Toute boisson enivre. [Patrick]

Toute boisson enivreIl régnait dans l’établissement un désordre appréciable. Après avoir évité de justesse un homme chancelant, Isaya atteignit le comptoir et s’assit à un tabouret libre. Le comptoir était collant d’un liquide inconnu, remarqua-t-elle aussitôt, mais personne ne semblait s’en soucier. Elle jugea bon de ne pas y poser les coudes. Puis elle jeta un regard autour d’elle. Au fond de la salle, le rire tonitruant d’un homme enterrait pratiquement les conversations. À sa gauche, un homme regardait le fond de son verre, l’air triste. À sa droite, deux tabourets plus loin, un homme moustachu lui fit un clin d’œil qu’Isaya remarqua à peine. À une table plus loin, une femme aux oreilles pointues et à la mine joyeuse était assise sur un homme aux mains baladeuses. Tout le monde semblait avoir un verre à la main, à l’exception d’Isaya. Et la mécanicienne avait bien l’intention de remédier à ce léger problème. Mais que buvaient donc les gens de Portalia quand ils entraient dans une taverne? Il fallait se renseigner d’abord.

Chez elle, à la Ligue, dans les profondeurs de la mer, les tavernes étaient des lieux sobres, simples, dépouillés. En réalité, tous les lieux de la Ligue étaient sans luxe, froid. Et si la nourriture était rationnée, il en allait de même avec les boissons. Il n’y avait aucun excès à la Ligue. Néanmoins, les tavernes de la Ligue possédaient une bonne ambiance; une atmosphère détendue et amicale la plupart du temps. Et c’était également le cas ici, à la surface. Certaines choses ne changeaient pas.

Décidant d’imiter les gens du coin, parce qu’apparemment c’était ainsi que les Surfaciens commandaient à boire, Isaya lança un : «Hey Marcel, j’vais te prendre à boire!» Okay, Isaya ne connaissait pas le tavernier, mais tout le monde ici semblait l’interpeler de manière tout à fait familière, et elle avait entendu une personne l’appeler Marcel alors… Et puis, même si elle se trompait, le sourire cordiale qu’elle affichait sur son joli minois pourrait certainement la faire pardonner.

Comme à son habitude, le Rex n’était pas totalement rempli, mais on pouvait y voir une certaine activité. Il y avait notamment les habitués comme José, un habitué dans la force de l’âge qui regardait son verre avec une certaine tristesse. Cela faisait deux ans aujourd’hui que sa femme avait quitté ce monde, et il ne s’en était jamais vraiment remis. Certes il n’était pas un bellâtre, mais ce n’était pas pour autant un étron. Au comptoir, il y avait également Lucien, un vieillard habitué du Rex qui avait ce talent pour draguer toutes les minettes qui entraient dans l’établissement. Le Lucien, c’était un ancien guerrier de haut rang, en atteste son physique des plus avantageux malgré son âge avancé. Il venait quasiment tous les jours au Rex pour boire un ou deux verres, non pas par alcoolisme, mais plus pour passer le temps et discuter avec Patrick qui était devenu avec le temps un de ses meilleurs amis.

Au fond de la salle, il y avait ce garde de la Guilde qui n’arrêtait pas de rires avec ses amis. Le Montataire n'aimait pas ce personnage, car pour lui tout était dû, mais qui plus est, il ne respectait pas autrui. Hubert de son petit nom, était l’un des clients qui connaissait le mieux Scarlett, la serpillère métallique que le gérant du Rex avait faite faire sur mesure à un ami artisan. Non loin du tavernier, sur une table pour deux, se tenait une elfe qui visiblement était sur le point de se faire tripoter par un énième lourdaud. L’homme à la coupe mulet s’empara de plusieurs olives noyautées, avant d’en jeter une qui tomba au pied du duo. La seconde alla se fracasser contre le mur opposé, tandis que la dernière toucha sa cible. L’homme insistant se retourna vers le tavernier et lui lança

« -NON MAIS POUR QUI TU TE PRENDS OHHH ?

-C’est pas un bordel ici ok ? Si tu veux te tripoter la nouille ou des gonz, va le faire à l’extérieur ! »

Répliqua un Montataire qui rendit furieux l’intéressé. L’homme décida de partir de son propre chef sans payer, mais Patrick n’en avait que faire. Pour lui, l’important était de garder un semblant d’équilibre, si bien qu’il ne cautionnait pas ce type d’action. Il était du genre libertin, mais le viol n’était pas forcément dans sa nature et il fallait respecter la gent féminine. L’elfe hésita un instant à s’en aller également, mais elle devait d’abord terminer son verre, ce qui lui donna un argument pour rester. Qui plus est, le tavernier avait déjà prévu de lui offrir un shooter en dédommagement. Alors que le calme commençait à revenir, une demoiselle se posa sur l’un des tabourets du comptoir, avant de lancer à Patrick

« -Hey Marcel, j’vais te prendre à boire !

-Ca fait un bail qu’il est parti en retraite tu sais… répliqua Patrick avant de reprendre HAN le petit cachotier… J’ignorais qu’il était capable de séduire des demoiselles aussi sublimes que toi, à moins que tu ne sois sa fille… Bref je m’égare ! Moi c’est Patrick, mais on a tendance à m’appeler Patoche ici et toi ? »

Le gérant du Rex fixa un instant la demoiselle, avant de lui préparer un verre d’hydromel. L’homme à la coupe mulet mis également dans une coupelle des cacahuètes, car il fallait toujours à manger avec sa boisson c’était bien connu. Le choix de cet alcool partait du principe que sa cliente voulait sans doute une bière, du vin ou de l’hydromel, mais que des trois breuvages, l’hydromel était le plus doux. Une fois prêt, le tavernier posa le tout sur la table, avant de lancer à la jeune demoiselle

« -Je me suis permis de choisir l’hydromel, car c’est une boisson aussi mielleuse que toi ! »

Le Montataire aimait bien de temps en temps draguer sa clientèle, et pour une fois qu’Aleksander n’était pas dans les parages, il savait qu’il aurait toutes ses chances, mais c’était sans compter sur Lucien…

Toute boisson enivreIl semblait donc que Marcel était parti en retraite. Pauvre Marcel… La retraite, c’était un peu comme la mort. Mort et retraite, quasiment des synonymes. Bon, mais si Marcel n’était pas le nom du tavernier, quel était-il? "HAN le petit cachotier…", fit l’homme à Isaya, laquelle attendit de savoir de quelle cachoterie il était question. "J’ignorais qu’il était capable de séduire des demoiselles aussi sublimes que toi." Isaya retint surtout le compliment et sourit doucement. En ce qui concernait Marcel, elle ne le connaissait pas, mais une chose sûre, Isaya ne se laissait pas séduire par des hommes sans travail. …À la Ligue, tout le monde possédait un travail. Il fallait une raison majeure pour ne pas travailler. Du genre, ne plus être capable de lever les bras ou ne plus avoir de bras. "À moins que tu ne sois sa fille… Bref je m’égare ! Moi c’est Patrick, mais on a tendance à m’appeler Patoche ici et toi ?"

«Je n’ai pas de parents», dit-elle d’un ton léger. «Et je ne connais même pas Marcel. J’ai cru que c’était ton nom, désolé. Du coup, tu préfères que je t’appelles Patrick ou Patoche?» Isaya avait précédemment rencontré un François Claude qui n’avait eu aucune préférence concernant la manière de le nommer; peut-être que Patrick allait également lui laisser le champ libre. «Moi c’est Isaya», se présenta-t-elle.

Par la suite, le tavernier déposa une boisson et une coupelle de nourriture devant la mécanicienne de la Ligue, avec ses mots : "Je me suis permis de choisir l’hydromel, car c’est une boisson aussi mielleuse que toi !"

Isaya ne connaissait pas le mot mielleux. Cependant, ça sonnait comme un joli compliment. Dommage qu’Aurélien n’était pas ici, il pourrait alors prendre des notes; oui, parce que l’homme était mauvais en compliment, il ne savait pas comment parler aux femmes. Ce monsieur Patrick pourrait lui faire un cours.

«Je ne suis pas du coin, je te fais confiance pour la boisson», lui répondit-elle avec un sourire radieux. À la ligue, il y avait peu de choix de boissons. Des trucs de concentré d’algues. L’algue revenait beaucoup au menu. Algue et poisson. En toute franchise, c’était bon les algues. «C’est fait de quoi?», demanda-t-elle avant d’y tremper les lèvres et d’en prendre une gorgée. Le goût la surpris aussitôt. Ça goutait… Ça goutait… En fait, Isaya ne connaissait aucun comparatif. «J’adore! C’est toi qui as conçu ce breuvage? De l’hydro—mel, c’est ça? C’est excellent.»

«-Je n’ai pas de parents dit-elle d’un ton léger Et je ne connais même pas Marcel. J’ai cru que c’était ton nom, désolé. Du coup, tu préfères que je t’appelle Patrick ou Patoche ? »

Le tavernier expliqua à la demoiselle que lui non plus n’avait pas de parents. Techniquement il avait bien Lizbeth, mais il la trouvait aussi froide que son armure, et qui plus est, le Montataire était son bouc émissaire quand les autres enfants dont Harmonie Rex faisaient des conneries. La mélancolie s’empara de Patrick qui commença à ruminer quand la demoiselle qui s’appelait Isaya lui demanda s’il préférait qu’on l’appelle Patrick ou Patoche. Pour la gent féminine, il avait tendance à choisir la seconde option, il trouvait que ça avait tendance à renforcer le lien plus rapidement. Puis pour le natif de Portalia, un gars qui s’appelle Patoche inspirait forcément plus confiance qu’un zig s’appelant Archiduc de Grimberwald Montesori. Le gérant du Rex répondit à sa cliente

« -Tu peux m’appeler Patoche, ça permet de ne pas tourner autour du pot… D’ailleurs Isaya c’est un très joli prénom, ça me fait penser à cette sirène que j’ai vu une fois, elle s’appelait… Comment déjà ? AH OUI ! Coraya ! »

Isaya expliqua à Patrick qu’elle lui faisait confiance sur le choix des boissons, ce qui faisait toujours plaisir au barman, dans la mesure où la moitié de ses clients comparaient ses alcools, et surtout sa bière, à de la pisse. Quoi qu’il en soit, la demoiselle demanda au Montataire de quoi était fait la boisson, et après quelques secondes de réflexions il se lança

« -C’est simple à vrai dire… Tu vois c’est quoi du miel ? Tu sais le nectar qui est produit par les abeilles ! Et bien figure toi que lorsque tu te sers de ce produit et que tu le laisses fermenter, tu obtiens un produit proche de la bière, mais qui a un goût de miel ou comme dirait Hypanatoi « à la rondeur parfaite pour aller sur un morceau de feta » ! s’exclama Patrick en imitant son patron avant de reprendre En bref c’est doux et sucré ! Mais dit moi, si ça n’existe pas dans ton monde, qu’est ce que les gens peuvent bien boire pour passer le temps ? D’ailleurs il ressemble à quoi ton monde ? »

Isaya lui répondit tandis que Patrick s’occupait des autres clients venant commander. Ayant une oreille attentive à la réponse de sa comparse, le tavernier fût interpellé par Lucien qui souhaitait commander un autre verre. Le Montataire prépara donc une pinte de bière dans laquelle il mit un shot de bourbon, avant de la tendre à son ami tout en lui disant

« -Tiens la petite sœur, avec supplément bourbon comme tu aimes Lulu !!

-Merci Patoche ! A croire que t’as le don pour savoir ce que les gens veulent boire !

-A défaut d’atteindre le cœur des gens, je peux toujours atteindre leur foie ! répliqua Patrick avant de se reprendre Alors pour répondre à ta question, c’est bien moi qui produis ce breuvage et j’ai ma petite méthode… Tu connais le principe des essences et des pouvoirs dans Portal ? »

Bien que n’étant pas fan d’étaler son savoir à tout va, Patrick se disait que la demoiselle n’était pas du genre à aller crier sur tous les toits le secret du Montataire, du moins il l’espérait.

Toute boisson enivreL’homme lui expliqua qu’il n’avait pas de parents, lui aussi. Là-dessus, ils se comprenaient donc. Bon, techniquement Isaya avait Mili, la femme hybride qui l’avait adoptée. Mais Mili n’était pas sa véritable mère, même si Isaya l’appréciait et appréciait la vie qu’elle lui avait donnée. De ses véritables parents, Isaya avait bien peu de souvenirs. Enfin, ce n’était ni l’endroit ni le moment de ressasser tout ça. Changeant de sujet, Isaya demanda au tavernier comment elle devait le nommer. «Patoche, c’est sympa», dit-elle alors en hochant la tête. Patrick aussi c’était bien, mais patoche… Patoche, c’était unique; Patoche, ça faisait familier.

"D’ailleurs Isaya c’est un très joli prénom, ça me fait penser à cette sirène que j’ai vu une fois, elle s’appelait… Comment déjà ? AH OUI ! Coraya !"

Isaya pencha doucement la tête sur le côté. Une sirène, hein? Des explorateurs de la Ligue avaient déjà reporté avoir vu des sirènes. Son ami Aurélien lui-même avait confirmé l’information. Des créatures humanoïdes respirant sous l’eau, vivant avec les poissons, alors que les gens de la Ligue étaient prisonniers entre quatre murs. Des créatures, disaient-on, étonnantes et effrayantes. «J’ai entendu dire que les sirènes ont une dentition de requin et sont d’impitoyables chasseurs marins.»

En ce qui concernait la boisson que Patrick servit à Isaya, cette dernière trouvait la boisson surprenante; un ravissement pour les papilles. Évidemment, Isaya voulut savoir de quoi la boisson était composée.

"C’est simple à vrai dire… Tu vois c’est quoi du miel ? Tu sais le nectar qui est produit par les abeilles !", commença-t-il, et les yeux d’Isaya s’arrondirent. Ah, ça commençait bien. Miel et abeilles. Aucune idée de ce à quoi ça pouvait bien ressembler.  Est-ce que le miel ressemblait à de la posidonie et est-ce que les abeilles ressemblaient à des crustacés? L’homme continua son explication; un processus de fermentation bien simple. Isaya comprit l’essentiel du discours de l’homme. Les boissons à la Ligue s’obtenaient avec un processus semblables. Les ingrédients variaient et donc les goûts variaient, et ça c’était tout à fait normal.

Elle répondit ensuite aux questions du gentil Patoche : «On boit essentiellement de l'eau, de l’eau aromatisée, et des alcools d'algues. Je viens de sous les océans, loin d’ici. C’est… disons différent, très différent d’ici!»

En bon tavernier, Patoche s’occupa également d’autres clients, dont un homme qui s’appelait Lulu, un vieil homme bien bâtit, assis au comptoir lui-aussi. Les Surfaciens semblaient avoir accès à un large éventail de boissons. Après avoir servi ce monsieur Lulu, le tavernier lui révéla donc qu’il était l’homme derrière la production de ce bon hydromel qu’Isaya buvait.

"J’ai ma petite méthode…", dit-il, intriguant Isaya. "Tu connais le principe des essences et des pouvoirs dans Portal ?"

«J’en ai une bonne idée oui», dit-elle, et elle joignit la parole au geste. Elle fit apparaître sur le comptoir face à elle un objet qui prit la forme d’un verre, mais d’aspect translucide et de couleur bleuté; verre qui se transforma ensuite et prit l’apparence d’une bouteille d’alcool. Elle aurait pu faire apparaitre n’importe quel type d'objet, mais c’était assez thématique vu l’endroit. Elle fit ensuite disparaitre la construction d’essence et se saisit de son véritable verre, prenant une gorgée d’hydromel en attendant que le tavernier lui explique sa "petite méthode".