Une visite incongru [Yvana] (Terminé)

Cela faisait une bonne semaine que j’avais traversé ce portail. J’ai eu le temps de m'acclimater, d’apprendre la base des bases de ce monde. J'avais fait le tour de la ville depuis mon arrivée. Et après une semaine à Portalia, je pouvais affirmer que je connaissais très bien la carte et les chemins de la ville. C'était plus facile de se repérer quand il n'y avait qu'une ville après tout. Mais dans ma découverte de cette ville, il y avait quelque chose que j’avais évité jusqu'à présent. J'étais prudente par le fait que je n’en connaissais pas assez sur eux à mon avis, mais j'étais surtout méfiante de par mon expérience avec les autres groupes religieux de mon monde. Ce n’était peut-être pas la même chose ici, mais il valait mieux être prudent. Heureusement, je ne comptais pas les croiser directement dès maintenant. C'était censé être un lieu de recueillement, je doutais d'être mis à partie par l'Église puisqu'il ne me connaissait pas. Je ne suis qu’une simple visiteuse aujourd’hui après tout.

Habillée de vêtements sombres et amples et de ma cape blanche, je n’avais pas l’air menaçante. En tout cas, j’avais fait mon possible pour ne pas l’être et cacher mes dagues. Je n'étais pas ici pour chercher des ennuis, mais plutôt continuer à en apprendre un plus sur ce monde. Je suppose qu’après cette visite, ce sera l’extérieur de la ville qui sera ma prochaine étape. Une découverte du plus facile au plus difficile, je suppose.

C’est donc en ce début d'après-midi que j'ai décidé de me rendre à la cathédrale. Cette dernière dominait la ville par sa hauteur, mais une fois proche du bâtiment, on pouvait constater qu’elle n’était pas seulement haute mais plutôt gigantesque. Je devais admettre que si c’était l'Ordre qu’il l’a construit en un instant, c'était vraiment impressionnant. J’y voyais déjà la supériorité que l'on voulait insuffler à ceux qui la voyaient de l’extérieur. Après tout, dans quel but construire un édifice pareil si ce n’est se pavaner avec son pouvoir. C’en était un peu intimidant de mon point de vue, pour moi qui ne se conformait pas devant cette entité, j’avais l’impression que je n'avais rien à faire ici alors que tout le monde pouvait visiter.

C’était bien différent de ma tribu où cela ne servait à rien d'exhiber son pouvoir. Nos temples n'étaient pas si grands, de petits temples faisaient tout aussi bien le travail tant que l’on respectait les Esprits. Mais je n’étais pas venu ici pour poiroter devant la porte. Arborant un regard curieux, j’ai franchi la grande porte de cette cathédrale. Je suis ensuite resté quelques secondes devant l’entrée, immobile, le temps que mes yeux s’habituent à la différente luminosité qu’il y avait à l’intérieur.

Il était temps de visiter un peu plus la ville. En réalité, je n'en connaissais pas grand chose encore. Je n'étais même pas allée dans les endroits les plus peuplés, ni taverne, ni auberge, je n'avais pas été plus loin qu'au centre de documentation dans la Tour de la Guilde, je n'avais visité que la forge de Tera au centre-ville... Je n'étais allée dans aucune échoppe ni aucun commerce à part ça. J'avais eu l'occasion de marcher un peu, à travers les rues pavées, puis à la périphérie de la ville, j'avais fait quelques balades autour de ma maison, mais c'était à peu près tout.
J'avais besoin d'un peu de calme, en ressortant de ma mission.

Je m'étais dirigée au hasard jusqu'à un grand bâtiment. On m'avait parlé de cette... Ca... Cathé... Cathodrôme ? Comment cela s'appelait-il, déjà ?
Cathodrôme, ça sonne trop dramatique, ça doit pas être ça, Yva...
Cathédrale ? Oui, ça doit être ça : une cathédrale.
Je n'avais jamais vu pareil édifice chez moi, et n'en avais jamais entendu parler sur Gaeon. On m'avait dit que c'était le siège de l'Eglise, une religion d'ici, mais j'avais bien du mal à concevoir une religion ou les dieux ne vous écoutaient pas.

En Gaeon, les dieux du tétrapanthéon apparaissaient parfois en pensée aux gens, comme à maman. C'est comme ça qu'elle avait déployé ses pouvoirs de l'Arauchrone, elle avait réconcilié deux déesses, celles du temps et de l'espace, Chronosia et Arauchnée. Je leur adressais parfois mes pensées, j'étais sûre qu'elles m'écoutaient : elles écoutaient toujours les prières qui leur étaient adressées. Le tétrapanthéon était une entité un peu floue, plus ou moins institutionnalisée par les inquisiteurs. Mes parents m'avaient raconté que la plupart des dieux qui en faisaient partie n'étaient que des pures inventions, les dieux originels étant rejetés. Dans les légendes que m'avaient raconté ma famille, ils m'avaient annoncé avoir vu, de leurs yeux, ou combattu une dizaine de dieux et déesses de l'ancien temps. Comme d'habitude, je ne savais pas quoi en penser, j'avais envie de croire que ce n'étaient que des fabulations... Mais depuis le livre que j'avais trouvé à l'orphelinat, et la mention de cette déesse Férin, je ne savais plus quoi penser sur les histoires légendaires dont mes parents étaient les héros.
Toutes mes recherches avaient été vaines au centre de documentation pour comprendre un peu mieux cette partie de mon Histoire. J'avais compris d'autres choses... Que, Chronosia m'en est témoin, j'aurais préféré ne jamais savoir... Mais c'était le prix à payer de ma curiosité.

La même curiosité qui m'avait fait pousser les portes de cet édifice gigantesque, à des lieues de ce que j'imagine des temples dédiés aux dieux sur Gaeon, en dehors de ma Sylve. Gustave comme moi fûment bouche-bée. C'était si... Gigantesque... Plein de pierres... Et ces fenêtres ! On aurait dit qu'elles flamboyaient, qu'elles envoyaient toute la lumière du Monde sur le sol.

C'était magnifique. C'était tellement beau que, là, regardant cette fenêtre circulaire de toutes les couleurs, les larmes d'émotion me submergèrent.
Jamais au monde je n'avais vu pareil édifice, il fallait que j'en parle à maman... Si un jour je parvenais à rentrer chez moi.
Je devais décrire cette sensation de grandeur, de présence, de lumière, d'espace. Je me sentais si minuscule, face à cette immensité aux volumes improbables, à ces couleurs et ces colonnes.
Je regardais en l'air sans faire attention à où je mettais les pieds.
Mougni, zou, zou !
Heureusement que Gustave me remit les idées en place : j'avais failli bousculer quelqu'un. Une jeune femme, avec une couleur de peau brune et des cheveux aussi noirs que les miens étaient blancs.
Au moins, tu lui es pas rentrée dedans, contrairement à ta rencontre avec Benedikt...
Je baissai les yeux en tentant de masquer ma gêne. Je devais avoir encore les yeux brillants, je me sentais honteuse d'avoir ressenti une si vive émotion en étant pas seule dans ce lieu. J'espérais sincèrement que les résidus de larmes ne se voyaient pas.
Bon... Bonjour, excusez-moi, je... je ne vous avais pas vue...

Avant que je ne puisse admirer l'intérieur, j'ai pu entendre quelqu'un approcher dans mon dos. Évidemment, je me suis retournée rapidement, sur mes gardes. Je n'étais déjà pas rassurée en franchissant cette grande porte alors me faire surprendre ainsi, il en était hors de question. Je me retins de récupérer ma dague en voyant qui m'avait abordée.

Une jeune femme qui avait l'air encore plus perdue que moi ou était-elle plutôt déboussolée. Je ne pouvais pas dire ce qui la perturbait, mais j'ai pu deviner qu'elle avait pleuré ou était sur le point de le faire au vu de ses yeux affichant des traces rouges.

Pourquoi s'excusait-elle ? Elle avait beau avoir failli me rentrer dedans, le mot faillit était important ici. C'était comme si je m'excusais d'avoir eu le réflexe de chercher ma dague comme si j'étais allée au bout de mon action. Quelque chose que je ne ferais jamais. Je suppose que je devrais être gentille, cette jeune femme à l'air un peu décontenancé et elle manquait un peu trop d'assurance à mon goût. Je pris le temps de l'observer une seconde, vérifiant qu'elle n'était pas une menace avant de lui répondre.

"Pourquoi s'excuser, une seconde avant je ne vous avais pas vu non plus."

Je lui répondis d'une voix très posée et un léger sourire amusé. Un calme imposé si naturellement par la sérénité et la quiétude de cet endroit. Tout en me présentant, je me suis inclinée légèrement pour la saluer même si je ne les pas fait avec autant d'entrain que de retour chez moi.

"En tout cas, je m'appelle Astal Olwa. Enchantée de vous rencontrer jeune femme."

Suite à cette brève présentation, je la regardai dans les yeux, curieuse. Je ne lui ai pas demandé si elle avait besoin d'aide et si c'était le cas, elle le demanderait. Je m'interrogeais plutôt sur le pourquoi de sa présence ici. Elle n'avait pas l'air familière avec le lieu donc elle n'était pas de l'Église. Peut-être était-elle arrivée récemment comme moi ou qu'elle en savait quand même plus que moi. Dans tous les cas, soit elle pouvait m'aider à en apprendre plus sur l'Église et cette cathédrale, soit je formais un début de relation. Les relations sont importantes quand on a encore aucun allié.

Je ne lui ai pas demandé de se présenter non plus, mais il était assez évident, à mon avis, que j'attendais qu'elle me réponde. Je trouvais toujours intéressant de voir comment les gens réagissent quand ils ont l'initiative.

La jeune femme me regarde avec ses grands yeux aussi verts que ceux de parrain. J’ai un peu l’impression qu’elle me scrute, et je me sens piteuse d’avoir failli la bousculer.
Elle me dit que je n’ai pas besoin de m’excuser, qu’elle ne m’avait pas vue non plus. J’aurais aimé répondre à ça mais… je ne savais pas trop quoi dire… Désolée de m’être excusée ? Je faisais ça, souvent, papa me disait d’arrêter, que ce n’était pas nécessaire, ce genre de choses. Maman lui souriait alors : je tenais cette tendance d’elle, c’était même devenu un gag familial.

Elle se présente à moi comme s’appelant Astal Olwa. J’essaie de lui sourire en réponse, mais, c’est pas nouveau, mes sourires ressemblent à des torsions des lèvres. J’incline la tête, Gus sort ses petits pieds et s’asseoit sur ma nuque. Je crois qu’il la trouve jolie. J’ai intérêt à faire attention, sinon, il va vouloir me caser avec elle… comme avec tout ce qui bouge, en fait.
Enchantée… Mademoiselle Olwa. Je m’appelle Yvana, Yvana Tahlil Studlewe, mais… Je préfère Yvana.
Mougni !
Ah bah tiens, qu’est-ce que tu disais y’a deux secondes, ma vieille ?
Il a l’air déjà bien heureux, il va falloir que je fasse attention à le faire redescendre. Pour ça, le meilleur moyen, c’est de ne pas lui accorder de l’importance. Je ne peux pas faire comme s’il ne s’était pas manifesté, mais je peux dévier le sujet.
Et lui c’est mon champignon de compagnie. Vous… Vous visitez aussi la cathé… Cathérale ?
Chronosia je t’en prie, fais que cet édifice ne s’appelle pas un cathodrôme, sinon je vais encore avoir l’air finaude, moi.
Je décide d’arrêter d’essayer de sourire : je n’y arrive pas.
A la place, je la regarde alors qu’elle me répond. Elle a vraiment de beaux yeux, et une couleur de peau bien insolite… Mais après tout, après avoir rencontré Salvador, à la peau rosée, je crois que les couleurs de peau ne m’étonnent plus vraiment. Tata a bien la peau bleue, elle. J’ai jamais vu d’elfe à la peau bleue, mais tata, c’est une orc, et à ce qu’il paraît, c’est pas très normal pour eux non plus. Est-ce que ça existe, sur Gaeon, des humains à la peau aussi foncée que cette jeune femme ?

Je réfléchis à ce que j’ai pu voir de ma sylve, mais je crois bien que je n’ai jamais rencontré d’humain ou d’elfe à la peau si sombre… Mais, après tout, je n’ai pas rencontré beaucoup d’humains. J’avais un peu demandé à maman ce qu’il se trouvait en dehors de la sylve, mais elle avait toujours été très évasive. Elle m’avait expliqué que ça pouvait arriver qu’une couleur de peau, d’yeux, de cheveux, soit héréditaire, que c’était ce qu’il s’était passé avec… Avec… la famille Duilh…

Pourquoi je pense à cette mégère, déjà ?
Faudra bien que tu te penches sur le sujet et...
Pas maintenant. J’étais là pour m’aérer l’esprit.
Je reporte mon attention sur l’inconnue en face de moi, pendant que Gustave se met à sautiller. J’aurais espéré qu’il boude, en l’ayant ignoré si frontalement tout à l’heure, mais, hé, on avait pas toujours ce qu’on voulait, dans la vie.

En fait de réponse, la jeune femme me pose quelques questions sur l’édifice. La conversation se tarit assez vite : je ne peux pas répondre à ses interrogations, en ayant moi-même de similaires.
Le temps s’étire, comme fondu, malléable. J’esquisse une grimace gênée, elle aussi, je vois bien que nous n’avons, en fait, rien à nous dire. Gus tombe de quelques étages dans son début d’euphorie : me caser, oui, mais avec quelqu’un d’intéressant, à ses yeux, c’est quand même vachement mieux.
Il soupire bruyamment. Je prends ça pour un signal de départ.
Euh… Excusez-moi mais… euh… mon ami semble fatigué. Je ferais peut-être bien de rentrer pour le déposer dans son petit lit et… enfin… voilà.
Bravo Yva, meilleure excuse du monde.
J’essaie de donner du poids à ce que je viens de dire par un mouvement de tête vertical. Gustave m’appuie en forçant un bâillement qui, je l’avoue, frise le grotesque.

Je m’excuse à nouveau alors que la jeune femme hoche la tête de la même manière que moi et me souhaite poliment une bonne journée.
Je suis embêtée : avec l’excuse que j’ai trouvée, je ne peux pas visiter le reste de la cathédrôme… drale, puisqu’elle comprendra que je lui ai menti. Déjà que j’ai horreur, mais une horreur absolue de mentir…
C’est bien pour ça que je suis en colère contre cette famille Duilh, d’ailleurs.
Je veux pas penser à eux.

Je jette un regard en arrière, je vois qu’il y a un énorme genre d’instrument dans un coin. J’aimerais tellement aller voir, mais la jeune femme continue son tour, et ne semble pas décidée à partir. Zut, c’est moi qui devrai revenir plus tard dans l’édifice… J’espère qu’il me procurera alors autant d’émotions que tout à l’heure. Je veux pouvoir y retourner sans pensées parasites, sans images d’une jeune femme que je cherche à esquiver parce que je ne sais pas quoi lui dire. Mais qu’est-ce que je fais ? C’est absolument pas correct, ce genre de réaction !
Yva, c’est bon, dramatise pas, vous aviez plus rien à vous dire, c’est normal de prendre congé dans ces cas-là...
Il n’empêche que j’ai menti à cette jeune femme, et je m’en sens très peu fière… Carrément honteuse en fait. Même Gus soupire d’exaspération, je crois que mes réflexions, parfois, l’horripilent. De ça aussi, je m’en veux.

Je m’éloigne d’un pas pressant, puis passe la grande porte sans me retourner. Une fois dehors, je ne sais exactement pourquoi, je me mets à courir. J’ai besoin d’éloigner les pensées parasites. La honte d’avoir menti à une jeune femme pour me débarrasser d’elle. La honte d’ennuyer Gustave.
La honte d’avoir pour père un nécromancien qui a trompé ma mère.
La honte d’avoir pour mère une druidesse qui aurait probablement charmé mon père.
La honte que cette mégère de Ceelan soit probablement la mère de deux grandes sœurs que je n’ai jamais connues.

Je voulais sortir pour évacuer ces pensées, mais finalement, je n’y arrive pas. Dans ma tête dansent des images de femmes au visage noir comme Astal Olwa et aux cheveux verts comme Ceelan Duilh avec des regards moqueurs. Et ces femmes, elles me trouvent bien pitoyable.