Je vis Anna acquiesçer, tout sourire. Piou aussi avait l’air content de ce choix. Connaissait-il l’enfant ? Puis, je me souvins de cette histoire d’oiseau qui aidait avec les nids. De toute évidence, Piou avait aussi rencontré la doyenne de l’orphelinat, Elizabeth. Je me demandais à quoi cette dernière ressemblait. On me l’avait décrite comme une armure intimidante, mais au coeur d’or. Elle aurait été invoquée en ce monde depuis un moment, ce qui expliquait son rang plutôt élevé. Peut-être était-ce même nécessaire, pour tenir à l’écart toutes les brutes du quartier Nord. Heureusement que les enfants pouvaient compter sur elle, et aussi espérais-je qu’aucun ne s’attirerait d’ennuis ou ne tournerait mal à son insu. Alors que j’avais moi-même connu la pauvreté, je n’avais jamais autant souffert de l’insécurité que les habitants de ce quartier. Les habitants d’Hetacta s’entraidaient au maximum, avant de périr sous les flammes de Ducaïs. Comment les choses pouvaient-elles être aussi différentes, ici, à Portalia ? La cité-forteresse n’était pas parfaite, mais au moins m’aclimatais-je aux environs. Peu importe l’endroit où je me trouvais finalement, j’avais suffisamment gagné en débrouillardise pour gérer les situations, et ce où que je fusse. J’espérais que cette mission de passage de rang serait une réussite et mettais tout en œuvre pour que ce fût le cas. Mais, même en situation d’échec, je me surpris à vouloir tout de même repasser dans les parages – et peut-être rencontrer Elizabeth après cette mission – c’était la moindre des choses, et il fallait dire que je m’attachais rapidement à ces jeunes enfants.
La voix de Piou me sortit de mes pensées, lorsqu’il demanda à Majak de faire le conteur. C’était un excellent choix. De toute évidence, le petit lion était passionné lorsqu’il racontait cette histoire qui lui tenait tant à coeur.
« Bien sûr ! » répondit Majak, des étoiles dans les yeux.
L’un des enfants avait argué concernant les costumes. Il était vrai que ce serait amusant pour eux, mais je doutais que nous eussions le matériel pour faire ressembler des hybrides et des humains à Majak – à supposer que tous les habitants de son monde fussent comme lui, ce qui n’était guère sûr. Cette histoire n’était peut-être pas la plus simple à adapter en pièce de théâtre, mais je sentais qu’elle avait son importance. Pour les enfants, pour Majak. J’ignorais encore si cette histoire était bien réelle, si elle avait été déformée ou s’il s’agissait d’une légende. Toujours était-il que ces orphelins avaient encore le droit de rêver, comme moi à leur âge, avant que la maturité ne me rattrapât. Cette histoire les inspirait, quel mal il y avait-il donc à la transmettre aux autres ? Demandant gentiment à Majak de me confier le livre, je feuilletais les pages avec le plus grand soin. Lisant en diagonale, je vis que cela parlait effectivement de Pantras, le monde des homme-félins. Si l’héroïne principale était évidemment Kwanza, trois enfants s’étaient déjà portés volontaires pour jouer les chefs de tribus. Il y aurait quelques personnages d’arrière-plan, parmi les enfants un peu plus timides ou guère à l’aise à l’idée de jouer ainsi devant tout le monde. Alors que nous étions entourés de visages satisfaits, je fermais déclitatement le livre.
« Je t’empruntes ce livre Majak. Kwanza vivait dans la jungle, c’est bien cela ? Il nous faudra donc un décor assorti. » je marquai une pause, « Il ne sera pas possible de déguiser les enfants en félins, mais peut-être pourrions-nous trouver des tenues d’explorateur, dans la cave ? Piou, pourriez-vous surveiller les enfants pendant qu’ils répètent leurs dialogues ? Je vais chercher ce qu’il nous faut. »
Avec Majak dans les parages qui connaissait si bien l’histoire, ils n’avaient pas besoin de moi pour le moment. Donc autant nous séparer un moment afin d’optimiser notre temps pour la pièce de ce soir. Piou n’ayant guère les attributs d’un humain, il m’incomberait de préparer ce qu’il restait à préparer pour la pièce de théâtre à l'extérieur. Ainsi, je m’étais dirigée dans la pièce souterraine pour y trouver quelques éléments de décor. Un arrière plan peint en vert, et avec des arbres tropicaux, des faux buissions, ainsi que des tenues d’explorateur miniatures, du même modèle que les adultes utilisaient lorsqu’ils s’aventuraient dans la jungle de jade. Installer tout ceci sur la pièce d’extérieur me prit une partie de la journée. Essuyant la sueur sur mon front alors que le soleil déclinait à l’horizon, je constatai avec une certaine satisfaction que tout était prêt de mon côté. J’espérais que Piou s’était bien débrouillé de son côté. Aussi m’étais-je dirigée vers l’orphelinat. Frappant à la porte, les tenues d’explorateur avec moi, je me permis un léger sourire.
« Sommes-nous prêts ? »