politique, tout potentiel allié était bon à prendre, même les plus détestables. Avant même qu’il ne puisse articuler quoi que ce soit, la principale intéressée avait décidé de prendre congé, en se fendant d’une dernière pique qui lui fit arrondir les yeux. Quel culot. L’érudit se fendit d’un rire de bonne guerre, légèrement âcre.

« Toute cette courtoisie ne vous sied guère. » rétorqua t-il avec son sarcasme habituel. « En temps normal, je vous remercierais de votre sollicitude et vous inviterais à faire encore mieux pour la prochaine fois... Mais nous savons tous les deux qu’il n’en est rien et que vous n’en ferez qu’à votre tête. » expliqua t-il d’un air las en se levant pour la raccompagner. « Ne changez rien. Vous êtes là où on vous attend. » conclut-il avec une ultime provocation.

Certes, leur rencontre avait été brève mais suffisamment pénible pour lui demander d’écourter à l’avenir et de ne pas imposer ses horaires de manière aussi impérieuse. Bien sûr, il était persuadé que cette créature insupportable n’en appellerait qu’à ses lubies et son égocentrisme s’ils étaient amenés à se recroiser. Le télépathe se félicitait en revanche de la caractériser prévisible, c’était la preuve qu’il en avait assez vu à son sujet pour se faire un avis tranché malgré tout. Freya avait désormais toutes les cartes en main pour choisir le rôle qu’elle jouerait dans cette fable. Le reste était à la charge des deux protagonistes qui ne manqueraient certainement pas de souffrir de son interrogatoire.



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