Tempête et verre d'eau (Gwennole) (Terminé)

(Essence rouge, rang Or 1)

Hypanatoi, comme tout un homme élevé dans le respect des traditions académiques et morales les plus méritantes, appréciait au-dessus tout un nombre limité de vertus essentielles. L’une d’ente elles – et sans doute une des plus nobles de ces idées déjà plus qu’importantes – était la détermination. La capacité à continuer quand le monde se faisait pesant, quand vos épaules criaient leur révolté sous le poids du fardeau qui leur était imposé. Cela était plus que méritant, et digne d’admiration. Et pourtant, il se prenait aujourd’hui à maudire celle des responsables de la guilde, qui continuaient malgré ses protestations véhémentes et ses déclarations tempêtueuses à vouloir qu’il se repose. Il n’avait pas besoin de se reposer. Il n’était pas un homme du commun, vulgaire et faible et paresseux, qui voyait l’effort comme quelque chose de mauvais et qui demandait une période de décompression. L’essai s’était déjà avéré particulièrement inconcluant quand il avait été décidé de l’assigner à une classe d’enfants indisciplinés et braillards, et si au moins cette fois on évitait de trop le sortir de son élément, ce n’en était pas moins insultant. Ce n’était pas que l’idée de s’entrainer avec un nouvel invité sur ce monde lui déplaisait, au contraire. C’était qu’on insistait pour le traiter comme quelqu’un de normal. Il n’était pas normal. Il était Hypanatoi Paragoï Konostinos, et si cela ne voulait rien dire pour les gens de ce monde, il n’en avait cure. Plus horripilant encore était le fait qu’il était bien obligé d’accepter. C’était une requête de la guilde, et il avait besoin de garder de bonnes relations avec cette dernière. C’était elle qui ici lui attribuait les quêtes et les épopées dont il avait besoin pour vivre. Il ne pouvait simplement pas s’en séparer. Pas pour le moment.

Alors il s’était, après ses ablutions matinales et ses rituels dévots, équipé de son armure et de sa lance. Il avait vérifié les sangles de la première, et le tranchant de la seconde. Il était sorti de sa maison, et avait laissé le bruit de la rue et les odeurs de la foule l’importuner sur le chemin qui devait le mener jusqu’au centre d’entrainement. On lui avait parlé de son compagnon du jour. Il n’était pas tant sensé lui dispenser ses sages enseignements et lui indiquer ce qu’il était bon de faire et d’éviter que de participer avec lui à une session lui permettant de se familiariser avec les bêtes de ce monde. Cela au moins été plaisant : il n’aurait pas à s’acharner sur son cas s’il se révélait inepte. C’était à part cela un homme de stature assez commune, sans doute un peu petit, accompagné par son familier. Hypanatoi devait avouer être assez curieux de le découvrir. Les maîtres-bête valeureux étaient rares, et étaient toujours spectaculaires au combat. Il doutait que ce soit le cas de Gwennole, mais tout de même. Peut-être y avait-il là un potentiel plaisant, voire quelqu’un de déjà affirmé.

Pénétrant dans l’enceinte du centre d’entrainement, il se remémora ses propres débuts ici, il y avait finalement très peu de temps. Cela dura cinq secondes, avant qu’il ne se reprenne et ne se souvienne que ce genre d’épanchement était indigne de lui. Se concentrant sur son septième sens, il chercha à repérer Gwennole. Si ce dernier n’avait a priori pas une apparence à même de lui faciliter la tâche, on lui avait mentionné qu’il ne possédait que quatre doigts à la main gauche. Il parcourut rapidement la foule modeste, jusqu’à s’arrêter sur la seule personne qui correspondait exactement à la description qu’on lui en avait faite. Se dirigeant vers elle, il laissa sa voix tonner pour couvrir le vacarme ambiant :

« Gwennole Cwenswith ! Je suis Hypanatoi, votre partenaire du jour ! »

Il s’arrêta finalement à deux pas de lui, et ôta rapidement son casque ainsi qu’un de ses gantelets, avant de tendre son avant-bras nouvellement dénudé à ce dernier. Il ne savait pas si celui-ci avait comme beaucoup d’indigènes et de réincarnés l’habitude curieuse de préférer serrer une main plutôt qu’un bras en guise de salut, aussi lui laissa-t-il le choix à ce sujet. Il espérait simplement qu’il ne pratiquait pas la bise. La pratique était curieuse, et lui semblait hautement indécente. Profitant de ce court interlude, il en profita pour l’étudier plus avant, le trouvant hautement similaire à la description qu’on lui avait donné. Le seul élément fantastique qui émanait de lui était au final son partenaire bestial ; après la succession de races et de personnages surnaturels qu’il avait croisé jusqu’alors, interagir avec quelqu’un qu’il aurait pu prendre en d’autres circonstances pour un paysan lambda était particulièrement étonnant. Peut-être se révélerait-il plus respectable que cela. Il en doutait. Il avait appris depuis son arrivée sur ces terres privées du regard bienfaisant des divins à ne pas nourrir trop d’espoir. La manière qu’avait le dieu Ordre de sélectionner les gens qui s’échouaient ici échappait à sa logique, et qu’il fasse partie du lot était tout à fait insultant. Il serra brièvement ses doigts autour de sa lance, et attendit une réponse de de son camarade improvisé.

De leur session d’entrainement, il n’eut que peu de choses à dire, et encore moins à retirer. Il était comme tout ceux qui étaient venus avant lui. Lent. Capricieux. Dépourvu de toute forme de discipline. Il se dérobait à l’assaut. Il répondait, insolemment, sans comprendre ce qu’il avait à lui dire. Pour lui, il semblait plus important d’affirmer une espèce d’identité chimérique, plutôt que de se concentrer et de s’assurer que le temps qu’ils devaient partager soit utile. Malgré cela, Hypanatoi tenta de rester calme et mesuré, de ne pas répondre à l’outrage comme ce dernier le méritait, mais comme on attendait de lui qu’il le fasse. Il resta impassible, et regarda la créature s’agiter devant lui, se demandant ce qu’il pouvait bien lui apporter. Il savait que les aspects les plus philosophiques de l’apprentissage de la vie de guerrier n’étaient pas acceptés par les gens d’ici. Ces gens se concentraient sur des choses secondaires. Ils espéraient apprendre des bottes, des mouvements secrets, pensant qu’il y avait dans l’un ou l’autre mouvement du poignet le moyen assuré de rester toujours victorieux. C’était une folie, une erreur née de leur obsession du moindre effort. Il n’existait aucun raccourci, sinon vers la mort. Mais cela aussi, ils ne voulaient pas l’entendre.

Alors il fit ce qu’il put. Il lui démontra l’importance de la vigilance, et de la prévoyance. Le manche métallique de sa lance vint s’abattre sur son bras, punissant avec délicatesse sa garde mal ajustée. Il lui expliqua sans détour l’utilité de rester patient, et de considérer non pas seulement ses propres capacités, mais ce que l’ennemi que l’on avait en face de soi pouvait déployer. Il frappa l’arrière de ses genoux, l’envoyant le cul sur le sol. Il le releva sans ménagement, ignorant ses protestations. Il devait apprendre. Il ne le voulait pas, et sans doute n’en avait-il pas la capacité. Hypanatoi lui-même était ici victime de l’obsession que semblait avoir la Guilde avec lui. Il avait été dépêché ici comme instructeur, et qu’il ne pense la chose intelligente n’était pas important. C’était la mission qui lui avait été confié, et il refusait fermement de s’acquitter de celle-ci avec négligence ou insuffisance. S’il devait broyer la créature immonde qu’il avait en face de lui, s’il devait la fragmenter et à la réassembler et répéter ce processus plusieurs dizaines de fois jusqu’à ce qu’enfin il produise un résultat acceptable, il le ferait.

Quand enfin vint le temps de se séparer, il regarda le résultat de ses efforts. Gwennole été sur le point de s’effondrer, et il pouvait voir malgré ses tentatives de les cacher les tressaillements douloureux de ses membres. Chacun d’entre eux était le témoignage brûlant de ce qu’il venait de produire. Chacun d’entre eux prouvait qu’il n’avait pas démérité. Le reste ne le concernait pas. Il hésita à tendre sa main à son élève du jour, mais se ravisa. Le relever n’aurait cette fois pas été utile : il serait immédiatement retombé au sol. Il s’autorisa donc à la place à lui témoigner le peu de satisfaction qu’il éprouvait à son endroit, et hocha doucement de la tête dans sa direction, avant de repartir. Cela au moins était terminé. Il avait encore de nombreuses choses à faire aujourd’hui, et le temps n’était pas son allié. Il ne l’avait jamais été.