Je suis né il y a de ça 23 ans et 10 mois et trois jours précisément, à l’éclosion de la marguerite C#213 qui pousse le long du mur nord de la ville de Portalia, à l’entrée des égouts. Je vous dit “précisément”, mais malheureusement, il se trouve que je ne connais pas à quelle minute près, à quelle seconde même je suis né : malheureusement, à l’époque je ne connaissais pas le concept même d’heure, et il en a fallu quelques unes avant qu’une fée qui passait par là ne me trouve.

On m’a souvent demandé pourquoi ne pas donner un nombre particulier à ma marguerite, comme A#001 par exemple. J’aurais pu le faire, par excès de vanité, mais il me semble bien plus agréable de recourir à une qualification précise et rationnelle: le jour se levant du côté Est de Portalia, il est évident que le quadrant Est doit être le quadrant A. Il va de soit ensuite que le quartier Ouest est le quadrant B, puisque que fait le soleil une fois qu’il s’est levé ? Il se couche. Il nous reste donc à nous mettre d’accord pour le Nord et le Sud. Le vent souffle toujours du Nord, le quartier Nord est donc le quartier C, et enfin on finit avec le quartier Sud pour le quartier D.

On ne peut évidemment pas compter chaque fleur n’importe comment non plus. Une fleur étant composée d’un pistil, au centre, et de pétales autour, il est tout à fait convenu de compter en spirale, du centre du quartier jusqu’aux extrémités : c’est à dire, souvent, le long du mur.

C’est comme ça qu’on en arrive à la mienne, la marguerite C#213, qui pousse le long du mur Nord de la cité, à l’entrée des égouts. Une marguerite à 20 fleurons blancs précisément, un chiffre rond. J’aime les chiffres ronds.

Vous vous demandez peut-être comment je suis arrivé là. Eh bien, une fée (du moins, celles dont je descends), naît de la fécondation d’une fleur par un parasite d’une taille comprise entre 13 et 15 micromètres, le Psychel Agité. C’est ce parasite qui a été amené à travers Portalia il y a de ça deux cent à trois cent ans (malheureusement, personne n’a pu se montrer plus précis, car tragiquement, ce parasite microscopique extradimensionnel n’est pas en mesure d’écrire, et donc de laisser une trace précise de son passage). Il s’est reproduit et n’a eu de cesse d’engendrer des fées à Portalia, dont votre serviteur ici présent. Je suis toujours dans le comptage, mais j’ai compté au moins 734 fées nées à Portalia depuis. C’est une estimation très basse puisque là encore, les fées n’ont généralement pas vocation à tenir de registre, mais j’y travaille.

Tout du moins, j’essaie. Les autres fées n’aiment pas bien les registres. On me dit d’ailleurs souvent que, pour une fée, je suis bien trop terre à terre, et que je ne suis pas bien drôle. Les fées c’est censé être insouciant, dormir au soleil, ça aime jouer des tours, c’est gracieux et féminin…

Moi, c’est tout l’inverse. J’aime quand tout est ordonné, je n’ai pas de temps à perdre à flâner au soleil quand il y a déjà tant à faire, et de toute façon, je ne l’aime pas : au-delà de 2 kWh/m², ça me donne mal à la tête. Alors j’ai cherché, et ce serait faute d’être né au Nord, sous la muraille, à l’ombre d’une grosse bâtisse. Ma marguerite, elle a pas beaucoup vu le soleil, alors quand on sait qu'il leur faut entre 3kWh/m² et 4kWh/m² d'ensoleillement direct pour bien pousser...

Au fond, ma marguerite, elle est comme moi: elle aime être à l’abri.

En parlant des autres fées de Portalia, il y en a 27 et trois quart dans la cité à l’heure actuelle. Je dis “et trois quart” parce que la vieille Pivoine a perdu une aile il y a deux ans et 47 jours, 23 heures et 7 minutes, dans un regrettable et non moins mystérieux accident. On me dit souvent que ça ne se fait pas de dire qu’elle ne compte plus que pour trois quart, mais il me semble pourtant évident qu’une fée sans aile, ce n’est pas correct de la compter comme une fée entière. C’est donc trois quart, trois quart et deux dixième peut-être en étant généreux, parce qu’il lui reste un petit moignon, mais je ne peux vraiment pas aller au-dessus.

Bref, pour une raison que j’ignore, je ne suis pas très populaire auprès des autres fées de Portalia. Et malheureusement, je l’ai aussi vite appris, je ne suis pas plus populaire auprès des autres habitants de la cité (je les ai comptés aussi, mais il y en a de nouveaux tous les jours, et d’autres en moins qu’on ne l’apprends que plus tard, du coup je me retiendrai : je ne voudrais pas vous donner de chiffre erroné). Je ne m’en suis jamais vraiment plaint, parce que les gens, ça ne sait vraiment pas vivre de manière ordonnée. Ça ne m’étonne pas que leur quête de l’Ordre, là, elle avance pas fort.

Tenez par exemple : les gens n’attachent jamais leurs manteaux par le centre du col, c’est toujours un peu sur le côté. Ou alors, ils ne dorment pas la tête vers l’est : à partir de là, rien d’étonnant qu’ils ne se lèvent même pas tous en posant les deux pieds en même temps, et je ne vous parle même pas de comment ils mangent leur pain, ou repassent leur chemise.

Non, pour vivre dans l’ordre, j’ai appris que je devais vivre seul. C’est beaucoup trop de travail pour moi de passer derrière tout le monde. Pire, le monde déteste que vous lui apportiez l’ordre chez lui. J’ai pourtant essayé, croyant bien faire, naïf que je suis ! Je suis allé dans 12 maisons et 5/8^ème pour tout arranger, mettre les chaussures près de la fenêtre, trier les livres de magie par nombre de page, mettre les manteaux avec les sous-vêtements, ranger les brosses à dent avec la nourriture, le dentifrice dans les buissons… Que des petites améliorations pleines de bon sens, quoi. Mais les ingrats n’ont pas apprécié du tout, trop attachés au Chaos qui leur voile l’esprit et les empêche d’atteindre leur plein potentiel.

Parce que oui, je dis “cinq huitième”... On m’a empêché de finir ma treizième maison. Après même pas deux semaines de travail, la guilde s’est ramenée et m’a attrapé par les ailes pour soi-disant mettre un terme à cet “esprit farceur” qui s'introduisait dans les maisons la nuit pour tout chambouler. Vous vous rendez compte ? Les gens sont tellement atteints qu’on pense que c’est moi qui chamboule tout, c'est un comble.

Cependant, j’ai gardé un peu d’espoir de cette rencontre quand même, parce que je leur ai expliqué mes intentions, à la guilde, et elle m’a compris. Elle m’a quand même dit que je devais arrêter d’imposer mon système de tri aux autres, mais elle m’a aussi offert un travail. Il s’avère que l’Église de l’Ordre recherchait quelqu’un pour se charger des archives du Collège des Interdits, un sacré foutoir auquel personne n’avait touché depuis des années (ce qui, quand on sait ce que les gens appellent “ranger”, n’est peut-être pas une si mauvaise chose). On m’a dit: t’as quartier libre, on veut juste que tu nous tries tout ça. Et ça, ben, vous imaginez bien, c’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd !

Du coup, ça fait un mois et trois jours que je bosse là-bas, à trier chaque papier par nombre de lignes, grainage du papier et qualité d’encre. C’est un boulot de rêve, et en plus, du moment que je suis capable de retrouver leurs papiers quand ils en ont besoin, ils se fichent pas mal de ne pas comprendre mon système de tri.

Quelques points sur les fées du Psychel Agité:

• Le terme est toujours féminin.
  
  
• N’ont pas réellement de genre à proprement dit, mais ça tend surtout à se voir au féminin, par comparaison avec les autres races. Marguerite s’identifie au masculin parce qu’il ressemble plus à un homme/mâles des autres espèces.
  
  
• Naissent de fleurs, donc n’ont pas de famille à proprement parler.Elles portent le noms des dites fleurs, et leurs ailes dépendent de la fleur dont elles sont nées, c’est surtout comme ça qu’elles se reconnaissent l’une l’autre.
  
  
• Très douées en magie de l’illusion; disparition, apparitions, changement de forme, des incantations qui te font perdre ton chemin ou créer un sentiment de malaise vis à vis du familier. Les illusions ne peuvent être tissées que lorsque personne ne les regarde. Tant que vous gardez une fée à l'œil, elle est complètement inoffensive.
  
  
• La forme humaine de Marguerite est en elle-même une illusion, bien qu’elle soit parfaitement tangible. Elle disparaît dès que son intégrité physique est compromise (un dégât).
  

Yo, moi c’est le gars-au-nom-imprononçable qu’Arkos a ramené dans votre contrée. Fût un temps reculé je rpais beaucoup, après j’ai arrêté, et ça fait bien plus de dix ans ans que je galère à m’y remettre. En espérant que cette fois-ci c’est la bonne.