La Drow et la Dragonne. (Abandonné)

À mesure que le temps passe, tu fais à ta nouvelle vie à Portalia. Perdre ton grade aura été un coup dur dans les premiers temps. Si tu étais considérée comme une princesse à Drakenmarg, ici il n’en est rien ; ici, tu ne peux compter que sur tes compétences afin de t’élever au sein de la hiérarchie sociale. Tout ceci ne saurait ébranler ta confiance ni même étancher ton ambition. Tu t’es résolue à cette situation et plutôt que de te complaindre sur ton état, tu as choisi de faire tes preuves, quitte à devoir prendre ton mal en patience.

Hormis cet aspect négatif pour ta personne, tu te surprends à apprécier Portalia, sa liberté, sa diversité et ses connaissances associées. Même toi, tu ne peux éternellement fermer ton esprit face à tant de nouveautés. Si tu arbores toujours fièrement tes origines, tu commences à te demander si ce monde n’aurait pas des choses à apporter au tien. Tu demeures en outre surprise de constater à quel point les portaliens sont moins belliqueux que les gens de ton monde. Les guerres de clans sont inexistantes ici, mais une menace plus grande encore plane dans les environs : celle du chaos.

Si tu n’es guère en accord avec les méthodes de l’Église pour contrer cette menace – à savoir, embarquer des aventuriers dans la quête contre leur volonté –, tu trouves ta place à la guilde. La rejoindre te fais te sentir utile, à garantir ainsi la paix à Portalia, à guider les aventuriers tout juste arrivés. Lorsque tu n’y travailles pas, tu pars en mission et affrontes des créatures démoniaques. Le chemin est bien long pour toi à parcourir, mais tu ne te laisses pas ronger par la rancune d’être arrivée ici par mégarde ; tu vas de l’avant. Si tu es convaincue de te battre pour une noble cause, tu es également animée par un désir plus égoïste : les éblouir tous, leur prouver que tu n’es pas n’importe-qui.

Il en découle qu’obnubilée comme tu es par la quête de l’ordre, tu as à peine fait attention à ton promis ces derniers temps. S’il en avait été autrement, tu aurais porté plus grande attention à sa nervosité inhabituelle et sans doute découvert l’affaire qui se trame dans ton dos. Vous vous voyez encore régulièrement lors des missions mais tes visites se sont espacées en comparaison avec les premiers jours. Aujourd’hui encore, il n’est pas avec toi. Tu n’es pas venue le chercher pour ta promenade en ville ; tu ne viens jamais le chercher pour loisirs et divertissements, seulement lorsque tu as besoin de lui. Êtes-vous seulement un couple ? Si tu as promis à Harmonie de faire des efforts, de mieux le traiter, tu as encore beaucoup de choses à apprendre sur la vie en général.

Ta ronde habituelle finie, c’est vers le début d’après-midi que tu décides de faire une pause, le Valhalla Bar en vue. Ce n’est pas la première fois que tu viens ici et tu apprécies l’endroit tenu par la Familia Valkyrie Feather. Tu t’arrêtes un instant devant le bar avant de céder à la tentation. Tu rentres, longes les tables avant de te diriger vers la terrasse, moins bruyante. Ta quête d’une place libre se trouve fortement contrariée, semble-t-il que beaucoup ont eu la même idée que toi. Tu aperçois ce que tu penses être une elfe allongée sur un transat. Tu aurais préféré rester seule, mais n’ayant guère d’autres possibilités, tu t’approches d’elle.

« Bonjour, j’espère que cela ne vous ennuie pas si je me joins à vous ? » demandes-tu, « Une bière s’il vous plaît. » ajoutes-tu à l’intention de la serveuse passant par là.

Tu t’installes à ton tour, t’efforçant de te détendre en écoutant la musique. Au vu de ton tempérament, t’allonger ainsi près d’une inconnue n’est guère quelque chose d’anodin. Tu espères en outre ne pas importuner l’elfe noire. Tu sais que la moindre des choses est de te présenter et de lui faire au moins la conversation. Des propos que tu as retenus, tu sais qu’elfes et humains sont majoritaires à Portalia. Tu sais que tous ne viennent pas de ce monde et possèdent des origines diverses. Ta curiosité te pousse ainsi à te demander quelle est la situation de ton interlocutrice.

« Je m’appelle Freya Bloodjörn, je viens de Drakenmarg et travaille à la guilde. » te présentes-tu, « Êtes-vous une native ? »

Lorsque tu vois l’elfe se redresser et sa veste glisser, ton regard s’attarde sur le tatouage de son épaule droite. S’il t’est vaguement familier – tout du moins crois-tu l’avoir déjà aperçu depuis ton arrivée à Portalia –, tu n’arrives pas à te rappeler sa signification. Tu redresses bien vite les yeux pour regarder l’inconnue en face et ainsi ne pas paraître impolie. Cette dernière ne voit heureusement aucun inconvénient à ta présence, t’es-tu de toute manière déjà installée. Tu l’écoutes attentivement lorsqu’elle décline son identité. Tu retiens son nom, Oldeena Di’Viltaria, ainsi que son monde d’origine, Ombreterre. Tu serres les dents lorsqu’elle te dit qu’elle est ici depuis maintenant dix ans ; gardes-tu encore espoir de pouvoir retourner rapidement chez toi malgré tout.

« Ombreterre ? C’est bien la première fois que j’en entends parler. » avoues-tu.

Balayant de ton esprit l’information de sa longue présence dans ce monde, tu t’efforces de t’intéresser à ton interlocutrice, comme pour te changer les idées. Tu n’avais jamais vu d’elfe avant d’arriver à Portalia, tu n’as donc que plus rarement aperçu d’elfe à la peau sombre. Que ton interlocutrice vienne d’une ville souterraine est un détail qui attire ton attention, en déduis-tu que as plutôt affaire à une personne nocturne. Si tu as des questions à lui poser sur son monde, tu les gardes pour plus tard, devras-tu sans doute présenter le tien avant cela par politesse.
Tu ouvres grand les yeux, surprise qu’elle demande un tutoiement mutuel. Tu acquiesce, décontenancée à l’idée qu’une inconnue puisse tout de suite se mettre à l’aise avec toi. Tu essaies de faire de même, de te détendre dans ton transat, attendant d’être servie. Au moins es-tu chanceuse d’avoir une compagnie sympathique. Tu inclines la tête vers Oldeena, une question te brûlant la langue.

« Vous… » tu te reprends, « Que peux-tu me dire sur ta Familia, les Valkyrie Feather ? Je sais que vous détenez ce bar. Est-ce vrai que vous ne recrutez que des femmes dans vos rangs ? »

Chez toi, vous ne faites pas réellement la différence entre les hommes et les femmes, seul le grade attribué à la naissance étant important. Savoir qu’il en peut en être autrement ailleurs te paraît être une idée bien saugrenue que tu n’aurais pas conçue quelques temps plus tôt. Ce monde n’est en outre pas prêt de s’arrêter de te surprendre ; d’un autre côté, aimant les privilèges, voir les femmes bénéficier d’un traitement de faveur est une idée qui saurait te séduire. Tu as toutefois cru comprendre que les Valkyrie Feather servaient également de refuge pour celles qui auraient été maltraitées dans leur monde d’origine. Cette information en tête, tu te gardes donc bien de poser des questions directes sur les raisons qui ont poussé Oldeena à rejoindre la Familia, craignant sans aucun doute de réveiller un sujet sensible.

« Pour ma part, cela ne fait que quelques semaines que je suis arrivée à Portalia. » tu marques une pause, « Un accident tandis que j’étais partie à la recherche de quelqu’un. »

Si tu t’es efforcée de parler d’un ton léger, les traits de ton visage se sont légèrement crispés. Si tu es arrivée à accepter ta situation, une part de toi blâme encore Ryuusei pour ce qui t’es arrivé. Les conversations n’étant guère ton point fort, tu espères mettre ton interlocutrice dans de bonnes conditions en révélant des choses sur toi.

Tu écoutes patiemment le récit d’Oldeena, l’histoire de son monde d’origine et de sa Familia. Tu as l’étrange impression que grand nombre de personnes arrivées ici ne regrettent guère leur monde d’origine. Tu remarques en outre qu’un grand nombre d’entre eux s’accommode aisément au mode de vie portalien. Perdue dans tes pensées, tu vois à peine la serveuse venir avec les boissons, la remerciant tout juste au moment de son départ. Le regard dans le vague, tu continues d’écouter la Drow, le passage sur les invoqués attirant tout particulièrement ton attention. Tu te mets à guetter vainement toute trace de rancune dans sa voix, cela n’étant guère surprenant au vu du nombre d’années qu’elle a pu passer ici. Tu restes surprise que tant d’aventuriers acceptent leur sort si aisément, que si peu gardent une rancœur envers l’Église. Tu en viens à te demander si l’ordre ne fait pas exprès de choisir les invoqués parmi les déçus de leur monde d’origine, comme cela a pu être le cas de Ryuusei.

« Mais quel est le sens de tout ceci ? Aucun des sept rois n’est jamais tombé. Ne penses-tu pas que l’ordre devrait songer à revoir ses méthodes ou du moins sa manière de choisir les invoqués ? »

Tu pousses un soupir. Ce n’est pas pour te plaindre que tu dis cela, il s’agit simplement d’un constat réaliste. Pour toi, un grand nombre d’invoqués n’ont pas l’étoffe des héros. Tu ignores beaucoup de chose sur l’ordre, ses idées, ses méthodes. Pourtant, tu ne peux que constater le résultat ; n’est-il pas cruel, sinon dangereux de poursuivre l’invocation d’étrangers dont ils ne savent rien ? Tu sais que tous ne suivent pas la quête et que certains se contentent de vivre paisiblement à Portalia, mais que se passerait-il si certains se retournaient contre l’objectif initial ? Tant de questions pour lesquelles tu n’as aucune réponse pour le moment, la société portalienne étant plus complexe que ce à quoi tu aurais pu t’attendre, d’autant que ton interlocutrice te confirme que tout n’était pas tout roses lors des débuts. Tu redresses, prends une gorgée de bière, et gardes le verre à la main.

« J’espère que tu retrouveras ta sœur. » affirmes-tu, « Comment s’appelle-t-elle ? Peux-tu me la décrire ? Sait-on jamais, si un jour je tombe sur elle. »

Tu trouves les circonstances de la venue d’Oldeena bien cruelles, d’autant qu’elle a été séparée d’un être cher, elle aussi. Peut-être peux-tu l’aider, à ton échelle, mais tu es pessimiste. Tu gardes la réflexion pour toi, mais si ton interlocutrice n’a pas croisé sa sœur une seule fois en l’espace de dix ans, il est hautement improbable que tu tombes sur elle. Tu ne penses pas qu’Oldeena puisse être certaine que sa sœur ai réellement traversé le portail, et crains donc le pire quant à son sort.

« […] Et si tu as besoin d'aide, n'hésite pas à venir ici pour me contacter. Même si je ne suis pas présente, mes camarades me feront passer le message.
- C’est bien aimable. » réponds-tu, surprise.

Tu ne te serais pas attendue à une telle marque d’amicalité de la part d’une personne que tu viens de rencontrer. Tu en viens à te demander s’il s’agit d’un geste de solidarité de sa part car vous êtres toutes deux des femmes. Tu te remets à boire une gorgée, pensive. De ton côté, tu as plus de mal à t’ouvrir, surtout à une étrangère que tu viens à peine de rencontrer. Tu laisses planer un moment le silence, ne sachant pas très bien comment poursuivre la conversation. Tu te doutes bien que tu dois lui rendre la pareille en délivrant quelque chose sur toi. Tu n’as pourtant pas envie de parler de ton père, ni de ton promis. Tu comptes au moins présenter ton monde dans les grandes lignes.

« As-tu déjà entendu parler de Drakenmarg ou vu d’autres Drakenmayers avant moi ? »

Avant de commencer, c’est une information qui t’intéresserait tout particulièrement : connaît-elle d’autres Drakenmayers à Portalia ?

Tu retiens bien la description de Tiriel, au cas où tu la rencontrerais. En temps normal, tu ne ferais pas autant d’efforts pour quelqu’un d’autre. Peut-être commences-tu enfin à te soucier de la réciprocité des actions au fur et à mesure que tu t’adaptes à Portalia. Le changement est subtil, mais tu commences à devenir moins égocentrée qu’autrefois. Cela est fortement aidé par la sympathie de ton interlocutrice. Oldeena a fait preuve d’amicalité à ton égard alors qu’elle ne te connaît même pas. Pareil comportement t’es inconnu, pour toi qui viens d’un monde où l’on ne jure que par la  force et la brutalité. Tu arrives en outre à te détendre en compagnie de l’elfe noire. Les vieux réflexes ayant la vie dure, une part de toi ne peut toutefois s’empêcher de se méfier ; tu t’attendrais presque à ce que l’on te demande quelque chose en retour. Toujours est-il que tu te recentres sur la conversation, bien intéressée par les propos de la Drow.

« Tu as de la chance, mes capacités ont fortement diminué depuis que je suis arrivée à Portalia. Autrefois je menais des bataillons, maintenant je peux me faire écraser par un monstre. » tu marques une pause, « Sait-on seulement à quoi cela est dû ? »

Si tu es venue ici suite à un incident et que tu n’as pas été invoquée comme les autres, tu as entendu des témoignages similaires sur l’arrivée des aventuriers. Une voix qui appelle à une quête pour combattre les sept rois, et une puissance revue à la baisse. L’essence n’existant même pas dans ton monde, tu te poses des questions sur l’origine de cette dernière. Mais peut-être cela est-il également trop poussé pour ton interlocutrice ; dans le cas où elle aurait la réponse, tu serais toute ouïe.

Comme le souligne si bien Oldeena, certains se trouvent trop choqués par ce changement de monde pour participer au combat. Tu ne peux que comprendre leur état, bien que tu ne te sois pas laissé abattre. Tu es en outre parfaitement consciente qu’entre ceux qui se trouvent trop déprimés pour combattre et ceux qui préfèrent vivre durablement à Portalia sans suivre la quête, cette dernière aurait des difficultés à être accomplie. Tu comprends donc le positionnement de l’Eglise bien que tu ne le partages pas ; pour toi, il est évident que des personnes tirées au combat de force ne feront pas de bons éléments, elles doivent donc avoir le choix. D’autre part, tu es soulagée de voir enfin quelqu’un analyser la situation d’un point de vue militaire et pragmatique.

De ton côté, plus Oldeena te parle, plus tu la trouves enrichissante. Si tu es étonnée du fonctionnement de son monde, tu l’es encore plus lorsqu’elle affirme connaître Ryuusei et que ce dernier lui a parlé de votre monde. Ton promis ne t’a pourtant guère parlé d’elle, mais tu n’es pas surprise. Vous n’êtes pas vraiment proches, mais tu notes quand même qu’il a d’autres amis. Tu ne ressens pourtant pas cette méfiance, par cette jalousie comme cela avait pu être le cas avec Harmonie. Au ton léger employé par la Drow, tu te surprends à la croire lorsqu’elle indique qu’il ne s’agit que d’une simple amitié.

« Tu connais Ryuusei ? C’est mon promis, c’est en le cherchant que je suis venue ici. En tout cas, le fonctionnement de ton monde est fascinant, j’ignorais que certains faisaient la distinction en fonction du sexe. Pour te dire, j’ignorais beaucoup de choses avant de venir ici. Quelque part, Portalia est une cité intéressante. »

Intéressante est bien le mot. Ton intérêt est d’ailleurs piqué lorsqu’Oldeena prétend avoir aperçu une jeune femme aux attributs de dragons. Tu serres un peu plus ton verre dans les mains à ces propos, tentant tant bien que mal te cacher ton excitation ; tu viens peut-être de découvrir qu’une autre Drakenmayer a atterri dans ce monde.

« Que peux-tu me dire d’autre sur cette femme ? » fais-tu, intéressée, « Tu me dis qu’elle allait à la Guilde ? Je ne manquerai pas de les interroger. »