Chap. X : Une main tendue [Lily] (Abandonné)

- Bien sûr, ça sera un plaisir de la rencontrer.

Je m'incline légèrement avant de sortir de la pièce. Pour parer à mon manque de connaissance de mon nouveau monde et des faits passés, l'église m'a donné l'opportunité d'en apprendre d'avantage auprès d'une fidèle qui est là depuis de très nombreuses années. Dénommée Lily, elle sera connue à Portalia pour être une croyante très puissante, mais dont la foi s'ébranle à certains moments.

Pour autant, personne ne sait où la trouver. Certains parlent de salles cachées dans la cathédrale, d'autres de coin de verdure où la jeune femme aime se balader et flâner une fois la nuit tombée. Pour autant, j'ai l'espoir de la trouver à un croisement de l'église, même si je ne sais pas à quoi elle peut ressembler. Je l'imagine grande, avec une prestance égale à son imposant pouvoir. Un bandeau sur un oeil, des cicatrices zébrant son corps, signes résiduels de ces nombreux combats épiques.

Marchant sans but dans la cathédrale, je regarde à droit et à gauche, fixant les personnes que je croise. Non, ça ne peut décidément pas être eux. Il manque de quelque chose, mais je ne saurais quoi dire. Leur essence, peut-être ? Ou même juste leur façon de marcher, qui ne reflète en rien lui gloire.

L'Eglise de l'Ordre est grande, comptant de nombreux étages et recoins. La trouver semble beaucoup plus compliqué que prévus. Le soleil est haut dans le ciel que je peux apercevoir à travers les grandes fenêtres. C'est le signe que l'heure du repas doit bientôt arriver. Aurais-je l'opportunité de la rencontrer quand elle part déjeuner ? Non, bien sur que non. C'est l'heure où se regroupe le plus de fidèles. Déjà qu'il m'est difficile de la rencontrer dans des couloirs déserts, je n'ose réfléchir aux possibilités de la croiser à un moment pareille.

Je finis donc par me rendre à l'évidence qu'il me faudra plus de temps que prévus, et décide d'aller manger quelque chose avant de reprendre les recherches. A un croisement, j'évite de justesse une enfant qui court dans ma direction sans m'apercevoir. Ce mouvement brusque m'a peut-être permis de l'éviter elle, mais pas la jeune femme que je percute de l'épaule droite. Je me remets rapidement sur mes pieds.

- Excusez-moi ! Tout va bien pour vous ?

La femme, à la longue chevelure rose, ne fait pas partie de mes quelques connaissances de l'église. Il faut dire que le peu de temps que j'ai passé ici ne m'a permis de rencontre qu'une dizaine de personne, la moitié appartenant principalement à la deuxième division de l'Ordre. Mes yeux se posent finalement dans les siens, et j'ai dû mal à casser le contact. Ils sont vraiment hypnotisant...

- Veuillez m'excuser une nouvelle fois, j'espère ne pas vous avoir fait mal. Je suis Emina, une nouvelle arrivante.

Emina hein… N’est ce pas celle qui vient d’arriver dans ce monde , qu’ils ont réussi à endoctriner pour qu’elle rejoigne l’Eglise et a qui ils m’ont demandé de lui apprendre un peu plus de chose sur la vie et l’histoire de Portalia ?

Si, je crois bien que c’est cela. Et tandis que je me redresse après qu’elle m’ait bousculée, je prends le temps de la dévisager, mettant ma main sur mon menton, pensive. Non mais franchement, que devrais-je lui dire ? Comment devrais-je l’accueillir ? En faisant comme tous les autres membres de l’église et lui rappelant oh combien la tâche de l’ordre est importante ?
Ou en étant réaliste, et lui avouant simplement que la voilà prise au piège dans un monde insipide…

Dur choix. Mais je suppose qu’avant cela, je devrai peut être tenter de savoir dans quelle état d’esprit elle se trouve ?

- Ce n’est rien, ne t’en fait pas. Et je suis Lily, tu me cherchais non ?

Non pas que je me sois cachée, mais je l’ai vu plusieurs fois passer dans la salle où je m’étais installée pour méditer et attendre que ne temps passe… et je l’ai vu passer plusieurs fois en dévisageant toutes les personnes aux alentours.
Est ce que je savais que c’était celle que je devais recevoir ? Disons que je m’en doutais, mais que la solitude me convenait.

- Donc maintenant que les obligations nous rattrapent… que préfères tu ? Marcher dans la cathédrale ? Ou aller s’installer dans un bureau pour discuter ? Les deux sont faisables.

Je ne sais pas encore si je peux lui faire confiance, ou plutôt « où en est sa confiance en l’église et l’ordre ? ». Aussi, je préfère ne pas en dire plus pour aiguiller son choix. Même si personnellement, je choisirai de marcher jusqu’au toit de la cathédrale pour profiter de la vue sur la ville et s’assurer qu’on est loin de toute oreille indiscrète…
Même si bon, les prêtres sont clairement au courant de mes opinions de plus en plus divergeantes par rapport à celle de l’ordre. Pour autant, je ne suis pas non plus d’accord avec les Dark Souls.

Non… moi je suis juste une pauvre ancienne légende blessée dans son orgueil et complètement paumée…

Je ne pensais décidément pas la croiser comme cela, à un croisement mal orienté, et à la bousculer. Je rougis brièvement quand elle se présente. C'est donc elle, la grande et puissante Lily ? Bizarre. Je la pensais bien moins...conservé. Mais comprenez moi : je m'imaginais tomber sur une colossale bête qui n'avais de femme que son sexe. Et je me retrouve face à face avec une créature beaucoup plus agréable pour l'oeil. Même si façon de parler ne reflète pas les difficultés passés de sa vie.

- Oui ! On m'a demandé de passer la journée à tes côtés pour m'apprendre tout ce que je ne sais pas encore.

Et une journée pour parer à des millénaires de vie, voilà donc une mission fort compliquée. Bien sûr, je n'ai pas besoin de savoir ce que Roger le forgeron à manger au 289ème de sa 46 années, simplement les grandes lignes qui expliquent la situation dans laquelle nous nous trouvons. Qui sont donc ces rois du Chaos ? Pourquoi ne pas pouvoir vivre ensemble dans le calme et la tranquillité ? Et surtout, pourquoi nous ne pouvons pas retourner dans notre monde, là où toute notre famille nous attend, nous pleurant jour après jour. Je n'ose imaginer les personnes emprisonner ici depuis des siècles, sans nouvelle de leur entourage, sans aucune solution pour les retrouver.

- Si cela ne te dérange pas, je préférerai marcher.

Rester statique dans une pièce, à écouter encore et encore, sans pouvoir profiter de la magnifique météo et du gazouillis des oiseaux...J'ai vécu toute ma vie dans la forêt, entourée de verdure, de rivières chantantes et de mélodies animales. Je ne peux décidément pas imaginer un seul jour de mon existence loin de tout cela. Et puis surtout, je n'ai pas encore eu l'opportunité de visiter toutes les salles que compose la grande cathédrale. Et qui sait ? Peut-être que Lily connait des endroits cachés, où je pourrais me relaxer avec un bon livre et une tasse de thé.

Nous commençons donc notre voyage en reprenant mon chemin inverse. Connaissant l'endroit, j'en profite pour ouvrir la conversation. Je ne sais pas si la jeune femme aime parler, mais au moins, j'aurai ma réponse rapidement.

- Pourrais-tu m'expliquer le commencement de tout ça ? J'essaierai de ne pas poser trop de questions.

Commencer de but en blanc par "qu'est-ce qu'il t'es arrivé ?" n'est pas forcément des plus réjouissants. Oui, bien sur, je mords d'envie de l'entendre me conter ces aventures, ces exploits et ces défaites. Mais finalement, je ne la connais que par des on dit, et je suis sur que les principaux d'entre eux sont complètements faux.

- On m'a simplement expliquer que nous étions appelé pour combattre le Chaos. Mais pourquoi existe-t-il ?

On m'a également fait par de la grande quête, mais je la connais sur les bouts des doigts, et j'y crois dure comme fer. Je veux rentrer chez moi, coute que coute, et je ferrai tout pour que moi et tous les autres croyants et fidèles puissent le faire également.

- "Elu, vous allez découvrir un monde de créatures et de magies.
Le Chaos l'a envahi et vous vous devez de lui reprendre.
Pour cela, vous devrez combattre et terrasser moultes créatures.
Au bout de ce chemin, se trouve 7 rois que vous devrez terrasser afin que le chaos reconnaisse sa défaite."

Cette phrase, tu as du l'entendre au moment de ton invocation dans ce monde, comme tous les gens qui se sont retrouvés arraché de leur univers pour atterrir ici... Elle représente la base de nos connaissances, et du but de tout être vivant dans ce monde.

D'un pas assez vif sans pour autant être pressé, je conduis la demoiselle dans les couloirs de la cathédrale, plutôt satisfaite de son choix de nous déplacer. Mon idée est simple : l'emmener dans le clocher ou nous auront la meilleure vu de la ville et de ses frontières.

- Ces paroles nous viennent de l'Ordre. Une entité capable de traverser les différents univers et affrontant sans relâche le Chaos. L'histoire de leur combat remonde à plusieurs milliers d'année, si ce n'est plus... Alors que le notre à Portalia ne date que de deux milles ans...

Nous montons les marches de pierre tout en croisant quelques autres prêtres et croyant sur notre chemin. Mais je les ignore, comme à mon habitude, ne tenant pas plus que ça à m'attirer la sympathie de mes collègues qui ne le sont devenus que par dépit. Et ce n'est qu'une fois au sommet que regarde le paysage qui s'étend à des lieux devant nous tout en faisant un grand signe de main pour le présenter à la nouvelle.

- Voici le monde qui a été choisi pour accueillir m'ultime guerre entre l'Ordre et le Chaos. Un monde où le chaos avait détruit le seul peuple qui y vivait, et qui accueille aujourd'hui des gens de tous les univers pour le combattre. Nous, invoqués et descendants d'invoqués, sommes les champions de l'Ordre. Alors que les créatures qui vivent en dehors de nos frontières sont les soldats du Chaos.
Pendant leur guerre millénaires, ils ont détruit bon nombre de monde, c'est pour cela qu'ils ont choisi d'un commun accord de rester sur ce "terrain" devenu neutre grâce à l'intervention du chaos. Bref, tu l'auras donc compris, nous ne sommes que des pions dans un combat qui nous dépasse et où nous n'avons pas l'ombre d'une chance...

Moi, fataliste ? Un peu... Mais autant qu'elle se fasse immédiatement à l'idée qu'on ne réussira jamais à rien. Elle gagnera du temps et de l'énergie.

Je la suis pas à pas, à une certaines distance tout de même derrière elle, et écoute sagement ces paroles. Bien évidemment que j'avais entendu les paroles divines de l'Ordre, mais il est vrai que j'aurai pensée qu'elle en savait un peu plus que ce qu'on nous raconte quand on arrive ici... N'est-elle pas sensée être ici depuis des centaines et des centaines d'années ? Connaître tous les coins et recoins que comte la ville ? J'ai peut-être mal compris les propos de l'ordre, ou ce n'est pas la personne que je recherchais.

nous croisons plusieurs prêtres pendant notre ballade, et nombre d'ente eux la regarde passer d'une mauvais oeil. Pour ce qui est dû fait de mettre tromper de personne, je ne pense pas : il s'agit belle et bien de Lily, cette femme légendaire qui ne sait pas où elle en est. Toutefois, je me suis attardée sur le fait qu'elle ne semblait pas déranger par ces regards au coin, ni part ces messes basse sur son passage. A croire qu'elle est dans cette situation depuis bien longtemps, et qu'elle a apprit à s'en défaire.

Nous continuons notre ascension. Je ne me suis jamais aventurée aussi haut dans la cathédrale, les salles qui sont destinées à la deuxième division sont beaucoup...souterraines, et labyrinthiques. Et alors que nous continuons toujours plus à grimper, je sens une bourrasque de vent venir perturber l'harmonie fébrile de mes cheveux brossés. Pour ne pas en prendre dans les yeux, je ferme l'oeil gauche, et positionne ma main en barrière plus que grotesque. C'est seulement complètement à la merci de la météo, là haut, dans une des tours du splendide bâtiment, que je peux enfin apprécier ce nouveau monde.

Des étendues sauvages à perte de vue, des oiseaux magnifiques volants haut dans le ciel. Il manquerait plus qu'un magnifique couchée de soleil pour me rappeler la vue que j'avais de chez moi, entouré de forêt luxuriante et de créature tout aussi belles.

Si je me souviens bien de mes maigres heures de géographie, à l'ouest se trouve trois îles : celle de la mort, l'archipel des îles perdues, et, la plus grosse d'entre elle, l'île préhistorique. Leur nom n'est pas des plus flatteurs, mais cela ne fait aucun doute sur ce qu'on peut y trouver. Si, seulement pour l'île préhistorique. L'île d'avant l'histoire ? Mais l'histoire de qui ? Est-ce possible que des créatures d'autres mondes aient pu arriver ici, ou est-ce seulement des habitants d'avant les invoqués ? Je ne devrais pas me poser ce genre de question, il est sûr que la plupart des prêtres ici n'en connaissent pas la réponse.

Je me tourne pour regarder de l'autre côté, à l'ouest. Avec ma mémoire d'image la plus primaire, j'essaye de me souvenir de ce qu'il y avait de dessiner sur les cartes de la bibliothèques. De grandes plaines, je me souviens que c'était assez désertique. Et puis une immensité de sable, et enfin des montagnes enneigées. La diversité des paysages ici était tout simplement incroyable. Tellement de nouvelles terres à connaître, à apprendre. De nouvelles manières de vivre aussi....

Des cris me font baisser les yeux sur la ville de Portalia. De la haut, tous les habitants, tous les bâtiments, tout est visible. On peut discerner les passants, dans les rues, faisant leur achats. Là, sur la gauche : un homme tend des prospectus. Et là bas, sur la droite, dans un des parcs de la ville, deux enfants qui se courent après sous leurs attentifs de leurs parents.  

Mais même si toute cette nouveauté pouvait plaire à beaucoup d'invoqué, pour ma part, cela ne renfort qu'encore plus mon besoin de retourner auprès des miens. Je n'ai jamais aimé le changement, préférant une routine bien installée que de devoir vivre au jour le jour. Je veux retrouver mon trajet quotidien entre mon domicile et mon lieu de travail, revoir mes amis de longue date, boire une tisane bouillante avec eux, en partageant les aventures de la journée. Aventures qui n'existent pas pour moi, bien évidemment. Enfin, pour moi, non. Mais pour eux...dire que j'ai fait peur à une bande de tueur de monstre, expliquer la traque des voleurs, ou bien encore l'assassinat d'un vil homme. Ça, ce sont des choses classique pour moi, qui ne devraient pas être appelées "aventure". Mais pour d'autres...

- C'est magnifique...

C'est bien les seuls mots qui me viennent à l'esprit pour décrire ce lieu. Calme et reposant, on pourrait y rester pendant des heures et des heures, sans se rendre compte qu'il est déjà l'heure de partir. Je n'ai nulle mal à m'imaginer me perdre dans la contemplation des paysages, essayant d'enregistrer toutes les variations de terrains, les montagnes ou les creux. C'est un magnifique point d'observation, cela ne fait pas de doute.

- Je ne pense pas que cela soit un combat perdu d'avance...

Je me tourne vers Lily pour la regarder dans les yeux. J'accepte peut être facilement mon sort quand la situation n'exige plus de choix de ma part, mais je reste tout de même la personne qui voit toujours le verre à moitié plein.

- Au contraire, je suis sûr que tout le monde a ces chances de gagner, et qu'il faut simplement se donner les moyens de réussir.


Se donner les moyens...C'est ce que j'essaye de faire chaque jours depuis que je suis arrivée ici. Repartir chez moi, revoir tout le monde et retrouver mes lieux connus et mes routines si chers. oui, je ferai tout et n'importe quoi pour retrouver cette tranquillité d'esprit là.

En même temps qu'elle, je me laisse bercer dans la contemplation du paysage qui s'étale à nos pieds. Quoi de mieux pour apprendre à connaitre ce nouveau monde que de pouvoir le regarder du poids le plus haut ? Personnellement, je ne vois rien d'autre, d'autant plus qu'il n'y a que peu de relief dans la région... Dire que dans mon ancien monde, je vivais dans les montagnes... Cela me manque toujours, même après huit cent ans. Et tandis que je me perds dans la nature au delà de Portalia, je ne reporte mon attention sur elle que lorsqu'elle parle de chance...

"Tout le monde a ses chances de gagner" hein ? Je fronce les sourcils en la dévisageant. Franchement, cette phrase me fait mal, mais je ne peux pas vraiment lui en tenir rigueur... Après tout, je l'ai moi même pensée lorsque je suis arrivée dans ce monde, et je me suis même donnée toutes les chances de réussir.
Sauf que ce fut totalement vain.


- C'est aussi ce que je pensais au début.

Une nouvelle fois, mon regard se perd dans le paysage, plus triste cependant. Tous ces lieux, je les ai tant parcourus au cours de mes missions... Combien de monstres ai-je tué sur ces plaines ? Et dans ce désert ? Combien de mes camarades j'ai vu tomber au combat pour les retrouver quelques jours plus tard à Portalia, affaibli par leur défaite ? Combien d'heures, de jours, d'années même ! Ai-je passée dans la salle d'entrainement à parfaire la maitrise de mon pouvoir et de mon corps ? Je ne pourrais tenir tous ces comptes tellement ils sont élevés. Et tout ça pour quoi ?

Pour me retrouver là, faible, plus que je ne l'étais en arrivant dans ce monde, et sans le moindre souvenir de ma défaite... Alors oui, cette défaite ne me permet même pas d'apprendre de mes erreurs. D'entrevoir une possibilité de faire autrement...
Non, toutes ces années d'efforts ont été totalement vaines.

- Pendant plus de sept cent ans j'ai tout fait pour faire tomber le chaos. Tout. Les gens comptaient sur moi, je comptais sur moi à défaut de trouver quelqu'un d'autre car mon but a toujours été de rentrer chez moi. Mais même sept cent ans d'entrainement et de victoire n'ont rien pu faire lorsqu'enfin un des sept ennemis est apparus à moi.

Oui, j'ai essayé, vraiment. Mais rien n'y a fait. Et cette fois mes yeux fixent mes mains posées sur le rebord de pierre.

- Ce que tu penses, je l'ai pensé et appliqué plus que personne. Si tu tiens quand même à t'engager dans cette voie, libre à toi. Mais je parle d'expérience : tu ne risques que d'alimenter tes espoirs pour les voir se briser dans des centaines d'années. Et ça fait mal. Alors si je peux t'offrir un conseil : garde une part de pragmatisme. Et commence à t'habituer à cette nouvelle existence qui risque de devenir la seule que tu auras jusqu'à la fin.

Même si ça fait vraiment mal.

Je me rapproche de Lily du rebord, tout en gardant une distance pour ne pas que nos épaules se touchent. Je regarde dans la même direction qu'elle, essaye d'atteindre le même but. Mais mon regard s porte plus loin. Le sien à l'air lasse de tout ce paysage, de tous ces monstres à combattre et lasse de garder espoir de revoir un jour son monde. Si j'avais passé autant de temps qu'elle a combattre des monstres sans fin dans l'espoir de tomber sur un des rois du Chaos, et de revoir tout ce temps réinitialiser en quelques minutes seulement... Oui, je pense que je serais dans le même état, qu'importe mon envie de revoir ma famille.

-  Tu n'as peut-être pas trouvé les bons coéquipiers. Se reposer sur d'autres personnes aussi forte que toi, qui peuvent t'épauler et combattre à tes côtés. Tu es parties seule, c'est peut-être ça qui t'as fait défaut.

J'ai beau dire ça, à Nuire, je ne combattais jamais en groupe. Qui aurait bien pu être à mes côtés ? Ma jeune soeur ? Mettre sa vie en danger juste pour ne pas sentir la solitude, bien sûr que non. Un ami ? Ma famille me suffit très bien, pas besoin de donner sa confiance et son temps à quelqu'un d'autre, surtout s'il n'est pas reconnaissant à la fin.

Mais les monstres que j'ai pu affronter là-bas ne sont pas les même qu'il faut combattre ici. Ceux-ci sont différents, plus forts, plus démoniaques. Ils n'hésiteront pas à user des plus vils stratagèmes pour remporter la victoire, si ont pu véritablement l'appeler comme ça.

-  Je préfère toute fois garder espoir, me dire que je vais pouvoir les revoir rapidement. Ta famille, tes proches ne te manquent pas ? Revoir leur sourire, partager de nouveau le repas avec eux.

Je laisse un petit moment de flottement pour continuer à regarder les horizons. Oui, revoir tout le monde : ma mère, ma soeur, les habitués...

-  Être pragmatique, oui, mais pas pour ça. Crois moi, je ferai tout ce qu'il faudra pour revoir tous mes proches. Et je ferai également tout pour que tout le monde puisse revivre dans leur monde.

Ouvrir la conversation sur comment est son monde pourrait être intéressant, mais je préfère qu'elle parle d'elle même plutôt que de lui forcer la main. Après autant de temps passé sur Portalia, est-ce qu'elle se souviens, même un peu, de ce qu'elle faisait avant ? Ne se demande-t-elle pas ce que sont devenus ses proches ? Sont-ils morts ? Ou est-ce que le temps s'arrête pendant son absence, et elle reviendra au moment même où elle est partie ?

Je continue à regarder les environs, toujours émerveillée par tant de beautée.

- Pourquoi crois-tu que je suis devenue une légende ?

La grande Lily. Celle qui était en haut du classement, celle qui pouvait abattre les plus gros monstres seule, celle qui portaient les espoirs de tout Portalia. J'étais cette femme, mais elle a été vaincue. Et aujourd'hui, je suis encore avant la case départ d'où j'étais partie la première fois. Alors comment ne pas désespérer ?
Et pourtant, ça fait toujours aussi mal. Le simple fait qu'elle parle de ma famille et de mon monde me serre le cœur au point de faire briller mes yeux. Ma sœur... Ayane... Jamais... Jamais je ne la reverrai... Et cette simple idée me tue et fini de faire rouler une larme sur ma joue.

- De tous, j'étais sans aucun doute celle qui voulait le plus rentrer chez elle. Qui a tout sacrifié dans ce simple but. Ce monde, je le hais tellement. Si je le pouvais, j'irai moi même arracher la tête de l'Ordre et du Chaos pour leur faire payer de nous imposer leurs querelles dont on se contrefout en fait ! J'ai jamais demandé à être là, jamais demandé à être arrachée à mon monde ! Je l'aimais, moi, ce monde où je vivais, où j'aidais ma sœur à protéger notre pays, où nous étions heureuse, vraiment heureuse !
Une fois. On ne s'est pris la tête qu'une seule fois, et c'est cette fois là que l'Ordre a choisi pour m'arracher à elle il y a huit cent vingt cinq ans. Et depuis, je n'ai aucune nouvelle d'elle. Aucune nouvelle de mon monde. Je ne sais même pas comment le temps s'écoule ici, et si nous revenons, est-ce que tout aura changé ? Est ce que eux aussi auront vécu ces huit cent vingt cinq années tout comme je les ai vécu ? Mais alors, seront-ils encore en vie ? Comment savoir alors que nous sommes coincées dans cette foutue guerre qui ne nous concerne en rien ! Et où nous n'avons pas la moindre chance !

Franchement je ne sais pas où l'Ordre tire ses héros censé la défendre, mais il ne doit clairement pas avoir la même échelle de puissance que le Chaos. Les rois sont clairement d'une puissance démesurée, c'est à se demander pourquoi ils ne viennent pas directement mettre un terme à toute cette comédie, qu'on en finisse une bonne fois pour toute. Sans doute parce que ça l'amuse ? Probablement, après tout, c'est le Chaos et il doit adorer pouvoir voir les petits insectes que nous sommes essayer vainement de l'atteindre sans aucune chance de réussite.

C'est tellement rageant.

- Et détrompe toi, j'étais accompagnés des meilleurs aventuriers, sauf que je suis la seule à avoir survécu jusqu'à la fin. Ou plutôt, jusqu'à rencontrer ce fameux roi, si tant est que je l'ai vraiment rencontrer...

Au final, je ne peux même pas en être sûre... Mais j'ose espéré que ce n'était pas moins d'un roi pour pouvoir me voler à ce point toute ma puissance et me renvoyer à Portalia plus faible que jamais et sans le moindre souvenir... Si c'est pas le cas, c'est qu'on est encore plus dans la merde que je ne l'imagine. Ce qui parait franchement difficile vu ce que je pense de notre situation.

Je ne sais pas quoi dire. La réconforter ? Ce n'est clairement pas moi, avec mes petites connaissances des combats, du Chaos et de Portalia, qui vais pouvoir faire quelque chose. Lui dire que je suis du même avis ? En même temps, après avoir vécu son passé, je ne suis pas certaine que je tiendrais le même dialogue que maintenant. Alors que faire ?

Je laisse un long moment de silence, simplement interrompu par le vent s'engouffrant dans la tour ouverte. Cela va faire bientôt une trentaine de minutes que nous sommes là. La température n'est pourtant pas si basse que cela, mais la combinaison avec la baisse progressive du soleil et le vent fait que je commence doucement à frissonner.

- Je ne pourrais, je pense, jamais affronter la multitude de combat et de guerre que tu as fait, que tu as mené à la victoire ou à la défaite. Je ne pourrais donc jamais comprendre parfaitement ta nouvelle philosophie de vie. Mais je me pose les mêmes questions, tout le temps.

Pour accompagner mes paroles, je sors de ma veste un petit carnet à la couverture en cuire marron. J'ouvre sur une page complètement noirci. On peut y lire les questions que Lily venait de se poser, mais également quelques mots que j'aimerai plus que tout pouvoir dire à ma mère ou à ma soeur. Certains dessins s'y trouvent également : ma chambre, l'auberge, les environs recouverts d'arbres et de végétation. Je ne suis pas une artiste, les croquis sont très hideux, et les personnages que j'ai essayé de faire ressemble plus à des bonhommes bâtons qu'à autres choses, mais cela me fais extrêmement de bien. Faire fonctionner mes souvenirs visuels, olfactifs. Me souvenir de la chaleur de la salle de l'auberge, bercer par le crépitement du feu.

- En à peine quelques mois, j'ai déjà deux carnets comme celui-là complètement remplie de mes interrogations, de mes souvenirs, de mes dessins. Un jour, j'aimerai pouvoir avoir toutes ces réponses, comme toi. Mais on dirait que personne ne pourrait vraiment y répondre.

Oui, et c'est bien cela qui est le plus triste. D'autres questions me viennent naturellement à l'esprit. Depuis combien de temps Portalia kidnappe des personnes de leur monde ? Combien de monde en tout ? Pour combien de temps ? Y a-t-il déjà des personnes qui ont réussi à retourner chez eux ?

- J'aimerai trouver quelqu'un qui pourrait répondre ne serait-ce qu'à une infime partie de mes questions. Pourrais-tu m'aider ?