Ces temps-ci, tout semble échapper à ton contrôle. Cette arrivée subite à Portalia aura causé bien plus de bouleversements que ce à quoi tu aurais pu t’attendre. Si tu espérais que les choses s’arrangent après avoir retrouvé ton promis, tu as bien vite été frappée par la désillusion ; Ryuusei n’est clairement pas ce à quoi tu t’attendais. Peut-être étais-tu trop optimiste avant votre rencontre, peut-être t’attendais-tu à un digne représentant des Drakenmayers, voire même à quelqu’un à qui tu aurais pu t’identifier d’une quelconque manière. La vérité est qu’il n’en est rien, et tu es même déçue par le choix de ton père. Si tu ne le dis guère de vive voix, cela peut se ressentir à ton attitude. Tu mets moins d’efforts pour approcher Ryuusei et savoures même les instants de solitude dans ton appartement. Tu as besoin de réfléchir, besoin de remettre les choses en place.

Plusieurs jours se sont écoulés depuis votre première conversation – ou plutôt dernière dispute. Tu n’es guère enthousiaste à l’idée de partager ta vie avec Ryuusei. Tu as d’ailleurs prétexté ne pas vouloir partager un appartement commun avec lui avant le mariage de retour à Drakenmarg. Ce n’est pas un rêve, une utopie car tu sais très bien que cela ne se fera pas du jour au lendemain. Tu temporises en tout état de cause. Tu souhaites voir comment les choses vont évoluer avant de t’engager d’une quelconque manière, mettant pour le moment l’attitude de ton promis sur le compte d’un grand déboussolement. Tu te demandes néanmoins s’il est seulement digne de toi, si le lien suffira à garantir votre union. Tu as vu ses actes de rébellion, remarqué son esprit en systématique contradiction avec le tien. Pour un oméga, il n’est guère docile et cela ne saurait te simplifier la tâche ; dans une union de Drakenmayers, il ne peut y avoir qu’un seul dominant dans la relation, en l’occurrence toi. Tu n’utilises que rarement le lien, ne souhaitant pas rentrer dans son jeu, mais tu n’aimes pas sa fâcheuse tendance à vouloir tester les limites.

Vous avez eu le loisir de partir en mission plusieurs fois ensemble. Comme le faisait si bien remarquer Ryuusei, le combat est le seul domaine où vous vous complétez convenablement. Entre son regard immobilisant et ta force brute, vous parvenez à terrasser les adversaires se mettant en travers de votre route. Pourtant, il serait tort de penser que ces combats renforcent votre relation. Tu restes même assez distante, lui laissant la liberté de vaquer à ses occupations hors des missions, comme si tu ne souhaitais pas l’avoir dans les pattes. Vous ne vous appréciez guère, n’importe-qui pourrait le voir. Tu t’es fait une raison, te disant qu’il n’est là que pour perpétuer ta lignée, que le reste n’importe guère. Tu n’es pourtant pas impatiente qu’il te fournisse une descendance.

Un autre sujet est venu semer le trouble entre vous deux : Harmonie Rex. Tu ne sais que penser de la proximité que tu as cru percevoir entre ton fiancé et elle. Par prudence, tu lui as demandé de ne pas la revoir ; serait-il capable de te tromper avec elle ? Tu l’ignores, connaissant à peine l’homme aux cheveux blancs. Il est ainsi inutile de préciser que la confiance ne règne pas entre vous deux – ou du moins que tu te montres trop possessive –, Ryuusei reste tien et tu ne pardonnerais pas une quelconque trahison de sa part.

Tout ceci nous amène en ce jour où tu dois passer à la librairie, maintenue par Harmonie. Tu dois passer prendre des livres, et as demandé à ton promis de te fournir une liste de tout ce dont il a besoin.  Tu avances d’un pas assuré, longeant la place des portails, avant de t’arrêter devant une grande vitrine. Tu passes la porte, saluant la propriétaire d’un signe de tête.

« Bonjour, tout est sur la liste. »

Tu n’es ni amicale ni hostile ; ton expression est neutre. Sourire aurait été sans doute un trop grand effort pour toi. Si tu ne ressens pour le moment aucune animosité ouverte envers la fille du sergent Rex, tu n’en restes pas moins méfiante. Tu n’as pas oublié la dernière fois où elle a cherché à te tenir tête, ni même les marques d’affection qu’elle a montré à ton promis sous tes yeux. Sans doute n’a-t-elle également pas oublié sous quelles conditions vous vous êtes quittées ; tu observes sa réaction.

Tu te contentes d’ignorer la pique. Ne vous étant pas quittées dans de bons termes, tu ne t’étonnes guère que la libraire t’en garde remord. Tu as toutefois aperçu le collier qu’elle s’est empressée de cacher et lui lances un regard soupçonneux, comme t’attendant à une suite à la remarque. Toutefois, rien ne vient. Aucun mot sur Ryuusei ou sur votre précédente rencontre et cela te surprend quelque peu. Au vu de la véhémence avec laquelle la lapine a défendu l’homme-dragon la dernière fois, tu ne te serais pas étonnée de constater plus d’agressivité de sa part. Tu penses évidemment qu’Harmonie ignore l’interdiction que tu as donnée à Ryuusei de la voir et aurait été surprise de ne plus le rencontrer. Tu ne tires pour le moment aucune conclusion et restes sur tes gardes ; dame lapin a sans doute plus d’un tour dans son sac. Tu as bien vu qu’elle avait un fort caractère, et t’attends tout de même à ce qu’elle finisse par remettre le sujet sur le tapis.

Tu la regardes fouiller la librairie. En définitive, tu n’es pas mécontente qu’elle te laisse tranquille. Tu pousses un léger soupir en regardant les étagères. Tu effleures la couverture d’un ouvrage du bout des doigts, avant de regarder son contenu. Tu lis les mots sans les emmagasiner, perdue que tu es dans tes pensées. Tu en oublies presque la présence de la libraire. Ce moment passé seule, loin de ton promis, te fais du bien. Tu n’as pas oublié son comportement particulièrement désagréable lors de votre dernière mission. De ton côté, tu as tenu parole et n’as pas réutilisé le lien. Si cela ne saurait te toucher, tu restes déçue de l’oméga et de son peu d’efforts dans votre relation. Tu te demandes même s’il ne te pousse pas à bout exprès. Tu ne le comprends pas et ignores par quel bout le prendre. Ton père ne t’a pas dit grand-chose sur les omégas, tu ne sais donc pas comment le gérer, entre autorité et respect. Il te semble évident que les efforts fournis à son égard doivent être récompensés, tu ignores en outre ce que tu sembles faire de mal. Pour toi, le problème ne peut venir que de lui.

Tu reposes le livre à l’endroit où tu l’as pris avant de reporter ton attention sur la libraire, une idée te traversant la tête.

« Excusez-moi, auriez-vous à tout hasard un livre à jour traitant des différentes espèces hybrides résidant à Portalia ? De nombreux aventuriers sont arrivés récemment, j’aimerais mieux savoir à qui j’ai affaire. »

Rentreras-tu un jour chez toi ? Si tu montres de l’assurance quant à ce sujet en publique, c’est pourtant une question qui demeure pour le moment sans réponse. En vérité, plus les jours passent, plus tu commences à te faire à la dure réalité que tu vas rester bloquée à Portalia un bon moment, aussi frustrant cela puisse être pour toi. Tu n’oublies pas Drakenmarg, es-tu presque résignée de ta situation. Tu commences néanmoins à t’intéresser à ce nouveau monde qui t’entoure. Si tu restes critique vis-à-vis de la société Portalienne, tu n’en es pas moins curieuse et en découvres tous les jours. Tu es consciente que plus tu sauras et mieux tu te porteras ; et peut-être auras-tu ainsi une meilleure chance de te tailler une place de choix au sein de cette société nouvelle. Par la même occasion, tu détiens une chance de te changer les idées.

« J’ai également cru comprendre qu’un chat a traversé un portail et a hérité de la capacité à manipuler le feu. Est-ce vrai ? Pouvez-vous m’en dire plus ? »

Si tu es effectivement intriguée par toutes les espèces hybrides sévissant à Portalia, c’est ce fait qui t’intéresse le plus. Voir un animal parler et manier un élément que tu pensais typique aux Drakenmayers est pour toi la plus folle des idées, et tu as envie d’en savoir plus.

Tu observes l’attitude de la lapine changer du tout au tout. Alors qu’elle semblait bien froide au début de la conversation, tu la vois devenir toute enjouée lorsque tu te mets à lui poser des questions sur Portalia. Tu es tout d’abord désarçonnée par son brusque virement et ouvres grand les yeux alors qu’elle t’apporte immédiatement un certain nombre de livres. Tu guettes attentivement la moindre trace d’ironie, le moindre indice de moquerie dans sa voix, en vain. Cette fois, son expression semble sincère. Des informations fournies, tu te serais doutée que les elfes et humains figurent parmi les espèces majoritaires mais ignorais quant à leurs origines différentes. Tu as néanmoins l’habitude de voir des créatures de toutes tailles de de toutes formes, à tel point que tu ne serais guère étonnée que les espèces dominantes changent au fil des ans. Pour ce qui relève de ta question sur les espèces hybrides, la libraire te recommande le registre de la guilde. Tu acquiesces à ces propos.

« Je regarderai le registre, je vous remercie pour le conseil. » réponds-tu poliment.

Tu es bien prise au dépourvu lorsqu’Harmonie se met à rire devant toi. Tu te demandes presque si tu as affaire à la même personne tant elle est rapidement devenue plus chaleureuse à ton égard. Au moins reconnais-tu son efficacité pour ce qui est de la qualité te fournir des ressources. Tu suis son regard alors qu’elle te montre la trace noire sur le sol en guise de preuve du passage du Polenchat. Tu retiens en outre que le passage par le portail est susceptible de donner aux animaux des pouvoirs inattendus en plus de la capacité de parler. Bien que tu n’envies pas le sort du chat, cela sonne presque pour toi comme une injustice ; alors que certains gagnent en passant par le portail, tu t’es quant à toi retrouvée à pratiquement tout reprendre depuis le début. Tu sais néanmoins que tu dois prendre ton mal en patience ; il n’est qu’une question de temps avant que tu ne retrouves ta puissance d’antan, si tant est que tu ne trouves pas un moyen de rentrer chez toi avant de finir la quête de l’ordre.

« Mis le feu à votre boutique ? » répètes-tu les yeux écarquillés, « J’espère que les dégâts n’ont pas été trop importants. En tout cas, cette histoire est fort intéressante. »

Si tu as d’autres questions sur cette histoire, tu sembles les garder pour plus tard, ayant autre chose en tête. Tu es étonnamment humble depuis le début de la conversation. C’est sans doute dû au fait que tu n’as pas encore pris tes repères, pas encore pris toute ton assurance vis-à-vis de ce nouveau monde. Pour le moment, tu es encore là pour apprendre et ne peux encore trop prendre les devants comme tu avais l’habitude de le faire chez toi. Étant donné que dame lapin a fait un effort pour être agréable, tu en fournis un également de ton côté en lui faisant la conversation, par souci de réciprocité. Tu te doutes néanmoins que ce n’est pas pour toi qu’elle réagit ainsi mais plutôt parce qu’elle semble passionnée du sujet que tu as abordé. Tu en déduis que ce n’est pas pour rien qu’elle tient boutique en plus de son emploi à la guilde.

« Cela fait longtemps que vous travaillez ici je me trompe ? Vous me semblez bien à l’aise avec tout ceci. »

Tu observes tranquillement autour de toi avant de reporter ton attention sur la libraire. Bien que tu aies interdit à ton promis de la voir, tu réserves encore ton jugement sur elle. Peut-être ta méfiance a-t-elle été trop excessive, mais tu ne peux t’en défaire. Tu ne peux oublier la complicité qui semblait régner entre Ryuusei et elle lors de votre dernière rencontre. Ce n’est pas une chose que tu as jugé acceptable, et voir les protestations de ton fiancé n’avaient fait que renforcer tes soupçons. Toutefois, les soupçons sont tout ce que tu as pour le moment, tu ne possèdes aucune preuve incriminante contre la lapine malgré le souvenir amer de votre dernière rencontre. Tu ne peux donc te permettre de lui témoigner une hostilité ouverte.

« J’admets être surprise de votre entrain au vu de notre précédente interaction, je me serais attendue à ce que vous me demandiez des nouvelles de Ryuusei. » remarques-tu d’un ton prudent.

Fais-tu exprès d’aborder un sujet susceptible de provoquer un conflit ? Ce que l’on peut dire, c’est que tu remues intentionnellement le couteau dans la plaie car à nouveau, tu guettes attentivement la réaction de la lapine, comme la mettant à l’épreuve. En tout cas, il faut s’attendre à ce que l’atmosphère se refroidisse.

Si l’anecdote t’étonne, c’est la mention de son frère qui éveille ta curiosité. Si tu sais que le sergent Rex a deux enfants, tu n’as rencontré qu’Harmonie jusqu’à présent. Tu te demandes si le frère est aussi forte tête que la sœur. Des rumeurs que tu as pu entendre dans les couloirs, on te l’a dépeint comme étant un vrai casse-cou. De cette histoire, tu retiens néanmoins le nom de Polenchat, sans doute curieuse de rencontrer un jour ce chat maniant le même élément que toi. Peut-être la curiosité te poussera-t-elle à aller chercher des informations à son sujet lors de ton prochain passage à la guilde, penses-tu avoir épuisé la patience de la libraire avec ce que tu vas lancer. Tu ne peux pas dire que tu apprécies Harmonie – si tant est que tu puisses apprécier quelqu’un –, mais tu n’es pas de mauvaise foi ; tu la respectes au moins pour ses qualités. Tu attends patiemment sa réponse, même lorsque celle-ci semble tarder.

« Hm… Et bien cela fait un an que je tiens cette boutique. Avant j’étais à temps plein à la guilde au centre de documentation. Disons que j’ai des facilités concernant tout ce qui est connaissance. J’ai une bonne mémoire.
-  Vous êtes très douée. » la complimentes-tu.

Habituellement, tu n’es guère généreuse en mots compliments et autres amicaux. Tu souhaites mettre la libraire à l’aise avant d’aborder le vif du sujet. Tu observes d’ailleurs que tu as touché un point sensible au vu de son changement d’attitude ; tu devines la colère dans chacune de ses crispations. Tu sais pertinemment que tu risques de casser la bonne ambiance posée en abordant ainsi le sujet, mais il y a des choses que tu as besoin de savoir. Tu n’apprécies guère qu’elle réagisse ainsi lorsque tu te mets à parler de ton promis, et n’arrives tout simplement pas à croire à une simple amitié entre ces deux comme Ryuusei semble le prétendre. De nouveau, tes soupçons se trouvent renforcés. Tu as la sensation que l’on te ment sur quelque chose, et tu as la ferme intention de découvrir ce qui se trame.

« Je n’ai peur de rien. Et je trouve que vous émettez de bien fortes suppositions. » réponds-tu, imperturbable.

Si tu ne le montres pas, tu es surprise, ayant comme une impression que ton interlocutrice soit capable de lire dans ton esprit. Un détail a en outre suscité ton attention : comment la libraire peut-elle savoir que ce sont ses livres et non les tiens que tu es allée chercher ? Tu te mets à douter, à te demander si le lien est effectivement assez puissant pour empêcher ton fiancé et elle de se revoir, avant de te raisonner ; la réflexion de la lapine relève sans doute de sa perspicacité. Dans le cas contraire, elle aurait sans doute eu une réaction bien plus agressive contre ta personne dès le départ. Tu te trouves donc pour le moment loin de te douter de la vérité, mettant la réplique d’Harmonie sur le compte de votre rencontre désastreuse de l’autre fois. Toujours est-il que tu as balayé cette histoire d’interdiction, n’ayant ni confirmé, ni réfuté son accusation. Au vu des informations dont tu disposes, elle ne peut pour toi être au courant de ce que tu as fait. Tu peux mentir ou non en toute quiétude.

« Il va bien, mais j’aimerais savoir pourquoi ses intérêts vous tiennent-ils tant à cœur ? » lui demandes-tu en la regardant emballer les livres.

Tu lui donnes sa réponse, mais lui poses une question en retour. C’est pourtant une chose qui attise ta curiosité. Si tu en croyais les dires de Ryuusei, Harmonie et lui venaient à peine de se rencontrer. Pourquoi aurait-elle donc défendu un inconnu avec un tel aplomb ? Cela ne fait pas sens pour toi. Tu veilles toutefois à contrôler tes mots, à maîtriser l’intonation de ta voix. Tu restes calme. Tu ne veux pas paraître agressive, simplement curieuse. Outre ton caractère possessif, tu n’as pas encore condamné dame lapin. Tu souhaites lui donner une chance de vous expliquer et de régler les choses calmement.

« Vous n’avez pas vu les traditions de Drakenmarg sous leur meilleur angle. » fais-tu, pensive, « J’ai remarqué que les choses fonctionnaient bien différemment ici. J’aimerais que tout soit mis au clair afin d’éviter les différents inutiles. Après tout, nous appartenons au même groupe et il serait dommage de laisser un probable malentendu envenimer la situation. » expliques-tu.

Ignorant pique et sourire faux, tu fais ici preuve de coopération. Tu ne cherches pas spécialement à t’attirer ses foudres, simplement à en savoir plus. Le signal est discret, mais tu fais savoir à la libraire que si elle a des questions à poser sur Drakenmarg en retour, tu es disposée à lui répondre.

Tu restes à nouveau indifférente face aux regards noirs de dame lapin. Tu sais qu’elle se retient. Si tu t’attendais à la contrarier en ramenant un tel sujet, tu restes toujours aussi surprise de voir qu’elle semble le prendre autant à cœur. Pour toi, il devient de plus en plus évident qu’une alchimie existe entre ton fiancé et elle ; autrement, elle ne se soucierait guère autant du sort d’un quelconque étranger. Tu as également noté un brusque changement d’attitude à ton égard ; alors qu’Harmonie semblait toute enjouée à l’idée de partager ses connaissances avec toi, alors qu’elle semblait ravie que tu t’intéresses à elle, la voici à nouveau d’une grande froideur. Tu t’estimes en outre heureuse de posséder le lien pour contrôler les choses, d’avoir pu interdire à Ryuusei d’aller la voir ; autrement tu estimes que la situation aurait pu devenir facilement hors de contrôle.

« En tant que membre de la Guilde il est important pour moi que chaque nouveau venu puisse jouir de la liberté qu’il mérite.
- Et c’est le cas. » rétorques-tu, surprise.

De toutes les remarques, tu ne t’attendais visiblement pas à celle-ci. Tu en oublies ton angle d’attaque quant à tes soupçons sur la fille du sergent Rex, déboussolée que tu es. Tu ne comprends pas où elle veut en venir. Dans ton référentiel, tu estimes être un alpha très permissif, peut-être trop. Hormis l’interdiction de voir Harmonie, tu n’as pratiquement rien imposé d’autre à ton promis, là où d’autres alphas auraient largement exploité leur esclave. Le lien est tellement ancré dans tes idées que tu ne le vois même pas comme liberticide tant il te semble naturel. Tu l’as accepté sans broncher, tu ne vois donc pas en quoi cette union sous contrainte serait susceptible de poser souci à quelqu’un d’autre. Tu as du mal à remettre les fondamentaux en cause. Pourtant, même toi tu n’as pas eu le choix. Tu as toujours été sous la pression du pouvoir, sous le poids de la succession et ce depuis ton plus jeune âge. Tu ne vis pas pour toi mais pour ce que l’on attend de toi, mais c’est un fait qui n’a pas encore traversé ta conscience.

« Ce que je veux vous dire, c’est que le lien est également une occasion pour les omégas d’avoir une vie meilleure. Nous leur offrons travail, abri, protection et nourriture. En échange, ils aident à faire perdurer le clan. » tu marques une pause, « Ce qui ne veut pas dire que certains alphas n’abusent jamais de leur position, mais ce sont des pratiques que je déplore. »

Ta démarche est maladroite, mais tu essaies de lui expliquer pourquoi vous ne faites rien de mal de ton point de vue. Tu ne remets pas en cause la place de l’esclave dans votre société ni le fait qu’il doive respect et obéissance à leur alpha ; tu ne saisis pas l’injustice de cette hiérarchie distribuée dès la naissance, faute de recul sur la chose. Ce système, tu en as fait largement partie, as-tu été bassinée dès l’enfance avec ces règles sociales à tel point que tu ne puisses imaginer le monde différemment. Pour toi, le mariage est effectivement la meilleure option pour l’oméga, les petits clans se faisant plus aisément décimer à l’image de celui de ton promis. Si tu arrives à avoir de la pitié pour ces gens, remettre en cause ce en quoi tu as toujours cru relève d’un exercice plus difficile.

« Nous ne sommes pas des barbares. »

Presque sans le vouloir, tu t’es avancée d’un pas. Ton port de tête est fier, ton regard est brillant. Tu assumes entièrement les traditions de Drakenmarg, persuadée qu’elles représentent la meilleure organisation possible. Dans un grand effort, tu arrives toutefois à "te mettre à la place" de la lapine ; pour elle qui a baigné dans des traditions toutes aussi différentes que les tiennes, imaginer ce monde est aussi difficile que pour toi d’imaginer le sien.

« M’affirmerez-vous qu’aucune misère n’existe à Portalia ? Nul n’est capable d’un tel exploit. »

Tu n’aimes pas ses gloussements et ses airs moqueurs. Tu as comme l’impression que Drakenmarg l’amuse et tu prends ça pour de l’irrespect envers tes terres natales. Tu fronces les sourcils mais ne dis rien. Même si la libraire met ta patience à rude épreuve, tu ne cèdes pas à ses provocations. Il aurait pourtant été attendu que tu défendes tout de suite corps et âmes le monde dont tu es originaire. Sans doute aurais-tu été plus sèche dans d’autres circonstances, mais tu n’oublies pas que tu n’es pas sur ton territoire, aussi ménages-tu la susceptibilité de ton interlocutrice. Lorsqu’elle te parle d’amour, tes soupçons sont à nouveau éveillés. Tu te mets à te demander si la mention est anodine ou si tu dois comprendre un sens caché à ses paroles. Tu as toutefois eu une réaction d’incompréhension visible, comme si tu ne savais pas de quoi Harmonie parlait. Tu ne sais rien de l’amour, tu as été éduquée pour conquérir et non pour aimer. Dans ton esprit, il doit en être de même pour tout Drakenmayer, tu ne peux donc comprendre pourquoi Ryuusei devrait faire exception à la règle. Tu te perds dans tes pensées jusqu’à ce que la libraire attire ton attention d’un claquement de la langue. Tu reprends alors calmement la parole.

« L’amour n’existe pas chez nous. Nous ne sommes liés que par le devoir, notre seul but est de maintenir une armée puissante. » tu marques une pause, « Ce choix, je ne l’ai pas eu non plus mais on m’y a préparée dès l’enfance. C’est un maigre sacrifice pour la cause commune. » réponds-tu doucement.

Tu dis ça d’un ton nonchalant, comme si cela t’étais complètement égal que l’on te prive d’une liberté quant à ton avenir. Bien que tu refuses de le voir ou l’admettre, ce lien t’emprisonne aussi. Tu es  simplement trop endoctrinée pour le reconnaître. Aussi gradée puisses-tu être là-bas, même toi es un pion d’un système que tu n’as pas décidé. Tu ne te maries pas parce que tu le veux, ne te prépares pas à faire enfant parce que tu le souhaites, mais parce que tu le dois. Si tu avais pu choisir ton fiancé, tu ne te serais certainement pas arrêtée sur Ryuusei. Le choix de ton père étant fait pour toi, tu ne peux que le respecter. Pour toi, c’est avant tout une question d’honneur vis-à-vis de ton rang.

« Il en découle que l’armée de Khorn a toujours été puissante, nous avons toujours remporté nos batailles. Ici, aucun des sept rois n’est jamais tombé. Loin de moi l’idée de dénigrer Portalia, mais le résultat est là. »

Tu sous-entends que vous faites des enfants pour la guerre avec une logique froide. Pour toi, c’est Portalia qui devrait s’inspirer de Khorn et non l’inverse. Tu perçois ton armée comme étant la plus puissante. Tu ne vois les choses que d’un point de vue militaire, négligeant totalement le bien-être social. Tu as beau être arrivée à Portalia depuis quelque temps, tu n’as pas encore embrassé toutes ces libertés nouvelles offertes – si tant est que tu le fasses un jour –, peut-être n’en as-tu pas encore pris réellement conscience. Ne serait-il pourtant pas plus agréable de vivre avec la personne que tu souhaites ? De faire tout simplement ce que tu souhaites ? Tu ne t’es pas emparée de ton libre arbitre. Une part de toi est sans doute trop déboussolée par toutes ces nouveautés pour réellement les saisir. Rester dans le même raisonnement que celui que tu avais à Drakenmarg est sans doute pour toi source de réconfort. Cela n’explique pas tout, es-tu également convaincue des manières de faire de ton monde d’origine, estimant qu’elles ont fait leurs preuves. Tout ceci car tu n’as jamais rien connu d’autre.

« Vous arrachez bien des étrangers à leur famille. Pourtant, je ne vous en fait pas porter pas le blâme. » pointes-tu, « Rien n’est parfait, mais parfois des sacrifices sont nécessaires. »

Tu lui fais ainsi savoir que tu trouves ridicule de t’en vouloir pour les traditions de ton monde alors que tu n’en es aucunement responsable. Tu ne vois effectivement pas en quoi tu es fautive, ne remettant toujours pas en cause les coutumes de Drakenmarg. Tu lui rappelles également que les pratiques Portaliennes ne sont pas exclues du moindre défaut. Tu aurais pu garder une grande aigreur envers les Portaliens et la quête de l’ordre pour t’avoir privée de ton père et de ton trône, mais il n’en est rien. Malgré tout ce que l’on t’a inculqué, tu n’as sans doute pas mauvais fond. Et plutôt que de te lamenter sur ton sort, tu as choisi de te focaliser sur la quête de l’ordre et l’aide que tu peux apporter à la guilde. Peut-être es-tu également trop résignée envers le destin pour trop te révolter de choix faits pour toi ou d’un avenir tout tracé.

« Ne prenez pas cela comme une attaque, j’ignorais qu’il était possible de faire les choses différemment. » tu hausses les épaules, « Nous avons toujours fonctionné ainsi. »

En souci de réciprocité, tu lui fais également savoir que tu es ouverte à la conversation. Tu peines à comprendre le point de vue de la lapine, et cette dernière ne semble pas adhérer au tien. Comme Ryuusei et toi, peut-être êtes-vous trop différentes pour pouvoir vous comprendre… Ou peut-être le problème vient-il encore de toi et de ton entêtement à toujours vouloir avoir raison.

Tu te serais attendue à de l’agressivité ou de la condescendance, pas cette forme de sympathie. Tu es complétement pris de court par sa réaction, mais également touchée. Tu ressens une sensation agréable à l’idée que l’on puisse se soucier de toi. Il est vrai qu’à Drakenmarg, tu n’as guère été habituée à la patience et à la compassion. Cela a bien plus d’effet sur toi que toutes les tirades qu’elle aurait pu avoir, surtout de sa part. Tu te trouves ainsi plus réceptive à ses paroles. Tu te mets en outre à te poser des questions sur Drakenmarg et Portalia, des questions dérangeantes. Si tu avais mis en avant avec fierté les traditions de ton peuple quelques instants plus tôt, tu commences à émettre quelques doutes sur vos manières de procéder, à te dire que Portalia a peut-être de bons aspects dont tu as été exclue. Plus que tout, tu comprends l’étrangeté de vos coutumes aux yeux de la libraire.

« Je n’avais jamais vu les choses sous cet angle… » commences-tu, « Mais je ne peux pas fuir mes responsabilités. Le destin de Khorn est trop important pour que je pense à mes désirs personnels. » tu marques une pause, « Je ne peux pas décevoir les miens, et mon père m’attend. Je dois rentrer chez moi au plus vite. »

C’est sans doute la première fois que tu fais part de la pression qui pèse sur tes épaules en tant qu’héritière. Tu as été presque résignée lorsque tu as pris la parole, mais tu t’es dépêchée de reprendre contenance. Tu te mords les lèvres, honteuse que tu es à l’idée d’éprouver la moindre amertume, toi qui as été éduquée dans une mentalité où l’on ne doit pas montrer ses faiblesses.

« Je ferai plus d’efforts avec Ryuusei à l’avenir. » promets-tu.

Tu ne parles pas de remettre en cause le lien, mais te connaissant, c’est déjà un bon début. On ne peut pas dire que tu as traité Ryuusei comme ton égal, pas plus que tu n’as considéré ses envies et désirs. Ce sont des points sur lequels tu pourrais peut-être t’améliorer, toi qui as toujours vu les omégas comme étant des subalternes. La lapine a touché juste lorsqu’elle a affirmé que c’est ta peur de te retrouver seule dans ce nouveau monde qui te fait ainsi t’accrocher à Ryuusei, car avoir un autre Drakenmayer près de toi – en tant que lien avec ton monde – te rassure dans cet endroit qui te dépayse. Tu te mets néanmoins à te questionner, à te demander si tu n’es pas la raison de votre relation compliquée. Cette pensée te perturbe, toi qui n’as pas l’habitude de te remettre en question ; c’est toutefois une hypothèse que tu commences sérieusement à envisager.

Ton orgueil et ton ignorance te poussent tout de même à croire – à tort – que l’armée de Khorn aurait été assez puissante pour faire tomber au moins l’un des sept rois, mais ne dis rien pour ne pas la vexer. Tu constates ensuite sa colère lorsqu’elle se met à te parler du cas des invoqués. « Je ne vous ai jamais blâmée, ni vous ni la guilde. » la rassures-tu tout de suite. Tu regardes l’emballage prendre la colère de la lapine, étonnée que cette dernière ai ce sujet tant à cœur. Tu te mets à te demander si la famille Rex est bien originaire de ce monde, ou si elle fait partie des invoqués elle aussi. Concernant l’église de l’ordre, tu en as bien entendu parler, mais sais très bien qu’un grand nombre de membres de la guilde n’approuvent pas ses pratique, Harmonie en faisant donc partie.

« Merci. »

Un simple mot qui veut dire beaucoup de ta part. Cette fois, ce n’est pas une simple expression de politesse. Cette fois, c’est un mot sincère. Tu apprécies son geste, l’effort qu’elle fait pour toi. Tout ceci alors que tu ne lui as guère témoigné patience lors de votre dernière rencontre. Tout ceci alors que rien ne l’obligeait à s’intéresser à ton cas. Te père ne t’ayant guère donné de détails, elle t’offre peut-être une clef te permettant de mieux comprendre ton promis. Tu la regardes prendre le livre en silence.

« Mon souhait importe peu, le lien nous force à être ensemble. Il existe pour que nous nous rappelions sans cesse notre devoir. » réponds-tu, la mine sombre, « Maintenant, nous devons faire avec. »

Ryuusei ne te convient peut-être pas, mais si tu es honnête avec toi-même, tu ne mettras pas grand zèle à contourner ce lien. Comme Harmonie l’a justement analysé, tu aurais trop peur de te retrouver seule. Même si tu ne l’aimes pas, tu aurais l’impression de perdre quelque chose. Tu n’arrives pas à remettre en cause ton emprise, pour le moment. De plus, tu ne veux pas déshonorer la promesse faite à ton peur, aussi étrange puisse-t-elle être. Ryuusei est la raison de ta venue, que tu le laisses rendrait ton voyage à Portalia dénué de tout sens selon toi.

« Nous partons souvent en mission ensemble. Vous pourriez nous rejoindre un de ces jours si l’envie vous prend. » lui offres-tu d’un air hésitant.

Le ton employé est presque timide. Tu ne la regardes même pas dans les yeux. Pareille attitude est surprenante de ta part, d’autant que c’est un grand pas vers l’autre que tu fais. Tu n’as pas oublié tes soupçons, pas oublié ta méfiance envers Harmonie. Tu estimes ne pas prendre grand risque en l’invitant tant que tu es dans les parages. Peut-être une part de toi cherche-t-elle également à prouver que tu n’es pas si cruelle qu’ils semblent l’imaginer. Si tu te trompais, si la relation entre Harmonie et Ryuusei relevait de la simple amitié, tu sais que tu feras plaisir à ton promis en lui donnant une occasion de la revoir. Dans le cas contraire, tu pourrais observer cette affaire de plus près. Tu es encore une fois bien loin de te douter de l’intrigue qui se déroule derrière ton dos.
Prise par la conversation, tu en as presque oublié la raison de ta venue.

« Cela fera combien ? »

Tu écoutes attentivement les propos d’Harmonie. Bien que tu peines à l’admettre, tu trouves son point de vue rafraichissant car différent bien de ce dont tu as l’habitude. Elle insiste sur le fait que tu rentreras avec Ryuusei, détail qui t’étonne et ravive quelque peu tes soupçons. « Si le destin le veut. » lui réponds-tu alors, incertaine que tu es face à la simple éventualité de retourner chez toi. Peut-être te faudra-t-il te faire définitivement à la vie à Portalia, mais c’est une chose à laquelle tu souhaites éviter de penser pour le moment. Tu ne veux pas te penser prisonnière. Pour une fois, tu veux contrôler ton destin et retourner auprès de tes proches. Avec réflexion et à l’aide de l’esprit de la lapine, tu trouves pourtant des bons côté à cette société nouvelle, des choses que tu te surprends à envier. Tu as presque honte d’être séduite par Portalia, te pensant comme infidèle à ton peuple. Remettre en cause ce que tu as appris et tout ce en quoi tu as toujours cru aurait été pour toi inimaginable il y a quelques temps.

« C’est un concept intéressant… » commences-tu, « Les choses ne fonctionnent pas comme ça chez moi. La désobéissance est très mal perçue, même parmi les alphas. Nous sommes éduqués comme des petits soldats dès l’enfance, la loyauté envers le clan passe avant tout le reste. » tu marques une pause, « Cela a également ses bons côtés. C’est comme cela que nous avons toujours survécu aux crises, nous pouvons être très solidaires. »

Bien que tu admires ton père, tu t’es déjà pris des gifles quand tu étais plus jeune. Il ne te viendrait pas à l’esprit d’aller à l’encontre de ses ordres, car il est également ton supérieur et ne tolère pas le moindre écart de conduite de ta part. Puisque tu as été élevée pour lui succéder, c’est de cette mentalité que tu as hérité. Lorsque la libraire te pointe qu’elle n’aurait pas pu ouvrir boutique si elle avait écouté son père, tu ne peux t’empêcher de sourire à ton tour, et peut-être pour la première fois depuis que tu es arrivée ici. Tu es de plus en plus curieuse face à ce peuple, ces traditions si différentes des tiennes. Tu en viens à te demander quelle relation Harmonie entretient avec le sergent Rex, et quel genre de père ce dernier peut-il bien être. Tu te doutes qu’il ne doit pas être aussi sévère que le tien, sans doute aurais-tu été déshéritée si tu avais commis des actes de rébellion à son égard. Chez vous, on ne plaisante pas avec la discipline.
Tu es une fois de plus étonnée lorsqu’Harmonie décline ton invitation à partir en mission avec vous. Il t’a pourtant semblé entendre qu’elle était bonne archère malgré l’incident de Tera Grom. Tu n’insistes pas, mettant cela sur le fait que la libraire ne doit pas encore être très à l’aise avec toi.

« C’est comme vous le sentez, mais si vous changez d’avis, j’assurerais vos arrières. » affirmes-tu.

Finalement vient la question à laquelle tu n’as aucune envie de répondre. Vote couple est loin d’être fonctionnel, et c’est une chose que tu n’es pas prête à avouer à une étrangère. Sans même parler de l’aimer, tu n’arrives pas à apprécier Ryuusei ni même à le comprendre. Il est évident que ton seul sens du devoir t’unie à lui. Si tu avais pu choisir toi-même ton promis, tu ne te serais certainement pas arrêtée sur Ryuusei. Tu admets toutefois que ce n’est pas un mauvais garçon, et que son passé difficile est sans nul doute la cause de sa froideur envers son pays d’origine. Avec du recul, tu te rends effectivement compte que tu ne lui as pas mené la vie facile, toi non plus. Tu ne l’as jamais réellement considéré en tant que personne, étant plutôt animée par un sentiment de possession. Le simple fait que tu le réalises est déjà un grand pas en avant, reste à voir à quel point tu sauras rectifier ton attitude. Comme quoi tu n’es pas insensible à la gentillesse de la lapine derrière ses explications, car cela te fait voir les choses sous un autre angle que tu n’aurais pas imaginé.

« C’est bien le devoir qui nous lie. Mon père l’a choisi pour moi et j’ai foi en son jugement. » tu marques une pause, « Mais je ne sais pas de quoi demain sera fait. »

Tu as beau rester évasive, ta voix manque de conviction. La vérité, c’est que plus tu passes du temps à Portalia, et plus tu te rends compte que ton père n’est pas la figure parfaite que tu as toujours adulée. Non seulement il n’a pas aidé Ryuusei lorsque ce dernier avait le plus besoin d’aide, mais en plus, il n’a pas l’air de s’intéresser plus que ça à cette histoire de fiancé. Tu en viens à te demander s’il y a une raison particulière à son choix ou s’il relève plus d’une décision arbitraire. Il n’a même pas pris le temps de t’informer sur ton promis alors qu’il en avait l’occasion, mais en plus il ne t’a pas donné de grands conseils sur comment t’y prendre avec lui. Plus tu y réfléchis, plus cette histoire sonne faux. Le fait même que quelqu’un d’autre décide à ta place avec qui tu vas finir ta vie commence même à te faire poser des questions, intriguée que tu es par la liberté Portalienne.

« Et… Votre père et vous êtes proches malgré tout ? Si c’est une question trop personnelle vous n’êtes pas obligée d’y répondre. »

Tu lui donnes les gils mais ne quittes pas son regard.

La savoir déjà rang argent ne te surprend guère, peut-être t’attendais-tu même à plus de la part de la fille du sergent Rex. Si tu comprends qu’elle semble avoir le profil d’une érudite plus que d’une combattante, tu ne la sous-estime pas pour autant. Tu t’aperçois ainsi rapidement que son histoire ne tient pas la route ; sa puissance d’essence étant déjà supérieure à la tienne, tu estimes qu’elle a l’expérience du combat et ne saurait être aussi mauvaise qu’elle ne le prétend. Si quelques instants plus tôt, tu aurais pensé être la seule cause de ce refus, tu te mets à douter, ta méfiance ravivée. Il te paraît très étrange que la libraire ne souhaite pas revoir Ryuusei alors qu’elle t’a bien montré son attachement envers l’oméga lors de votre précédente rencontre. Bien qu’elle ait su être sympathique avec toi, tu te remets désormais sur tes gardes ; ce n’est pas la première fois au sein de la conversation que tu as l’impression que la libraire te cache quelque chose, mais tu n’arrives pas à mettre la main dessus. C’est une sensation frustrante pour toi qui aimes tout savoir d’un coup, mais tu comprends que tu ne pourras pas gagner la bataille sur son territoire ; il te faudra mener tes propres investigations ultérieurement.

Lorsqu’elle te parle de son père, tu perçois la fierté dans ses paroles, son regard. Le sergent Rex étant respecté voire craint, tu ne te serais certainement pas attendue à découvrir un aspect doux à sa personnalité. Au vu du ton employé, tu sais pourtant qu’Harmonie ne ment pas. Tu notes bien que la lapine a été adoptée, mais tu t’en serais bien doutée au vu de l’absence totale de ressemblances physiques entre son père et elle ; ce n’est là qu’une confirmation à ce que tu soupçonnais déjà. Voir un lien fort entre deux êtres qui ne sont pas liés par le sang est une surprise pour toi, et tu trouves que le sergent Rex a fait preuve d’une grande générosité en adoptant des orphelins et c’est une qualité que tu arrives à admirer. Cette générosité, tu ne l’aurais certainement pas retrouvée chez toi en raison du fonctionnement bien particulier des clans ; les orphelins sont bien souvent livrés à leur sort, surtout si issus d’une classe sociale basse. Si tu te demandes d’où vient Harmonie et qui sont ses parents biologiques, tu te gardes bien de poser la question. Tu doutes qu’il s’agit d’un sujet sensible qu’il serait malvenu d’aborder ; tu n’es qu’une inconnue aux yeux de la libraire.

« Vous avez de la chance. » réponds-tu d’une voix neutre.

Tu n’ajoutes rien de plus. Si tu t’étais ouverte lors de la conversation, tu n’es plus très loquace, te montres-tu presque froide ; même les traits de ton visage se sont fermés. En vérité, tu es songeuse et cela peut se voir à ton regard perdu dans le vague. Tu penses à ton père, aux questions que tu aimerais lui poser, à ce que tu aimerais lui dire en le revoyant. Tu as affirmé plus tôt que l’amour n’existait pas dans votre monde, mais tu sais que ce n’est que partiellement vrai. Vous restez des êtres de chair et de sang, capable d’éprouver sentiments et émotions. Tu tiens à ta famille et aimes ton père, malgré tous les défauts qu’il est possible de lui attribuer. Plus que tout, tu aimerais le revoir, t’enquérir de son état. Tu as beau être adulte, un lien fort vous unie et il te manque terriblement, as-tu toujours aimé le rendre fier. Envisager de ne plus jamais le revoir serait pour toi la plus douloureuse des punitions.

« Il y a-t-il autre chose que vous aimeriez savoir ? »

Ce moment d’égarement passé, tu replantes ton regard dans celui d’Harmonie. En temps normal, tu aurais coupé court à la conversation. Cette fois, tu fais des efforts. Tu attends un signal implicite pour prendre congé, et te mets à la disposition de ton interlocutrice si cette dernière a encore des sujets qu’elle souhaite aborder avec toi. La conversation s’est jusqu’à présent bien passée, et Harmonie a même eu la générosité de t’offrir un livre. Il s’agit sans doute d’une manière discrète bien à toi de la remercier.

Ton attitude a changé du tout au tout. Si tu avais commencé à t’ouvrir à Harmonie, si tu avais presque eu une pointe de sympathie envers la jeune femme, tout cela semble fondre comme de la neige au soleil. Tu te montres plus froide, plus distante. Est-ce le fait de parler de ton père qui te contrarie à ce point ? Celui que tu ne reverras jamais et qui ne t’a probablement jamais témoigné autant d’amour que le sergent Rex pour sa fille adoptive ? Si c’est une hypothèse plausible, la réalité est toute autre, l’indice donné par un plissement imperceptible des yeux tandis que tu observes la libraire. Tu n’es pas la seule à avoir un changement d’attitude, et tu as comme l’impression que dame lapin a du mal à cacher son jeu plus longtemps que cela. Une fois de plus, tu remarques son sourire faux mais pire encore, tu baisses les yeux pour voir la jambe tremblante de la libraire alors qu’elle esquisse un geste comme pour te raccompagner.

Tu ouvres la bouche, t’apprêtant à lui demander si elle se sent bien, avant de te raviser. Tu ne fais pas le moindre pas dans sa direction, pas plus que tu ne sembles disposée à partir. Tu te contentes de rester là à la fixer, cherchant la moindre faille, le moindre indice sur ce qui peut la troubler. Si la conversation t’avais distraite de ton objectif, tes soupçons et doutes se mettent soudainement à rejaillir. Tu es loin d’être bête, tu as compris que quelque chose se trame sous ton dos. Et pour que cela te concerne ainsi alors qu’Harmonie n’est qu’une inconnue, tu te doutes bien qu’il doit s’agir de Ryuusei. Il te manque pourtant beaucoup d’éléments avant d’assembler les pièces du puzzle. Ton regard perçant toujours fixé sur les prunelles ambrées de la lapine, tu la sais dans un moment de faiblesse. Tu pourrais l’acculer, lui forcer à te révéler la vérité. Pourtant, tu n’en fais rien.

« Bonne journée. » fais-tu d’une voix plus sèche que tu ne l’aurais souhaité.

Prenant les livres, tu te retournes et quittes la librairie avec une brusquerie inhabituelle, tes gestes trahissant ta contrariété. Tu as étonnamment épargné dame lapin cette fois-ci, comme en retour envers ce petit geste qu’elle a eu vers toi, n’étant pas totalement dépourvue de la moindre gentillesse. Tu te mordilles légèrement la lèvre, regrettant presque de ne pas avoir saisi l’opportunité qui t’étais présentée. Si Ryuusei et Harmonie ont réussi à te faire réfléchir sur certaines des traditions de Drakenmarg, un long travail t’attend avant une entière remise en question. Il y a des choses que tu n’es pas prête à lâcher, Ryuusei en faisant partie. Pour une raison qui t’échappe, tu ne pourrais tolérer qu’il te soit déloyal ou qu’il soit intéressé par une autre.

Dans la rue, tu marches droit devant toi d’un pas rapide, l’esprit en ébullition. Tu te penses encore protégée par le lien. Tu ignores en outre ce qui se trame, mais tu tiens à mener ton enquête. Tu as besoin d'avoir plein contrôle sur la situation. Une chose est sûre, tu risques de t’aventurer plus souvent près de la librairie à l’avenir.