(Essence rouge, rang or 3) (Le RP a démarré en tant que mission, mais est maintenant un scénario libre.)

Une chose au moins lui plaisait dans le système proposé par la guilde des aventuriers de ce monde ahuri. Maintenant qu’il avait fait les preuves de ses compétences, l’organisation avait compris qu’il était bon de ne pas simplement l’envoyer s’occuper de retrouver les chats perdus ou de servir de garde-chiourme glorifié à il ne savait quel dégénéré, possédé par il ne savait quelle idée stupide. Certes, on lui demandait toujours, bien que de plus en plus rarement, de s’occuper de travaux d’intérêt public. L’appellation lui semblait ridicule. Ses talents étaient par leur nature même d’intérêt public. Lorsqu’il arrêtait l’avancée sauvage d’une horde de monstre, il servait le public. Lorsqu’il découvrait la raison de la contamination d’une source d’eau, il servait le public. Il était Hypanatoi, et son existence même servait le public, bien que ce dernier soit souvent trop aveugle pour s’en rendre compte. Bien qu'il ne mérite pas, ou plus, depuis qu'il avait appris la vérité sur le sort qui avait été réservée à sa compatriote. Il serra les poings, jusqu'à ce que ses phalanges blanchissent et que le sang cesse d'irriguer le bout de ses doigts. Il n’avait pas besoin qu’on tente de lui rappeler ce fait en l’utilisant comme crieur public glorifié. Certes, il comprenait parfaitement que c’était pour la guilde un moyen de l’intégrer à la population. On espérait, en le plongeant parmi les masses protéiformes de la cité, qu’il s’imprègne de leurs caractéristiques. Qu’il évolue. C’était une notion idiote et insensée. Il n’avait que mépris pour ces créatures stupides et paresseuses, et s’il avait bien constaté plusieurs changements depuis son arrivée, ces derniers ne s’étaient pas produits chez lui. Sa simple présence, son simple discours suffisait immanquablement à transformer les gens qu’il côtoyait. Car tous ici étaient prisonniers des ombres douces dont ils semblaient si friands, et la lumière tranchante qui émanait d’une personne refusant ce genre de compromission suffisait la plupart du temps à les dissiper. La procédure était douloureuse, mais aucune transformation n’échappait à cette règle.

Aujourd’hui, il côtoyait Nordalh. Ce nom au début ne lui avait rien évoqué d’autre qu’une sensation désagréable de déjà vu, ou plutôt de déjà entendu. Il avait du se creuser les méninges pendant une longue minute pour finalement associer une identité à cette onomatopée. L’épave de la taverne. Le vieil homme dissipé, incapable de démontrer la rigueur intellectuelle la plus élémentaire. Lui. Cette réalisation avait grandement diminué l’enthousiasme sincère qui avait été le sien au moment de prendre connaissance des objectifs de sa mission, plus encore quand il avait compris les raisons de cette étrange association. On attendait de lui qu’il le chaperonne. Il n’était visiblement plus suffisant de décharger sur ses bras l’écume turpide des réincarnés de l’endroit, et de réclamer de lui qu’il fasse preuve de bonne volonté en les accompagnant au centre d’entrainement. On voulait maintenant qu’il fasse preuve de la même patience et de la même générosité injustifiée jusque dans ses excursions. Qu’il mette sa propre vie en danger pour des gens dont l’existence ne valait même pas un centième de la sienne. Il s’était alors autorisé un soupir de protestation, qui se mua rapidement en un grognement crispé. Il n’aimait pas cela. Il avait été clair, et ce à de nombreuses reprises. Il pouvait accepter la coopération nécessaire avec d’autres personnes. Il se savait fier, mais il ne se voulait pas arrogant : un guerrier prouvait sa valeur principalement en démultipliant auprès de ses compagnons ses capacités. Il ne demandait simplement qu’une chose, qu’on lui trouve des personnes respectables. Il savait qu’elles étaient ici des animaux rares et exotiques, mais lui-même était parvenu à plusieurs reprises à en identifier certaines. Si un individu aussi peu social que lui le pouvait, la tâche n’était donc pas impossible.

A la place, on avait décidé d’offrir à Nordalh l’opportunité de continuer son entreprise de sape. Non content de faire tourner le vin dans le verre d’un homme qui lui était supérieur, il allait maintenant gâcher le plaisir simple de sa chasse. Hypanatoi tenta malgré cela en se levant de chasser loin de lui l’essaim répugnant de ces pensées parasites, et se concentra tout entier sur les exercices purificateurs qui étaient les siens. Il passa sur son corps nu l’eau glacé et l’huile sacré, avant de racler le tout à l’aide d’un couteau incurvé. Il médita, se concentrant sur lui-même, sur ce qu’il était, sur ce qu’il fallait qu’il survive de son être pour affronter dans les meilleures conditions l’épreuve qui s’annonçait. Il se saisit du couteau rituel à la lame noire. Ses doigts étaient serrés, et de sa bouche entrouverte s’échappaient les litanies anciennes. Il approcha l’animal de l’autel. Sous ce dernier, la dépouille noble d’un paragoï lui aussi happé sur ce monde servait à la fois à consacrer le lieu tout entier et à le relier à ses dieux, restés loin derrière lui. Il tira sur la bride de l’animal, abruti par l’encens et les fumées des herbes rituels, jusqu’à ce qu’il pose son cou épais sur la pierre de l’autel. Cette dernière était à l’origine d’un blanc immaculé. Il ne lui avait fallu que peu de temps pour la recouvrir d’une patine cramoisie. Le mouvement fut rapide, et la tension ahurie qui tendait le corps de la bête la fit l’espace d’un instant se cabrer. La main libre d’Hypanatoi était sur son crâne, le plaquant fermement contre la pierre. Son sang s’écoula de sa plaie, et son œil se fit vitreux. Le paragoï resta immobile, le temps que la vie finisse de quitter la dépouille de la bête. Il récupéra le sang qui s’était écoulé par les rigoles de l’autel dans le récipient placé sous ce dernier, et de son index et de son majeur tendus traça sur sa peau les signes rituels.

L’enchevêtrement mystique de symboles géométriques l’emplit d’une intransigeante clarté. Il voyait. Son troisième œil était totalement ouvert, et il voyait. Il se releva lentement, et lécha la paume maculée de ses mains avant de se diriger vers son armure. Vêtu et armé, sa véritable peau recouvrant ses ossements cristallins et le jeu doré de ses vaisseaux sanguins, il se dirigea vers la place des portails, fendant la foule des passants jusqu’à s’immobiliser à l’entrée de cette dernière. Il était prêt. Il doutait que beaucoup puissent en dire autant.
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