Chap. 3 : Un parfait désaccord [Eylohr]

Un jour de repos, enfin ! Pas que je n'aime pas ce que je fais -- si je puis dire que je fais quelque chose -- mais écouter des personnes parler pendant des heures n'a jamais été mon fort. Je ne suis pas très patiente, surtout quand le sujet ne m'intéresse pas beaucoup. J'ai compris que nous avons été appelé pour éliminer la menaces des rois du Chaos. Mais est-ce vraiment nécessaire d'avoir des leçons sur autre chose ? Sincèrement, je ne suis pas sûre que d'apprendre à gérer son magasin soit vraiment intéressant...

Quoiqu'il en soit, quel est le meilleur moyen d'oublier cette heure sur la gestion d'un magasin quand allant dans un magasin ? Il fallait que je m'achète quelques vêtements, et pourquoi pas des objets pour décorer la chambre que l'Ordre a bien voulu me louer ? En plus, il était plus que temps que je me trouve une arme personnelle. Emprunter celles de l'ordre va bien deux minutes.

On ne m'a pas conseillé un artisan en particulier, je vagabonde alors un peu dans les rues, au gré de mes envies. Au bout d'une heure, j'avais réussi à trouver une nouvelle robe noir, qui va me permettre de changer un peu avec celle de mon arrivée et la tenue gentiment donné par l'ordre. Quelques bibelots supplémentaires viennent compléter mon sac : livres, bougies, bijoux en tout genre. Il est vrai que c'est la première fois que je vois beaucoup de choses vendables ici, et j'ai dû résister pour ne pas tout acheter.

Il reste tout de même l'arme. J'ai fait quelques armuriers, mais rien de vraiment exceptionnelle n'est voulu à ma rencontre. Je ne recherche pas non plus l'arme ultime refermant tous les pouvoirs, mais simplement une qui me parlera, et qui sera remplir toutes les conditions que je demande. Une épée ou une dague pourraient fonctionner, même si j'ai un léger penchant pour les petites lames. Beaucoup plus maniable, elle sont également plus facile à cacher en cas de fouille, et peuvent être changer de main si la situation se présente.

J'ai appris à manier les deux, bien évidemment. Mais lorsque je devais "travailler", c'était plus la dague qui partait avec moi. Ma chère dague...elle me manque presque autant que ma mère et ma soeur. Depuis le temps que je la possède, elle faisait presque partie de la famille.

Je rentre finalement dans la quatrième armurerie de la journée. Quelques clients sont déjà présents. Certains regardent les armures et les tissus de combat, tandis que d'autres s'interroger sur le choix d'arme qui était le mieux pour un jeune guerrier en apprentissage. Je me dirige naturellement vers les dagues, les épées à une main se trouvant juste à côté. Aucune ne me parle pour l'instant. Je ne trouve pas cette éclat magnifique dans la lame, ni la robustesse dans le manche. Peut-être ne pourrais-je jamais trouvé ce que je veux, ou bien allait-il falloir que je revois mes critère à la baisse ?

Au final, j'opte pour essayer une petite dague à la poignet rouge sombre. Des lacets en cuirs noirs viennent finir le style sombre de l'arme. Je tend la main, mais on dirait qu'un des clients avait la même idée. Nous stoppons notre mouvement en même temps, mais je prend la parole la première.

- Excusez moi.

Je reprend mon mouvement pour prendre ma lame, mais on dirait que l'homme ne l'entend pas de la même façon.

La dernière mission avait été plutôt réussie pour Eylohr. Bien qu’étant un Dark Souls, Eylohr était un guerrier avant toute chose, et son but, ici, était de gagner en puissance. Bien que plus de trois décennies étaient passées depuis son invocation, le Sombre n’avait point abandonné sa quête de pouvoirs, de puissance et de destruction.

Aussi se faisait-il régulièrement passer pour un aventurier. Lame à vendre ou à louer, équipier d’un jour ou d’une aventure, Eylohr tentait régulièrement de rejoindre des groupes ou de louer ses habiletés, afin poursuivre cette quête qu’il s’était fixé. S’il savait qu’il valait mieux respecter les principes de la Guilde Sombre pour son propre bien, il appréciait utiliser autrui à son avantage. Les civils, d’ailleurs, formaient parfois de parfaits outils dans un plan bien ficelé. Mais ce qu’il préférait par-dessus tout, c’était tuer des membres de l’Eglise.

Oui, Eylohr était secoué par des pensées noires et des pulsions impures. Être chaotique par excellence, il se rappelait toujours son règne passé, sa tyrannie obtenue après des décennies de massacre, des siècles de guerre, des montagnes de cadavres et des rivières de sang versé…

Mais laissons cela pour un autre jour. Aujourd’hui, Eylohr doit se racheter du matériel. La dernière aventure s’était soldée par quelques combats épiques et quelques Gils durement gagnés, mais une de ses dagues avait été endommagée. Oh, elle était d’ores-et-déjà entre les mains d’un forgeron grassement payé, mais le guerrier du chaos qu’il était appréciait bien une chose dans la vie : les nouvelles armes. Loin d’être considéré comme un « plaisir », il appréciait surtout imaginer les blessures et les souffrance qu’une nouvelle arme pouvait infliger.

Une de ces armes venait d’ailleurs d’apparaître à ses yeux : une dague sombre, à la poignée rouge et aux lacets noirs. Oh, si un être aussi vil qu’Eylohr pouvait ressentir un quelconque attrait pour quoi que ce soit ou qui que ce soit, ce serait bien pour la nuit noire et la noirceur dégagée par une telle arme. Tout était sombre sur elle : que ce soit sa lame ou sa poignée, son fourreau ou ses détails. Imaginer perler une goutte d’un sang bien rouge le long de cette lame noire était… Plaisant.

Seulement voilà, il n’était point seul à avoir remarquer tel objet. Déjà, une pogne étend ses doigts effilés pour s’en emparer, tandis que, d’un autre côté, la longue main pâle cerclée de cicatrice s’apprêtait à refermer ses doigts caleux sur cette lame désirée. Les deux mains s’arrêtent, et une voix se fait entendre : « Excusez-moi »

« Je n’excuse pas votre existence » Pensa-t-il dans un réflexe de dédain, irradiant du regard cet être infâme à l’existence futile. Ses mâchoires se mirent à battre avec vigueur, alors qu’il tentait de se contenir – un exercice qu’il ne parvenait toujours pas à réussir.

Alors que l’être ignoble reprend son mouvement vers cette lame sombre qui ne pouvait être maniée que par un Sombre – vive le chauvinisme – Eylohr fit de même… Et entreprit de pousser la main de la jeune femme sans le moindre respect.

« Cette lame n’est pas pour vous. Vous n’en n’êtes pas digne. » Dit-il à voix haute, relevant des yeux soudainement malicieux sur les deux protubérances boisées – ou osseuses – qui dépassent de la tête de la femme. « Vous n’aurez qu’à baisser la tête et charger vos ennemis, telle une vache énervée. »

La dague serait à lui, et il s’apprêtait à refermer sa prise sur elle.

- Excusez-moi ?

Deux fois la même phrase, mais absolument pas sur le même ton. Si le premier se voulait sincère, le deuxième ne dégageait que mépris et froideur. Qui êtes donc cette personne odieuse qui se permet de parler de la sorte ? Est-il assez idiot pour passer sous une lame aussi facilement, ou simplement arrogant ? Qu'importe, au final. Qu'il soit l'un ou l'autre ne changera rien. Il a osé me comparer à ces animaux informes que sont les vaches. Ces grosses choses qui ne pense qu'à manger jusqu'à l'étouffement.

Fallait-il vraiment se battre pour une simple lame ? Bien sûr que non, évidemment. Mais maintenant, cela va plus loin que cette arme. J'ai déjà tué de nombreuses personnes pour beaucoup moins que cela. Même, un regard de travers avait bien suffit à me faire dégainer. Et maintenant, qu'est-ce qu'il change ? Faut-il que je plies l'échine devant un cadavre au visage peint, ou allais-je continuer à faire comme à Landmark ?

Main sur ma dague attaché à ma ceinture dans le dos, j'enlève la sécurité, prête à la sortir à tous propos supplémentaire. Laisser un mort dans l'armurerie me peinerais grandement, mais j'irais voir l'Eglise : un dark soul qui menaçait la sécurité, voilà tout. Même si je ne sais pas s'il en est vraiment un, mais une fois mort, il ne pourra pas dire le contraire.

- Êtes-vous emmanché ou possédez-vous simplement un orgueil mal placé ?

L'homme, qui avait opté pour une attaque au lieu de se présenter comme le ferait toute personne civilisée, commence à refermer sa main sur la poignet. Ma dextre y est toujours, et je m'empresse de faire sortir l'arme de son emplacement de présentation.

- Si je n'en suis pas digne, vous l'êtes encore moins. Votre façon de parler, votre attitude globale...Une grosse épée à deux mains devrait être plus appropriée : cela ne demande pas forcément d'intellect pour faire mouche.

Ah, que voici la traditionnelle mais néanmoins toujours aussi désagréable habitude des mortelles, que de chercher des excuses là où il n’y a pas lieu d’en avoir. Surprise, certainement ; bafouée, assurément, la voici qui tente d’impressionner le Sombre en déboutonnant la sécurité de sa dague. L’œil avisé du Sombre aura remarqué la dextérité du geste : clairement, ce demi-bovin était une manipulatrice d’armes, et la dague devait sans aucun doute être une extension d’elle-même. Mais que pouvait-elle bien faire, face à un individu comme Eylohr ?

Son sourire carnassier et hautain s’offrit à la représentante féminine qu’il avait face à lui. Alors qu’elle se faisait menaçante, elle tente une pique maladroite qui n’aura pour résultante qu’un rire mesquin, à moitié étouffé, alors qu’une canine dépasse finalement de la lippe supérieure droite d’Eylohr.

Vient ensuite la suite de la pique, alors que ses doigts effilés arrachent de la pogne d’Eylohr, cette représentante sombre des dagues de ce monde. Légèrement déçu de n’avoir point été assez rapide – ou l’avait-il fait exprès pour déclencher la colère, allez savoir – Eylohr se plaça face à la jeune femme, l’épaisse et grande garde de son espadon bien visible derrière lui, correctement placé dans son fourreau dorsal.

« Vous avez raison… » Dit-il, faisant semblant de baisser le regard et les yeux, avant de les ramener vers la femme. Ses prunelles brillèrent alors d’une intelligence malveillante, et ses mires détaillèrent le corps de son vis-à-vis. De haut en bas, puis de bas en haut, Eylohr tendit une main, paume ouverte vers le haut, avant de reprendre, l’air malicieux : « Il est clair que vous semblez adeptes des petits calibres… Sans doute que les grandes et grosses lames vous effraient trop… Mais ne vous inquiétez pas, les Quartiers Nords regorgent d’épées longues prêtes à agrandir votre fourreau. » Piqua-t-il à son tour, usant volontairement d’une attitude salace pour mettre à vif l’orgueil et la fierté de cette femme hautaine.

Car le cloporte se réjouit là où défèquent les puissants. Mais ce cloporte-ci ne mériterait même pas de batifoler dans les latrines du Roi Tyran. « Attention à ne pas vous piquer. Il serait dommage de salir vos frusques par maladresse, vous ne seriez alors plus présentable pour aller faire le ménage à la taverne. »

Son rire, cette fois, était aussi gras qu’il était sincère. S’amuser avec les êtres insignifiant était toujours aussi plaisant…

- Ne dit-on pas que les plus grosses armes sont celles qui finissent le combat le plus rapidement ? Je suis plus du genre à aimer le spectacle, et à tout faire pour que cela dure longtemps.

Je ne suis pas prude, bien évidemment. Faut-il vraiment que je rappelle quel genre d'établissement tenait ma mère ? Je ne faisais pas partie des jeunes femmes qui y travailler, mais je voyais beaucoup d'homme et de femme passer dans les chambres. Et j'ai déjà eu quelques aventures. Rien de bien sérieux : l'attachement n'était pas quelque chose que j'aimais particulièrement. J'ai déjà essayé une fois, mais il m'avait demandé de quitter ma famille et le rôle que j'avais pour fuir loin avec lui, élever des chèvres et planter de jolies fleurs. A l'heure actuelle, il peut apprécier ces fleurs, mais au lieu de leur pétales, il a toute l'éternité pour s'émerveiller devant leurs racines.

Sortir ma lame maintenant ne servirait à rien. L'homme est sans nul doute en proie à un manque de communication, il doit se sentir seul. Un nouveau arrivé ? Il ne se montrerai pas aussi arrogant.  

- Mais pour connaître les bonnes adresses du quartier Nord, vous devez avoir l'habitude non ? Je veux dire...grosses épées...fourreau, tous ça.

Un petit sourire au coin et un sourcil arqué, j'attend ça réponse avec impatience. Face à ce joueur de personnage, baisser les yeux et plier l'échine ne servira pas à abaisser sa colère, si c'est celle-ci qui dicte ces propos. Mais c'est quelque chose dont je doute : je me demande s'il n'aime tout simplement pas parler de cette façon à toutes les personnes qu'il croise. A-t-il simplement des amis ? Ils doivent se compter sur une seule main, comparé à celui des personnes qui veulent le tuer...

La lame toujours dans ma main droite, je suis presque plus intéressée par la conversation houleuse que j'ai avec l'homme plutôt que de l'acheter. J'aurai pu tout simplement continuer mon chemin en l'évitant, arriver directement devant le comptoir, l'acheter rapidement, et partir aussi vite en dehors de l'armurerie.

Peut-être que moi aussi, j'ai besoin de conversation. Les cours sans fin par les prêtres commencent à venir à bout de ma patience et de ma gentillesse. Il me faut rapidement de quoi faire vibrer mon corps. Je veux ressentir cette chaleur quand je me laisse emporter par mes pulsions. Un meurtre, un combat, qu'il soit physique ou verbal. Qu'importe, il me faut quelque chose qui me fasse vibrer de la tête aux pieds. Et pour l'instant, cette joute verbale correspond bien à ces critères.

Ah ! Ainsi donc, le cloporte tente enfin de se battre. Enfin, moins que de se battre, au moins de se défendre. Que peut l’insecte misérable lorsqu’il est piétiné par une botte ? Rien, à par lever ses antennes et éventuellement tenter de déguerpir. Mais comme le félin jouant avec sa proie, Eylohr ressent davantage la pulsion de domination que celle de destruction, dorénavant. Oui, il aimerait la détruire, mais le fait qu’elle pense avoir un semblant de répondant éveille quelques autres sens… Le jeu… La domination… Le pouvoir. Qui est-elle, cette jeune femme, pour ne point avoir peur face à un tel être comme Eylohr ? Car, physiquement, il n’était point le plus beau, ni le plus avenant…

« Le spectacle ne sers-il point à divertir et à détourner l’attention tandis qu’en coulisse se joue la vérité ? » Demanda-t-il, l’air narquois et les prunelles étincelante alors qu’une vive pensée arrive soudainement en son esprit. « Après tout… La durée n’est-elle point l’ennemie de la puissance ? »

A quoi bon prendre son temps et faire durer le spectacle, quand il est possible de ressentir la puissance et la spontanéité de celle-ci ? De son expérience, Eylohr sait que ceux qui utilisent le spectacle, le font pour pouvoir s’en sortir. Lorsque l’on n’est point à la hauteur, utiliser la fuite, des faux semblants et fatiguer son adversaire, sont les seules solutions à la survie.

« Vous m’avez démasqué » Dit-il, levant les mains au ciel, affichant un air supérieur et moqueur, alors qu’un léger sourire machiavélique l’anime. « Je suis la grosse épée des Quartiers Nords. Votre finesse d’esprit m’indique que, vous aussi, vous connaissez quelques adresses qu’il vaut mieux ne pas visiter. Cette petite dague serait-elle le prélude à un adversaire mieux doté ? Vous n’avez pas l’air de ne sucer que des glaçons… »

D’où lui vient cette idée soudaine ? Très simple : cette promptitude à se défendre, ce sourire narquois, ce regard en coin et cette taverne juste derrière elle. Si l’on était du genre à chercher la petite bête, l’on pourrait croire que la donzelle effarouchée devait travailler en taverne… Mais qu’elle ne nettoyait pas que les manches de ses balais.

« Donnez moi cette dague… Ce n’est pas le genre de lame dont vous avez besoin. » Son rire avait cette fois disparu, ainsi que son sourire, et seul demeurait ce regard étrange et ô combien effrayant. Si les prunelles pouvaient tuer, nul doute que la jeune femme finirait crucifier sur l’instant.

- Vous avez raison. J'ai récemment découvert un produit appelé "glace", et je trouve cela beaucoup plus intéressant que d'autres choses beaucoup moins sucrés, comme les glaçons notamment.

Est-ce que je serais entrain de m'amuser ? La discussion avait peut-être mal commencé, mais maintenant, je prends un malin plaisir à répondre à cet inconnu, un sourire aux coins et une étincelle malicieuse dans le regard. J'avais l'habitude aussi, à Hyedaelyn, d'ironiser avec certains clients de la taverne. Cela se terminer parfois dans un lit, notamment avec ceux qui me procurer le plus de divertissement, et qui avait à peut près mon âge. Allait-il se passer la même chose, maintenant ?

L'homme tend sa main pour récupérer la lame. Même avec un "s'il vous plait" je ne lui aurais pas donner l'objet. Pourquoi ? Et bien je n'avais pas forcément envie de satisfaire à ces désirs. Ou du moins, pas dans l'immédiat. Cette lame me plait énormément, et je ne vais pas la céder simplement parce qu'on me le demande de façon plus ou moins gentille. L'inconnu a tout de même changer son préjugé : maintenant, je ne suis plus indigne de l'arme, simplement je n'en ai pas besoin.

- Ah bon ? Et selon vous, qu'est-ce que j'aurai besoin ?

Un pas en avant, réduisant la distance. Un jeu du chat et de la souris, quelque chose qui fait vibrer chaque partie du corps. Osera-t-il essayer de prendre la lame à mon insu ? Ou continuera-t-il de mener la danse ?

Que se passe-t-il, réellement ? Eylohr ne saurait le dire. Pendant un bref instant, son visage pâle et couvert de cicatrices devient aussi fermé et sombre que la plus froide geôle de tous les mondes de l’univers. Face à lui, l’être féminin, cloporte inutile, insecte à la vie misérable… Semble s’amuser en lieu et place de se courroucer. Quelle frustration ! Quelle déception ! Où se trouve le reliquat d’orgueil qui la poussait tout à l’heure à poser sa frêle pogne sur le pommeau de sa dague ?

« Ainsi donc, vous êtes de ce genre à apprécier les desserts glacés que l’on trouve sur des cornets gourmands. Des glaces deux boules, je présume ? »

Tentait-il une nouvelle pirouette pour la déstabiliser ? Oui, tout à fait. Le Sombre appréciait tout un tas de choses dans la vie, la plupart gravitant autour d’une notion : le chaos. En ce monde, Portalia, il existe sept Rois du chaos… Et Eylohr, loin de vouloir les détruire, aimerait les rejoindre. Peut-être pourrait-il devenir le huitième Roi du Chaos ?

Le cafard reprend une diatribe qu’elle souhaite être dominante. En réalité, elle laisse à Eylohr deux choix : celui d’être le meneur, ou celui d’être le mené. Le Sombre, chaotique, refuserait aisément d’être ne serait-ce que mené par le bout du nez en aucune manière que ce soit. Alors, il s’approcha à son tour, et la boucle de sa ceinture vint enfoncer légèrement la tunique de l’être infâme, trahissant la très grande – trop grande proximité – des deux êtres opposés.

Doucement, Eylohr planta un regard d’acier dans les prunelles de son vis-à-vis, et profita de l’attraction pour passer son bras de telle sorte de pouvoir toucher le bout acéré de la dague convoitée.

« D’une bonne leçon, pour débuter. » Dit-il, laissant ses dents acérées poindre de ses lippes sombres. « Et d’une arme à distance. Le corps à corps semble être bien trop dangereux pour vous. »

Et dire qu’ici, en cet instant, il pourrait l’écraser aussi facilement qu’un moustique sur la vitre d’une demeure.

Sourcil arqué, mes lèvres se retroussent légèrement dans un sourire discret. Le jeu n'en valait peut-être pas la chandelle. Mais j'ai toujours eu une préférence pour ce genre de personne : sombre, sûr d'elle et voulant dominer tout être vivant osant le regarder dans les yeux. Est-ce dû au genre de personne que je croise tous les jours dans l'auberge ? Ou bien est-ce qu'ils me rappellent tous ce père brutal et autoritaire qui m'a élevé dans la violence jusqu'à mes 17 ans ? Ne dit-on pas que le mari idéal d'une femme est celui qui ressemble le plus à son père ?

Au vu de la proximité, je n'avais plus que deux possibilités : soit rentrer dans son jeu, et voir ou tout cela nous conduira, soit créer une diversion et fuir du quartier. Au fond de moi, je ne savais pas encore laquelle serait la mieux. Cet échange a réveillé quelque chose en moi que je n'avais pas eu depuis que je suis arrivée à Portalia. Laisser cette chaleur m'envahir complètement pourrait être dangereux. Mais en même temps...

- Vous avez besoin d'aide ?

La voix du propriétaire de l'armurerie me fait sortir de ma torpeur. D'un point de vue extérieur, la pièce que nous venons de jouer pouvait être des plus ridicules ou des plus perturbantes. Mon visage a quelques centimètres de l'inconnu, je le détourne pour fixer mon regard dans celui de l'armurier.

-  Tout va bien, monsieur. Nous étions juste entrain de nous dire que cette lame était très jolie.
- J'suis bien content, tiens ! Mais vous s'avez, pas b'soin de s'battre pour elle, hein. J'en ai tout un stock dans l'fond !
-  Un...stock ?
- Ha bah oui, hein !

L'homme part quelques secondes pour revenir avec un objet dans les mains : je reconnais tout de suite la poignet noir, les lacets rouges, et cette énergie qui s'en dégage. L'armurier explique que c'est une collaboration entre plusieurs artisans du quartier : lui pour la lame, un tanneur pour les lacets, et un enchanteur pour donner un "je ne sais quoi" à l'arme.

Un silence de mort s'installe dans le magasin, et je le rompt rapidement en rigolant. Tout cette querelle pour apprendre que la lame existe en plusieurs exemplaires ? Je ne peux me rendre compte de la débilité de la situation. Je tend la dague que j'ai dans les mains à l'inconnu, dans un grand sourire.

-  Et bien tenez ! Je vous la donne vo-lon-tier !

Je ne vais tout de même pas continuer à me battre pour une arme non unique, non ?

Sur son monde d’origine, une telle créature aurait eu à endurer d’incroyables souffrances et de profonds tourments entre les mains d’Eylohr. Pour son impudence, pour son existence, et tout simplement à cause des pulsions du Roi Tyran, Emina aurait eu à en passer pour les armes. Torturée, souillée, utilisée, il n’existe pas assez de mots dans toutes les langues de tous les mondes de tous les univers pour décrire ce qu’Enima aurait eu à subir. Bien qu’il n’ait jamais été très porté sur la chose, le chaos demandait parfois la libération de certaines pulsions charnelles.

Jusqu’à-ce qu’une voix différente, une voix d’homme, n’entre dans la danse. C’était le gérant et, apparemment… Il existait tout un lot de ces créations-là. Pour une des premières et rares fois de sa vie, Eylohr fut stupéfait. Le cloporte et lui tenaient cette dague entre leurs griffes, demeuraient proches, et ne bougeaient absolument pas, posant des yeux curieux et des regards étonnés sur ce que l’homme ramenait entre ses mains : une seconde dague.

Prit d’un dégoût prononcé, révulsé par la nouvelle de savoir que tout ceci était né non pas de l’ombre, d’une forme de chaos, mais d’une participation bienveillante et clairvoyante, Eylohr lâcha immédiatement son emprise sur la lame, et darda un regard ô combien empli de colère sur le gérant au sourire béta.

Le rire du cloporte retentit, et la situation prend une seconde tournure nauséeuse lorsqu’Eylohr s’en rend compte. Son être tout entier transpire la colère et la frustration. Ainsi donc, tout ceci s’était déroulé autour d’une dague qui ne correspondait en réalité ni aux attentes du Sombre, ni aux critères de ce dernier. A peu de choses près, ils purent se battre, anéantir toute sorte de vie autour d’eux, pour l’obtention d’une arme qui, en réalité, ne méritait absolument aucun effort ni aucun sacrifice. Remarquez, tuer aurait été une consolation suffisante pour le Sombre qui, au final, n’avait ni pu la souiller, ni la tuer, ni anéantir aucune autre forme de vie alentour. Décidément, cette journée était une journée de merde.

Alors qu’elle tend la dague et qu’elle annonce, l’air narquois, qu’elle était à la disposition du Sombre avec la bénédiction du cafard, Eylohr s’éloigne d’un pas. Son faciès pâle arbore le masque de la colère sourde et violente, mais il offre un sourire carnassier.

« Gardez-là. Une lame faussement obscure née de la dégoûtante bienveillance artisanale. C’est à gerber. » Dit-il, sifflant entre ses dents, s’éloignant encore d’un pas. « Finalement, il semblerait qu’elle vous aille comme un gant. »

S’il le pouvait, il vomirait tout son dégoût, toute sa révulsion, toute sa frustration, toute sa déception, sur ces ignobles créatures répugnantes et aux existences pathétiques.

Frustration, abattement. Je ne saurais trop mettre de mot sur l'expression qui se peint sur le visage de l'inconnu. Mais faut-il encore l'appeler "inconnu" ? En même temps, je ne connais pas son nom, il me serait difficile de l'appeler autrement. Le ténébreux, l'impétueux, l'insolant, l'arrogant... le nom d'inconnu suffira pour l'instant.

Un pas en arrière pour lui. Pour moi également, le fait d'apprendre que cette magnifique lame n'est pas unique me fait un peu mal au coeur, mais voir qu'elle est le fruit de la combinaison de plusieurs artisans locaux est quelque chose de très jolie. Cela montre une certaine relation entre les marchands à Portalia, qui me rappelle un peu celle de chez moi.

Nous ne vivions pas proche d'autres auberges du même genre, mais il y avait un producteur de viande à quelques kilomètres, qui était notre revendeur préféré. Ces produits étaient toujours de très bonne qualité, et il nous faisait toujours un prix quand ma soeur se joignait à nous. Il va s'en dire qu'elle venait fréquemment, non pas pour déplaire au vieil homme. Il venait quelque fois à l'auberge pour passer la nuit en bonne compagnie.

Un pas en avant pour moi. Pourquoi. Pourquoi est-ce que je ne veux pas le laisser tomber, lui dire que c'est tant pis pour lui, que je ne vais pas me priver de remplacer cette vieille lame dans mon dos par une toute neuve ? J'avais un poids dans la poitrine, qui devenait de plus en plus lourd à chacune des pics de l'inconnu. A croire qu'elle me faisait du bien, d'une certaine manière.

- Une lame en plusieurs exemplaires ne vous intéresse donc pas ? Vous voulez que la vôtre soit unique ? Maniable seulement par vos mains expertes et expérimentées ?

En soit, rien de vraiment dérangeant dans ces propos. Moi également, je rêverai d'avoir une arme unique, que je suis la seule à posséder. Mais ne nous arrêtons pas sur les propos au premier degré.

La proximité de nouveau de mise, ma jambe droite passe entre les deux siennes, sans le toucher. Le poids dans ma poitrine se fait encore un peu plus lourd, comme s'il demandait plus, toujours plus. Un raclement de gorge vient me sortir de cette situation.

- Bon, v'la prenais, ou bien ?