Comme quasiment tous les jours, je marche dans les rues à la recherche de l’endroit où je vais passer une partie de ma journée. Je ne me fixe pas un endroit précis, je laisse la passion qui m’habite choisir le bon endroit, celui où je pourrais libérer tout mon potentiel.

Déposant l’étui de mon violon au sol, je l’ouvre et en sort mon instrument. Le gardant simplement dans la main, je ferme les yeux et écoute les bruits aux alentours. Les murmures, les pas, tous les sons que j’entends m’envahissent avant que je ne pose mon violon sur mon épaule et que je commence à jouer. Tout d’abord les yeux clos pour me laisser guider uniquement par les sons avant que je n’ouvre les yeux pour observer les alentours et les visages des passants.

C’est actuellement ma routine de tous les jours. Je m’installe dans la rue et joue plusieurs heures avant de remettre mon violon dans son étui, souvent sur un tas de petites pièces que les passants ont déposées.

Mon regard se promène sur les passants jusqu’à ce que mon instinct me dise qu’elle est là. Sans m’arrêter de jouer, je la cherche du regard sans réussir à la trouver jusqu’au moment où elle s’avance et dépose une pièce dans mon étui à violon avant de partir. La suivant des yeux, je croise son regard l’espace d’un court instant et mon cœur s’emballe, manquant même de me faire louper une note. Me reprenant rapidement, je continue de jouer, échangeant des regards avec plusieurs passants, homme et femme.

Certains sont des habitués qui viennent m’écouter dès qu’ils me reconnaissent, d’autres sont des curieux qui s’arrêtent juste quelques instants, le temps de remplir leur cœur d’un peu de bonheur avant de repartir et enfin, il y a les spéciaux, ceux qui ont attendu que je m’arrête de jouer pour échanger quelques mots, voire pour m’inviter à boire un verre. J’ai fini dans le lit de certains mais tous savent que mon cœur est déjà pris et que tout mon amour va à mon violon.

Tous sauf une… Harmonie est spéciale pour moi… Souvenirs d’enfance que j’aimerais parfois oublier mais qui me permette de me souvenir de qui je suis, je n’ai pas encore eu le cœur de la repousser. Elle est actuellement la seule à connaitre mon appartement, la seule que je laisse entrer dans mon intimité mais je sais qu’un jour, je la repousserais, parce que c’est ainsi que je fonctionne.

Mettant un terme à mes quelques heures de musique, je salue les gens qui applaudissent avant de m’accroupir pour ranger mon violon. Repérant un bout de papier au milieu des pièces, je l’attrape et le lis avant de le mettre dans ma poche. Fermant l’étui, je me relève pour partir quand une jeune femme m’arrête en s’accrochant à mon bras. Avec un sourire d’excuse, je la repousse et m’éloigne rapidement pour slalomer dans quelques rues avant de retourner vers chez moi.

Montant à mon appartement, je déverrouille la porte et rentre pour déposer mon instrument à sa place. Je ne m’occupe pas des pièces pour le moment, préférant me changer et mettre un peu d’ordre dans les lieux. Bien que je sois ordonné, je préfère ne rien laisser trainer de personnel pour éviter qu’elle ne me connaisse trop. Même si pour cela, il aurait fallu que je ne l’amène jamais ici.

J’ai à peine fini de ranger qu’on frappe à la porte. Lançant un dernier regard autour de moi, je m’approche de la porte et l’ouvre pour faire face à la jeune femme. Pieds nus, la chemise à moitié ouverte, je réalise que j’aurais pu avoir une tenue un peu plus décente avant de lui ouvrir et de l’inviter à entrer.

Je vois que tu as réussi à tenir une semaine cette fois… ⁣

Refermant derrière elle, je n’hésite pas une seconde avant de la prendre dans mes bras pour l’embrasser dans le cou. Sa présence entre mes bras, sa chaleur et son odeur me sont si familières que j’ai l’impression d’être un autre quand elle est là. Peut-être est-ce le cas, peut-être que je devrais la repousser, lui dire de ne plus venir…

Tu n’as rien d’autres à faire en ce moment que de passer du temps avec moi ? Je doute que ton père apprécierait de savoir que tu traines avec un simple musicien. Et ton frère, il me casserait la gueule s’il savait que je posais régulièrement mes mains sur toi… ⁣

La laisser repartir ? Maintenant qu’elle est là, je compte bien profiter de sa présence ! Surtout que pour elle, j’ai repoussé les avances d’une demoiselle plutôt à mon goût.

Quand elle quitte mes bras, je me sens légèrement frustré mais avec la pique que je venais de lui lancer, il fallait bien que je me doute d’une réponse de sa part. D’ailleurs sa réponse me fait sourire. Il est vrai que je n’ai pas envie de croiser son père ou son frère et que le fait de garder cette relation secrète me va très bien. Ça me permet de toujours voir cette étincelle d’envie dans le regard des hommes et des femmes qui m’observent pendant que je joue.

L’observant avec attention, je ne peux pas m’empêcher de la trouver un peu trop à l’aise dans mon chez-moi. Un frisson me parcourt le dos. Depuis quand est-ce ainsi ? Je m’étais promis de ne m’attacher à personne et voilà que je laisse Harmonie s’introduire dans ma vie avec une certaine facilité. Plongeant les mains dans mes poches, je cache ainsi mes poings serrés l’espace d’un instant.

Prenant une grande inspiration, je profite qu’elle fouille dans son sac pour me reprendre et quand elle relève la tête, je suis tout sourire.

Des gâteaux ! Tu sais très bien que j’adore ça mais je vais finir par grossir si tu continues d’en apporter à chaque fois !

Me retournant pour apporter la boite sur la table, je la dépose avant de reporter mon attention sur son visage. Attrapant son menton d’une main, je glisse doucement un doigt le long de sa tempe, m’efforçant de ne pas toucher la blessure.

Je ne pensais pas que ton boulot à la place des portails était aussi dangereux. Ce serait dommage d’abimer ton beau visage…

Déposant un léger baiser sur son nez, je reporte l’attention sur la boite de pâtisserie et en retire le couvercle d’un geste délicat, curieux de voir ce qu’elle a emporté.

Il va falloir que je nous prépare un truc à boire pour aller avec ça... ⁣

Haussant un sourcil, je prends un air faussement surpris et choqué.

Quoi ! Il y a des hommes qui s’évanouissent dans tes bras ! Tu leur fais donc autant d’effet ! Finalement, c’est peut-être toi le danger…

Me détournant rapidement pour aller préparer la bouilloire, je m’en veux un peu d’avoir dit ça même si je le crois de plus en plus. Il est si facile de s’attacher à elle que je regrette presque de ne pas m’être éloigné plus que ça depuis qu’elle avait quitté l’orphelinat.

Malgré son adoption, je cherchais toujours à la voir, même que quelques secondes dès que je pouvais mettre les pieds hors de l’orphelinat. Bien sûr, il y a eu mon amour pour le violon qui a réussi à me détacher un peu d’elle mais pas assez pour ne pas voir la superbe jeune femme qu’elle était devenue.

Un jour, j’aurais le courage de la repousser. Un jour, je saurai lui dire non. Relevant les yeux, je croise son regard et toute ma conviction disparait. Oui, un jour mais pas aujourd’hui…

Sortant deux tasses, je les pose sur un plateau avant d’ajouter du sucre et de quoi s’essuyer les mains après avoir dégusté les gâteaux. Récupérant la bouilloire qui chante le fait qu’elle soit à bonne température, je verse l’eau dans la théière où j’avais déjà déposé quelques doses de son thé préféré. Enfin j’attrape le plateau et l’emmène sur la table avant de jeter un regard dans la boite à gâteau.

Je ne suis pas devin mais je vois quelques séances de sport après cette bonne dégustation…

Relevant la tête, je plonge mon regard dans le sien avant de me pencher par-dessus la table pour capturer ses lèvres dans un rapide baiser qui me donne faim du reste. Je m’éloigne en retenant un soupir de frustration et me pose sur une chaise pour lui tendre une tasse de thé l’air de rien.

Alors ? À part glisser des petits mots à des musiciens et faire s’évanouir des hommes, qu’as-tu fait de ta journée ?